Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)
Yves TERNON ( n. 1932 )
L'auteur
Naissance en 1952 à Saint-Mandé (Val-de-Marne, France)
Yves Ternon, ancien interne des Hôpitaux de Paris, est chirurgien. Après plusieurs publications médicales, il s'est consacré à la recherche historique devenant un spécialiste internationalement reconnu en ce qui concerne la genèse des crimes contre l'humanité.
L’objectif principal du colloque a été d’expliciter le cours des événements qui se sont déroulés sur le front de l’Est après la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, et qui ont scellé de manière indélébile le destin de plusieurs peuples, dont les Arméniens, les Assyro-Chaldéens, les Kurdes et les Arabes des pays du Levant. En fixant la photographie des fronts du Levant et du Caucase, ce colloque a aussi permis d’examiner les prolongements des arbitrages politiques et diplomatiques de cette période à travers les conflits ravivés en ce début du XXIe siècle, notamment en Syrie et au Haut-Karabagh. C’est dans cette perspective que nous avons réuni, les 9 et 10 novembre 2018, à la Bibliothèque municipale, puis à l’Université catholique de Lyon, des universitaires, éminents historiens et géographes de France, d’Europe, des États-Unis et d’Arménie. La publication des actes de ce colloque sous la forme de cet ouvrage riche en illustrations vise à faire accéder à un public plus large les exposés des conférenciers. Le fil conducteur s’est révélé être la quête d’autodétermination, certes asymétrique, des peuples arménien, kurde et assyro-chaldéen, au sortir de la Première Guerre mondiale. Pour leur part, les dirigeants arméniens étaient alors conscients de jouer leur dernière carte pour faire obstacle à l’anéantissement total de leur peuple que le génocide venait de décimer et de condamner à disparaître. Hilda Tchoboian Présidente du Centre Covcas - Coordinatrice du colloque
Table des matières
PRÉAMBULE, de Hilda Tchoboian
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SESSION I
LA FRANCE AU LEVANT
Présidence de session : Taline Ter Minassian
Survivre à un génocide ou se réinventer une vie : les réfugiés arméniens au Proche-Orient, de Raymond H. KÉVORKIAN
p.15
Le colonel Louis Romieu (1872-1943), la Légion arménienne et le mandat français sur la Cilicie (1919-1921), de Gérard DÉDÉYAN
p.29
Les légionnaires arméniens : sacrifice et trahison durant la Première Guerre mondiale, de Susan PAUL PATTIE
p.39
Aïntab, une page noire de la diplomatie française, de Claude MUTAFIAN
p.53
La France en Cilicie et dans les Territoires de l'Est : novembre 1919-décembre 1921, de Yves TERNON
p.65
La Cilicie française : stratégie d'occupation de territoire et infléchissement de politique, de Vahé TACHJIAN
p.77
La France au Levant et la politique des minorités , de Fabrice BALANCHE
p.87
LA SYRIE ET LA FRANCE AU LEVANT
1/ La Syrie du mandat de la France à la guerre civile, de Raymond H. KÉVORKIAN
p.101
2/ La guerre civile syrienne : Les minorités victimes de la crase des relations internationales, de Fabrice BALANCHE
p.107
SESSION II
DESTRUCTION ET RÉSURRECTION : LA RÉSURGENCE DE L'ÉTAT ARMÉNIEN AU SUD CAUCASE
Présidence de session : Hilda Tchoboian
La République d'Arménie (1918-1920/21), de Richard G. HOVANNISIAN
p.125
La situation extérieure de la République d'Arménie (1918-1920), de Ashot MELKONYAN
p.183
Aram Manoukian et la création de la République d'Arménie, de Armen ASRYAN
p.195
Les pères fondateurs de la République d'Arménie/pl Khachatur STEPANYAN
p.205
SESSION III
LA CONFÉRENCE DE LA PAIX DE PARIS, LA GUERRE APRÈS LA PAIX
Présidence de session : Gérard Guerguerian
L'action des délégations arméniennes à la Conférence de la Paix de Paris, de Ashot MELKONYAN
p.219
Les Assyro-Chaldéens et la conférence de la Paix : pour quel résultat ? de Joseph YACOUB
p.223
Le nationalisme arménien et son influence dans l'émergence du nationalisme kurde et dans son échec à la fin de la Première Guerre mondiale, de Ôzcan YILMAZ
p.237
Revendications arméniennes : problèmes et perspectives, de Ara PAPIAN
La Turquie aux Turcs / auteur(s) : Yves TERNON - Destruction des communautés chrétiennes de l'Empire ottoman : nestoriens, chaldéesn, syriaques et Grecs (1914-1924)
De 1914 à 1924, des communautés chrétiennes de l’Empire ottoman ont été détruites. Ces chrétientés orientales, pour certaines nées des schismes du Ve siècle, s’étaient maintenues dans leur diversité pendant la période ottomane dans un empire multiethnique et pluriconfessionnel. Nestoriens, chaldéens (également appelés assyro-chaldéens), syriaques et Grecs, disparaissent, les uns au cours du génocide des Arméniens (avril 1915-décembre 1915) et jusqu’en 1918, les autres dans un contexte différent, comme les communautés grecques dont la destruction s’étend de 1914 à 1924. Le responsable de cette destruction est le nationalisme turc. Exprimé sous la forme d’un turquisme, voire d’un panturquisme et d’un pantouranisme chez les Jeunes Turcs du Comité Union et Progrès, ou d’un turquisme moins conquérant dans le mouvement kémaliste de 1919 à 1924, il obtient le même résultat : un nettoyage ethnique et religieux qui exclut les chrétiens d’une Turquie où les musulmans sont, dans l’esprit de ces idéologues, les seuls à même d’adhérer à un projet national turc. Ce livre explore avec rigueur les différentes modalités de la disparition des chrétiens d’Anatolie, à partir d’une abondante documentation complétée par la récente publication des Archives du Vatican.
Article de Zaven Djanjikian, Nouvelles d'Arménie Magazine, numéro 248, Octobre 2021
Le titre ne peut être plus explicite. Il vient nous rappeler que l’entreprise de turquification forcée de l'espace anatolien s'est déroulée la fin du XIXe siècle sous le règne du sultan Abdul Hamid II et a été parachevée par Atatürk. Le propos de l'historien consiste à établir à la fois un fil conducteur depuis les massacres hamidiens aux nettoyages kérnalistes, mais aussi de distinguer chaque mode opératoire. En définitive, sur les 4.5 millions de chrétiens que comptait l'Anatolie (30 %, au début du XXe siècle). il reste aujourd’hui 70 000 Arméniens et un millier de Grecs. Le nettoyage a bel et bien été fait. Historien des génocides du XXe siècle, Yves Ternon a été l'un des premiers à Introduire le comparatisme. Ce qui l'a de fait rendu extrêmement exigeant quant à la définition du terme. S'il n'établit pas de continuum d'intentions génocidaires dans tous les cas, c'est dans le but de mieux différencier chaque cas tenant compte des contextes et des motivations des bourreaux.
Fonds d'archives du Vatican Pour la première fois. il propose une vue d'ensemble de ce qu'a été le processus d'extermination de ces trois communautés (syriaques, grecs pontlques, assyro-chaldéens). L'ouvrage fait preuve de pédagogie en retraçant les trajectoires de chaque communauté concernée. Trois Églises, distinctes par le dogme, parfois vivant en osmose comme à Mardin, mais unies par la foi et le malheur, puisqu'elles ont aujourd'hui pratiquement disparu du sol anatolien. Pour mener à bien son entreprise, Yves Ternon a utilisé une abondante documentation complétée par la récente publication du fonds d'archives du Vatican. Il a pu aussi compter sur le concours de son ami, l’historien Gérard Dédéyan. qui signe la préface, mais aussi du travail du père Georges-Henri Ruyssen,Jésuite belge, qui a publié un ensemble d'archives du %%nom consacré à la question arménienne. Si la figure du pape Benoit XV qui était intervenu à de rares reprises auprès du pouvoir ottoman, puis kémaliste pour stopper les massacres en cours, difficile de prétendre que le souverain pontife eut l'attitude d’un Juste. Il faut tenir compte qu'en cette période troublée le Saint-Siège et l'Œuvre d'Orient déjà active dans l'Empire ottoman avaient en tète deux préoccupations : juguler le défi posé par le prosélytisme protestant au Moyen Orient, déployé par des missionnaires mieux lotis que les catholiques, et convertir les schismatiques arméniens. syriaques orthodoxes et nestoriens...
Le livre que l'on attendait Ternon s'Interroge sur les différences de traitement vis-à-vis de ces trois groupes chrétiens. Les Arméniens sont tués d'abord parce qu'Ils sont Arméniens, ensuite parce qu'ils sont chrétiens Si l'extermination des Arméniens est avant tout de nature politique (empêcher la constitution d'une Arménie indépendante), celle des Nestoriens (ou Assyriens) du massif du Halckari et des Syriaques orthodoxes du Tur Abidin (épargnés dans un premier temps) est davantage motivée par une instrumentalisation de l'Islam. Quant à l'annihilation des Grecs Pontiques, nullement Inquiétés pendant la Grande guerre, elle est notamment due aux prises de position malencontreuses du gouvernement d'Athènes après 1918. Au seuil de son 90e anniversaire, Yves Ternon a écrit le livre que l'on attendait, dicté par son impératif de défense de la dignité humaine, de la justice et de la vérité.
Parmi les Justes et gens de bien qui prirent des risques majeurs pour sauver les Arméniens pendant le génocide de 1915, il y eut aussi bien des Occidentaux chrétiens ou juifs, que des Orientaux musulmans de diverses confessions. Malgré l'absence d'ordre de son ministère de tutelle le vice-amiral Louis Dartige du Fournet osa prendre les mesures nécessaires pour recueillir les Arméniens qui, retranchés dans la « Montagne de Moïse », avaient résisté pendant plus de quarante jours à une armée turque. Sauvetage des combattants arméniens du Musa Dagh. Témoignage du Pasteur Andreassian (2 sept. 1915) : C'était le Guichen, vaisseau français. Pendant qu'on abaissait une chaloupe, plusieurs de nos jeunes s'étaient élancés vers la mer, et bientôt ils nageaient dans la direction du beau navire qui semblait nous venir de Dieu. Avec des cœurs qui battaient fort, nous descendîmes sur la plage et le capitaine nous invita à lui envoyer une délégation pour rendre compte de notre situation. Il lança un télégramme sans fil à l'amiral et, peu après, le vaisseau Jeanne d'Arc apparaissait à l'horizon, suivi par d'autres navires de guerre français. L'amiral nous dit des paroles d'encouragement et ordonna que chaque membre de notre communauté fût accueilli à bord des vaisseaux. Raymond H. Kévorkian, Yves Ternon, Mémorial du génocide des Arméniens, p. 447-448.
La région montagneuse du Dersim, à l'est de l'Anatolie, était peuplée de Kurdes, en grande partie de confession alévie — marquée par le mysticisme et le respect de la personne humaine — qui ne participèrent pas au génocide des Arméniens, mais au contraire protégèrent ceux-ci, mettant en péril leur propre sécurité, voire leur vie. La politique de turquification mise en œuvre par Mustafa Kemal entraîna une révolte massive des Kurdes du Dersim (1936-1938), qui se termina par une répression qui fit des milliers de morts. Sauvetage d'Arméniens par des Kurdes du Dersim (un chef de village rassure une déportée sur le sort de sa sœur) : -Vallahi, billahi [Jurer Dieu], elle est en sécurité et son honneur autant. J'ai emmené en même temps que les Simonian une centaine de familles dans le seul but de les sauver. Lorsque j'ai vu ta soeur, ta belle-soeur, Mme Azniv, des dames si bien élevées, si raffinées, je les ai prises en pitié. Je savais qu'elles étaient condamnées à périr dans des conditions horribles. Dès lors, j'ai formé le projet de les sauver, mais je n'arrivais pas à les convaincre de la pureté de mes intentions. Elles refusaient obstinément de me suivre. Elles ne cessaient de crier : « Nous mourrons s'il le faut ; mais nous n'irons pas avec vous ». Alors, je leur ai envoyé mes Kurdes armés et une charrette pour les emmener de force. Maintenant elles ne savent comment me témoigner leur reconnaissance. Elles voient en moi leur sauveur. Raymond H. Kévorkian, Yves Ternon, Mémorial du génocide des Arméniens, p. 450.
Ces "voix brisées", dit-elle, aucun micro, aucune caméra ne les a jamais données à entendre ou à voir. Des voix d'une autre époque, fragmentées, qui relatent chacune à leur manière des violences inouïes, des fuites rocambolesques, des survies miraculeuses. Un livre poignant et nécessaire. Ces témoignages sont encadrés par la présentation de Gérard Chaliand, la mise en contexte historique d'Yves Ternon et le parallèle avec la Shoah de Joël Kotek.
Étendue sur près de trois millénaires, l'histoire de l'Arménie peut sembler difficile à appréhender, à l'heure de l'instantanéité numérique. Cet atlas est une mise en exergue de vingt moments-clés de cette culture, associés à une carte originale. Chaque planche comporte une notice explicative des faits principaux justifiant la date retenue. Comme l'histoire ne se limite pas à l'histoire politique, des éléments d'ordre artistique, religieux ou économique viennent compléter un panorama qui, tout en étant succinct, essaie de refléter la richesse de cette histoire. Seule la période contemporaine a été traitée différemment. En effet, la densité des évènements à exposer nous a amenés à consacrer davantage de place au XX' siècle. Cet atlas se veut une introduction générale sur la culture arménienne et son histoire accessible à tous.
Préface 4 Introduction 5 Géographie générale 6 En 782 avant J.-C, à la fondation de la forteresse d'Erebouni 10 En 521 avant J.-C, à l'avènement de Darius Ier 12 En 323 avant J.-C., à la mort d'Alexandre le Grand 14 En 70 avant J.-C, à l'apogée du règne de Tigrane II 16 En 50 après J.-C, les trois principales routes de la soie et le trajet des apôtres Thomas et Barthélémy 18 En 77 après J.-C., sous le règne de Tiridate Ier au moment de la consécration du temple de Garni 20 En 299, au moment du traité de Nisibe 22 En 451 au moment de la bataille d'Avaraïr 24 En 786, à l'avènement du calife abasside Haroun al-Rachid 26 En 961, à la consécration d'Ani comme capitale du roi Achot III 28 En 1252, au départ du roi Héthoum Ier de Cilicie vers Karakorum 30 En 1453, à la chute de Constantinople 32 En 1639, la division du plateau arménien entre Ottomans et Safavides 34 En 1722, les réseaux commerciaux des négociants de Nor-Djougha {Nouvelle Djoulfa) 36 En 1828, au moment de la conquête russe de la plaine de l'Ararat 38 En 1914, la renaissance culturelle et politique du peuple arménien 40 En 1915, au déclenchement du génocide des Arméniens 42 En 1920, à la signature du traité de Sèvres 44 En 2016, 25 ans après l'indépendance de la République d'Arménie 48 Notes 50 Bibliographie et crédits 52
Contient 4 articles publiés précédemment dans la "Revue d'histoire de la Shoah" et 3 exposés faits lors de conférences, de colloques ou d'enseignement dispensé par le Mémorial de la Shoah. - Bibliogr. p. 288-292. Index
Génocide. Ce néologisme, créé par Rafael Lemkin en 1943 pour signifier la destruction des Juifs d’Europe, assassinés pour ce qu’ils étaient, n’appartient hélas pas au passé. Avant la Shoah, le monde avait été témoin du génocide des Arméniens en 1915 ; plus près de nous, en 1994, les Tutsi furent également les victimes de ces destructions de masse. Yves Ternon s’est consacré depuis les années 1960 à l’étude de la médecine allemande sous le national-socialisme. Il est depuis devenu un historien de premier plan sur la question du crime de génocide. Cet ouvrage, qui constitue la synthèse de ses recherches sur la question, est consacré dans un premier temps à « décortiquer » les sources idéologiques, juridiques et historiques ; dans un second temps, aux paramètres ayant conduit à leur application visant à la destruction du peuple arménien de l’Empire ottoman, des Juifs d’Europe et des Tutsi du Rwanda. La préface de l’historienne Annette Becker revient sur le parcours d’Yves Ternon, parcours ayant abouti à cette réflexion autour de la genèse du racisme biologique et du crime de génocide. Une réflexion nécessaire à l’heure où le monde est de nouveau plongé dans d’autres formes de violences.
Article de René Dzagoyan, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 231, Juillet-Aout 2016
On ne présente plus le docteur Ternon. Ses dix-huit ouvrages sur la logique génocidaire en ont fait un acteur majeur de l'entrée du génocide de 1915 dans la conscience collective. De toutes ses études, Yves Ternon tire une fresque sur la folie des hommes, Génocide, Anatomie d'un crime. Ouvrage contre l'oubli, œuvre pour la compréhension de l'homme. L'ouvrage est une collection d'articles qui s'articulent selon une logique toute scientifique : les fondements idéologiques des génocides, leur qualification juridique, leurs méthodes d'exécution. Pourtant, au-delà de ces analyses au scalpel, ce qui frappe ce sont les hommes, les justes et les injustes, les victimes et les bourreaux, les rescapés et les complices, les uns avec leur lucidité désespérée, tel ce Raphaël Lemkin, juriste juif américano-polonais, le concepteur du mot « génocide » qui, pendant quinze ans, de 1933 à 1948, tape à toutes les portes pour qu'enfin les massacres de masse soient considérés comme un crime, sous les sarcasmes de ses collègues et des médias, tel l'éditorialiste du Monde en 1945 selon qui ce nouveau concept ne restera à la mode que deux ou trois mois. Belle clairvoyance. Ou encore ce Benjamin Whitaker chargé en 1983 par l'ONU de trouver les moyens juridiques d'en punir les auteurs. Son rapport, livré en 1985, y parlait du génocide des Arméniens. Il fut enterré.
L'assassinat médicolégal De l'autre côté du trottoir, le livre nous présente le professeur de droit Karl Binding et un médecin psychiatre, Alfred Hoche, promoteur d'une nouvelle théorie: l'assassinat médicolégal. Pour préserver les bien portants et les générations futures, liquider les fous, les handicapés, les enfants aux maladies génétiques, enfin tous ceux qui ne ressemblaient pas à M. Hitler. Le programme est soigneusement planifié et mis en œuvre dès 1939. Le quartier général des organisateurs se situait à Berlin, Tiergartenstrasse, n°4. Le programme s'appellera donc Aktion T4. Fallait y penser. Les hommes d'Aktion T4 mettront à leur actif environ 200 000 gazés. Jolie performance, qui allait servir de banc d'essai aux futures chambres à gaz. Question technique, faut leur reconnaitre cette qualité, les Nazis étaient très pointilleux. La « passion génocidaire » Pourtant le livre ne réserve pas ses médailles de l'horreur aux seuls Jeunes-Turcs ni à leurs émules germaniques. Le chapitre sur les guerres balkaniques nous en apprend de belles sur les Serbes, les Bulgares et nos amis Grecs. Peintures peu flatteuses, tout comme celles des États belge et français dont la subtile stratégie du « diviser pour mieux régner » au Rwanda s'est conclue par un « Bagatelle pour un Massacre ». L'ouvrage d'Yves Ter-non s'ouvre par un vaste historique des théories de l'évolution, de la sélection naturelle ou des races humaines régulièrement fustigées pour avoir supposément fourni le « terreau » du racisme et des génocides. Mais il se poursuit et se conclut par le portrait des hommes qui ont mis la science au service de leur « idéologie de la mort » et la technique au service de leur « passion génocidaire », montrant ainsi que les idées sont comme les couteaux de cuisine, disponibles pour le meilleur comme pour le pire, selon la main qui les utilise.
Échapper à la logique de la mort Enfin, pourquoi ce livre ? Pourquoi un dix-neuvième opus pour raconter encore et toujours ce que les dix-huit précédents avaient si magistralement décrits ? La réponse se trouve dans l'actualité, dans ce Moyen-Orient où l'Arménien, le Juif et le Rwandais ont pour nom Yézidis, Assyro-Chaldéens ou Kurdes. Parce que l'histoire des hommes ne se termine pas en 1915 à Deir-ez-Zor, ni en 1945 à Auschwitz, ni en 1994 à Kigali. Et qu'oublier le passé, c'est permettre sa répétition dans le futur. Pour échapper à cette logique de la mort, il faut des hommes qui répètent. Et comme le dit avec tant d'évidence Anne Becker dans sa préface : « Yves Ternon sauve les victimes des génocides de l'oubli et de la négation ; l'anatomiste des génocides est un Juste. »I
René Dzagoyan, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 231, Juillet-Aout 2016
Au cours de la Première Guerre mondiale, le Comité Union et Progrès, parti nationaliste turc gouvernant l'Empire ottoman, a mis en œuvre la destruction systématique de ses citoyens arméniens, rompant ainsi avec la tradition impériale multiethnique et multiconfessionnelle. Le contexte de guerre a constitué la condition nécessaire, propice à ces violences de masse planifiées qui ont été menées en deux étapes : massacres des hommes adultes et des conscrits, puis déportation des femmes et des enfants de mai à octobre 1915 ; élimination progressive des déportés dans les camps de concentration établis dans le désert syrien et en Mésopotamie. Interdits de retour par la république kémaliste, les rescapés et leurs descendants forment aujourd'hui une diaspora mondiale, principalement en Russie, aux États-Unis et en France. À l'occasion du centième anniversaire de ce génocide, le Mémorial de la Shoah a décidé de dédier une exposition à ces évènements qui préfigurent les meurtres de masse perpétrés au cours du XXe siècle, en mettant également en exergue le déni dont il continue à faire l'objet.
Revue Histoire de la Shoah, Numéro 202 - Mars 2015, Se souvenir des Arméniens, 1915-2015, Centenaire d'un génocide
Titre :
Revue Histoire de la Shoah, Numéro 202 - Mars 2015, Se souvenir des Arméniens, 1915-2015, Centenaire d'un génocide / auteur(s) : Revue Histoire de la Shoah -
Editeur :
Centre de Documentation Juive Contemporaine
Année :
2015
Imprimeur/Fabricant :
Imprimé en France par Chirat
Description :
15 x 24 cm, 616 pages, couverture illustré en couleurs
Après le numéro spécial consacré en 2003 au génocide des Arméniens, nous avons choisi de publier, pour commémorer le centenaire de la tragédie, des documents (archives diplomatiques et militaires, correspondances, rapports et témoignages) qui exposent le déroulement des évènements caractérisant le crime de génocide en privilégiant une perspective comparatiste.
Le génocide des Arméniens, perpétré sur le territoire de l'empire ottoman, avait été ourdi depuis plusieurs décennies. Le Parti jeune-turc (Comité Union et Progrès) passe à l'action à la faveur du déclenchement de la Grande Guerre au côté des puissances centrales. Ces documents montrent que, depuis longtemps, en Turquie, flottait dans l'air l'idée de « liquider la question arménienne en liquidant les Arméniens » pour reprendre les mots d'un responsable turc. Sans compter que pour les milieux nationalistes jeunes-turcs, la charia était incompatible à la notion moderne d'égalité civique. Parallèlement, le Comité Union et Progrès avait mis sur pied en 1911 une organisation spéciale (O.S.) chargée des basses besognes. C'est elle qui, à partir du mois d'avril 1915, entreprend l'extermination.
Le processus d'homogénéisation islamique et turc du pays portait en lui (avec parfois la complicité tacite de l'ambassade d'Allemagne) une politique de « purification ethnique » qu'on qualifiera plus tard de génocide. On ne peut lire ces témoignages qu'à la condition de comprendre que le monde turco-musulman n'obéissait pas au logiciel intellectuel occidental. Et que de ne pas avoir entendu ce massacre annoncé a conduit à ce million et demi de morts qui nous interroge sur la force du panturquisme et de la violence propre à un islam conquérant.
Table des matières Se souvenir des Arméniens, 1915-2015 Centenaire d'un génocide Dossier préparé par Raymond Kévorkian, Yves Ternon, Georges Bensoussan
EDITORIAL, par Georges Bensoussan 7 La Première Guerre mondiale et le génocide des Arméniens, Textes rassemblés par Yves Ternon et Raymond Kévorkian 23 La diplomatie des « petites nations » :1913-1923., une décennie de (vaines) tentatives pour résoudre la question arménienne, par Claire Mouradian 373 Le télégramme, outil de génocide le cas arménien, par Claire Mouradian 507 Un bref tour d'horizon des recherches historiques sur le génocide des Arméniens sources, méthodes, acquis et perspectives, par Raymond H. Kévorkian 537 L'extermination des Arméniens pensée de la Grande Guerre aux années cinquante, Raphaël Lemkin et Varian Fry, Textes proposés et présentés par Annette Becker 551 Annexes 580 Notes de lecture 603
Près de 400 cartes postales anciennes illustrent l'histoire arménienne, au tournant des années 1900-1915. Sur les pas d'un orphelin à la recherche de ses racines, découvrez, au fil des pages de L'Arménie d'Antan, l'album d'un peuple dispersé. «Je suis le maillon rompu d'une longue chaîne. De ma première enfance, nul ne retrouvera jamais le fil. Plus tard, bien plus tard, sur l'autre versant de la vie, quand remonte des profondeurs la nostalgie des origines, je ne pus répondre à l'enfant qui m'interrogeait : «Grand-père, parle-moi de tes parents.» Alors, faute d'une mémoire individuelle, je me constituai une mémoire collective, album imaginaire d'un temps doublement disparu. A travers l'évocation figée de la carte postale, je fis surgir une parentèle fictive, idéale et probable. J'animai un théâtre d'ombres pour le pèlerinage d'adieux d'un peuple à ses montagnes, à ses arbres, à sa glèbe et à ses cimetières, avant que la cohorte des sans-nom descendent des «fleuves impassibles» qui l'engloutiraient à jamais.»
Article de Edouard Pehlivanian, France-Arménie, numéro 421, Juillet-Aout 2015
Une première édition datant de 1980 concernait une petite collection de cartes postales représentant des scènes arméniennes de jadis. Jean-Claude Kébabdjian rencontre alors Yves Ternon dans la recherche d'une solution éditoriale qui donne un somptueux album intitulé Arménie 1900 aux éditions Astrid. Depuis, la collection de cartes postales s'est étoffée avec la découverte de documents concernant la révolution de 1908 et le massacre d'Adana. Ce monde est parcouru par un orphelin à la recherche de son père, fil conducteur qui relie les mémoires multiples. Une introduction géographique et historique écrite par Ternon conduit au seuil du XXe siècle dans une situation pré-génocidaire. On trouve des documents qui montrent une communauté arménienne occidentalisée en particulier à Constantinople, Aïntab et Adana avec des collèges, un artisanat prospère, des troupes de théâtre... à côté de communautés musulmanes moins évoluées. On ne peut que se poser la question : le Génocide était-il une fatalité? En tout cas, on comprend que la jalousie ait été un facteur déterminant.
Mémorial du génocide des Arméniens / auteur(s) : Raymond Haroutiun KEVORKIAN - Yves TERNON - sous la direction de Raymond H. Kévorkian, Yves Ternon ; préface de Gérard Chaliand
Un siècle après le génocide arménien qui a fait 1,5 million de morts, l'Etat turc pratique toujours le négationnisme. Le Mémorial, fruit des recherches de deux spécialistes de la question, rassemble en un projet ambitieux la totalité des connaissances actuelles sous forme d'illustrations, de tableaux démographiques, de fac-similés de textes législatifs originaux et de discours officiels traduits et accompagnés des commentaires et analyses des auteurs. Il s'organise chronologiquement : " La genèse du processus et le contexte de guerre (juillet 1914 - mars 1915) " expose les événements politiques et militaires de la période, les choix législatifs (projet de réforme des provinces) et économiques (campagnes de boycott des entreprises grecques et arméniennes) constituant le creuset qui amènera les premiers massacres puis les premières déportations. " Le génocide des Arméniens de l'Empire ottoman (avril 1915 - décembre 1916) " présente la carte générale des axes de déportation et celle des principaux sites d'extermination. Elles sont accompagnées de la description minutieuse, région par région, de la première phase du génocide puis d'un ensemble consacré aux camps de concentration et d'extermination : leur organisation (camps du chemin de fer de Bagdad, camp d'Alep, camp de l'Euphrate), les témoignages de survivants, les sauveteurs. " Après le génocide, éradication et conséquences (1971-1923) " décrit les ultimes massacres dans le Caucase et en Azerbaïdjan persan puis revient sur la fin de l'Empire Ottoman pour se terminer sur les débats, jugements et procès qui se déroulent du côté des bourreaux, la situation des rescapés, des orphelins et le sort des biens abandonnés du côté des victimes.
Article France-Arménie, numéro 413, novembre 2014
Cet ouvrage décrit chronologiquement à travers de nombreuses analyses et une multitude de documents authentifiés, d'archives turques, arméniennes ou internationales, comment a été préparé, organisé puis s'est déroulé le Génocide des Arméniens anéantissant les 2/3 de cette population, soit 1 500 000 victimes entre 1915 et 1918. Ce « grand crime » encore impuni est décidé par le comité central du comité Union et Progrès (CUP) contrôlant le gouvernement ottoman, et planifié par une Organisation Spéciale (OS), émanation directe du CUP avec l'appui massif des composantes musulmanes de la population ottomane
La corrélation exacerbée d'une religion et d'un nationalisme mal compris car manipulés, relèvent du social-darwinisme et du racisme délirant. Quant au pourquoi du Génocide, on ne peut se contenter de la cause-prétexte arguant de la nécessité de préserver l'avenir national turc. Ce grand texte, étayé de 72 illustrations et de nombreuses cartes, est en 3 parties : genèse, le génocide, l'après-génocide.
La première partie «Genèse du processus génocidaire et contexte de guerre (juillet 1914- mars 1915) » comprend 13 thématiques qui pour chacune est composée d'une analyse suivie de très nombreux textes documentaires référencés explicitant le thème concerné : "Déclarations de chefs jeunes-turcs (1902-1913) " ; "Déclarations de dirigeants de partis politiques arméniens (1898-1907) " [...] ;" Massacres de Cilicie (1909) " [...]; "Les guerres des Balkans (1912-1913) " [...] ;"Les réformes (1912-1914) " [...] ; "Boycott des entreprises grecques et arméniennes (février-novembre 1914) " [...] ; "Entrée en guerre de l'Empire ottoman (novembre 1914) " [...] ; "Premiers massacres dans les vilayets d'Erzeroum et de Van " [...] ; "Premiers massacres en Azerbaïdjan persan (décembre 1914-avril 1915) " [...] ; "Les tensions à Van avant le 15 avril 1915 " [...] ; "Premières déportations à Zeitoun (mars-avril 1915) " [...] ; "L'organisation spéciale Teskilât Mahusa "[...] ; "La prise de décision ".
La deuxième partie «Le Génocide des Arméniens de l'Empire ottoman (avril 1915-décembre 1916) » comprend dans son lei chapitre "Les procédures de destruction " en 10 thématiques traitées selon la même présentation que la 1ère partie (analyse + documents). Le 2e chapitre "La 1ère phase du Génocide, région par région " de cette 2e partie comprend le traitement génocidaire (analyse + documents) dans chacun des 16 vilayets + Constantinople. Le 3e chapitre "Camps de concentration-extermination (octobre 1915-décembre 1916) " de cette 2e partie traite de l'organisation des camps, des rapports des consuls allemands et austro-hongrois + le rapport Bernau, de l'extermination des déportés dans les camps de Der-Zor et des sauveteurs.
La troisième partie «Après le Génocide, éradication, conséquences (1917-1923)» comprend 3 chapitres traités selon la présentation classique de l'ouvrage (analyse + documents). Le lei chapitre concerne "Le vizirat de Mehmed Talât (mars 1917-octobre 1918) et les opérations génocidaires au Caucase " ; le 2e chapitre porte sur les "Massacres en Azerbaïdjan persan (1918) " ; le 3e chapitre se rapporte à "La sortie d'empire (1918-1923)". L'originalité et la valeur de ce texte complet et très factuel résident dans la profusion de documents commentés, peu connus ou inédits. Cette procédure rapproche le lecteur de la réalité en lui faisant mieux vivre l'histoire. Voir ci-après quelques extraits des centaines de documents mentionnés dans cet ouvrage. "Révélations sur l'OS durant le procès des chefs jeunes-turcs (indications des références documentaires) : le fait que les massacres et les atrocités commis à Dyarbékir ont été accomplis à l'instigation de Talât, est matérialisé par le télégramme chiffré adressé par le mutesarif (préfet) de Zor, Ali Suad au ministre de l'Intérieur [...] que le but de la déportation est l'extermination. Et il a ajouté : je suis en contact avec Talât Bey. Je reçois personnellement de lui les ordres d'extermination ". [...] "Télégramme-circulaire adressé par le ministre de la Guerre, Enver, aux commandants d'armée et de division, en date du 28 subat 1330 (28 février 1915) : indications des ref documentaires. Les Arméniens qui servent comme simples soldats dans l'armée impériale doivent être, sans que la moindre exception ne soit tolérée, détachés des contingents auxquels ils appartiennent et fusillés sans que la population locale ne puisse en être témoin ". [...] "Rapport du Général Vehib pacha, commandant en chef de la HP" armée ottomane en 1916 (indications des ref documentaires) f...] le massacre et l'extermination des Arméniens, le sac et le pillage de leurs biens, sont les résultats de décisions prises par le comité central Union et Progrès, et ce fut le Dr Bahaeddin Sakir bey qui forma des bandes de bouchers à abattre les hommes, et c'est bien lui qui les poussa à opérer leur besogne. Les chefs du gouvernement (vali ou mutesarif) obéirent aux directives de Bahaeddin Sakir bey ". [...] "Confiscation des manufactures arméniennes à Brousse (indications des ref documentaires) [..] Les biens arméniens ont été accaparés par les membres du club Union et Progrès, et certains autres notables turcs de Bursa (Brousse). Les membres de la commission des biens abandonnés prennent possession des biens arméniens avant même la déportation de leurs propriétaires ".
Cet ouvrage contient aussi des informations statistiques intéressantes par sunsak (département) sur la population arménienne à la veille de la guerre : nombre d'Arméniens, d'églises et de monastères, d'écoles et d'élèves par localité, regroupés par département. Ce mémorial intéressera l'amateur concerné ou éclairé, mais aussi l'étudiant et le spécialiste pour qui le choix et les textes des références documentaires seront précieux pour leurs études et recherches.
Jules Mardirossian, France-Arménie, numéro 413, novembre 2014
Le titre de l'ouvrage « Le génocide turc des Arméniens » ne doit pas rebuter le lecteur car son caractère confus ne reflète pas le contenu de ce recueil de treize contributions très intéressantes que publie la revue belge La Pensée et les Hommes.
Ancien président du Comité des Arméniens de Belgique, Édouard Jakhian, qui nous a quittés cette année, est l'auteur de trois articles. Cet avocat qui n'a cessé de combattre pour la reconnaissance du génocide des Arméniens retrace la présence des Arméniens en Belgique et dans un texte intitulé « Morale et négationnisme », démontre la nécessité de la pénalisation du négationnisme. L'écrivain Pierre Mertens dénonce le cynisme des bienpensants en évoquant les débats qui eurent lieu en France sur la loi que le Conseil constitutionnel finira par rejeter. Dans un court texte, le romancier Jean-Baptiste Baronian exprime son « mal à la mémoire ». Le philologue Bernard Coulie, qui enseigne à l'université catholique de Louvain l'arménien et le géorgien classique, signe un texte érudit et passionnant sous le titre : « Culture arménienne et culture européenne: le rappel d'un idéal ». Maître de conférences à l'université d'Amsterdam, Marie-Aude Baronian livre quant à elle ses réflexions sur le déni et la mémoire. « Les preuves diplomatiques de l'extermination des Arméniens » constituent le thème de l'article de Jacques Ch. Lemaire. François Roelants du Vivier retrace « le long chemin vers la reconnaissance légale des génocides et la sanction pénale de leur négationnisme ». Enfin Main Goldschlàger de l'Institut de recherche sur l'Holocauste explique la position du Canada à l'égard de la négation des génocides.
Aux articles de ces auteurs belges, s'ajoutent les contributions de trois Français bien connus pour leurs travaux sur le génocide. Janine Altounian signe un article intitulé « Être Arménien entre l'héritage d'une transmission traumatique et l'épreuve de sa négation », Yves Ternon revient sur la définition du terme de génocide et Raymond H. Kévorkian dresse un état sur la recherche sur le génocide des Arméniens.
Texte non signé, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 201, Novembre 2013
Table des matières
Édouard JAKHIAN : Pourquoi Caïn ?
Pierre MERTENS : Le grand cynisme des bien-pensants
Édourad JAKHIAN : Morale et négationnisme
Jean-Baptiste BARONIAN : Mal à la mémoire
Bernard COULIE : Culture arménienne et culture européenne : le rappel d'un idéal
Janine ALTOUNIAN : Être Arménien entre l'héritage d'une transmission traumatique et l'épreuve de sa négation
Édouard JAKHIAN : Les Arméniens en Belgique
Marie-Aude BARONIAN : Penser, comparer, pardonner. Réflexions sur le déni de la mémoire
Yves TERNON : Qu'est-ce qu'un génocide ?
Jacques Ch. LEMAIRE : Les preuves diplomatiques de l'extermination des Arméniens
François ROELANTS DU VIVIER : Un combat inachevé. Le long chemin vers la reconnaissance légale des génocides et la sanction pénale de leur négationnisme
Raymond H. KÉVORKIAN : L'état de la recherche sur le génocide des Arméniens
Alain GOLDSCHLÄGER : Le Canada, la négation des génocides et l'Arménie
Le 20 avril 1919, moins de six mois après l’armistice de Moudros, l’Union des médecins arméniens publie à Constantinople une brochure en français intitulée Les Persécutions des médecins arméniens pendant la guerre générale en Turquie. La première partie dénonce la participation des médecins turcs à ce que l’on appelle alors les massacres et déportations des Arméniens ottomans. La seconde partie rend hommage à la mémoire de 67 médecins, 54 pharmaciens, 10 dentistes et 15 étudiants en médecine assassinés et de 46 médecins, 19 pharmaciens, 4 dentistes morts après avoir contracté le typhus ou d’autres maladies. Cette liste de victimes, liste détaillée comportant le plus souvent date et lieu de naissance, titre et fonction hospitalière et parfois circonstances de la mort est à elle seule un document précieux, tant il est difficile pour les historiens de donner un nom aux morts arméniens victimes du génocide.
Avec la nouvelle édition du livre de l'Union des Médecins Arméniens, intitulé Les persécutions des médecins arméniens pendant la Première Guerre en Turquie, l'Institut Tchobanian poursuit son travail de témoin actif de l'histoire.
Ce livre n'est pas un livre de plaisance et il n'essaye aucunement de plaire. Le but de l'Union des Médecins Arméniens est autre et il correspond à celui de l'Institut. La préface d'Yves Ternon est impeccable de clarté. Par sa contextualisation, elle met à l'aise aussi bien le chercheur que le combattant face à ce livre engagé dépourvu de toute diplomatie en raison de l'ampleur de la tâche. Ce qui est impressionnant dans ce livre, c'est la volonté à toute épreuve des Médecins Arméniens de laisser une trace dans ce nouveau combat, à savoir les prémices de la reconnaissance avant même la fin du génocide. Le travail des Médecins Arméniens est d'autant plus courageux qu'il s'agit d'accuser nommément des hommes du même ordre car ils ont choisi d'oublier leur serment pour prêter main-forte au génocide en organisant des atrocités scientifiques dont ils étaient fiers comme le témoignent leurs propres écrits.
Ainsi nous trouvons dans ce précieux livre un catalogue de ces bourreaux du génocide qui n'ont pas hésité à manipuler l'humain à travers des expérimentations barbares. Ce précis montre la fierté des médecins turcs non seulement d'avoir participé mais d'avoir amélioré le rendement de l'anéantissement du peuple arménien. Il s'agit donc d'un chef d'accusation double à l'encontre de l'humain et du médecin car ils ont exploité ces deux visages pour broyer littéralement leurs victimes. Ce livre ne se contente pas seulement d'accuser avec précision, il témoigne aussi en offrant à l'humanité de l'avenir les noms des médecins, des pharmaciens, des dentistes assassinés ou contaminés par le typhus dans le cadre de l'expérimentation inhumaine de l'appareil turc. Cette nouvelle édition n'a pas manqué de signaler la différence entre les bourreaux et les victimes de manière digne et discrète grâce au signe de deuil sur les pages du livre. C'est un geste simple et touchant dont le symbolisme ne peut laisser indifférent.
Ce petit livre achève son rôle dans la grandeur humaine en mentionnant aussi les privations et les souffrances de nos médecins survivants mais en plus un honneur aux disparus. Il est certain qu'il s'agit d'un témoignage à ne pas mettre entre toutes les mains, mais dans la pensée des chercheurs et dans l'esprit des combattants toujours à la recherche non pas de la véracité du génocide des Arméniens car aucun de nous ne discute de cela, mais des preuves précises, tangibles et accablantes à l'encontre de ce bourreau de l'humanité, l'appareil turc.
Ont participé à ce numéro : Olivier Abel, Roger Akl, Uri Avnery, Edmond Y. Azadian, Ani Basar, Christophe Chiclet, Alain Chouet, Jean Dorian, Frédéric Encel, Robert Fisk, Eve Gani, P. Gazzano, Jean Géronimo, François-Bernard Huyghe, Evre Kaynak, Nikos Lygeros, Claude Mutafian, Marianne Ranke-Cormier, Harut Sassounian, Henry Siegman, Yves Ternon.
L'article du philosophe Olivier Abel " La mémoire blessée" analyse le génocide d'un point de vue très intéressant et suscitera, nous en sommes sûr, un débat vif.
Comme toujours vous trouverez aussi les rubriques habituelles sur l'Europe, l'Asie mineure, le Caucase et le Moyen Orient
Sommaire
Karagöz et Hacivat, par Varoujan Sirapian La Grèce dans la tourmente , par Christophe Chiclet Pour en finir avec Berlusconi, par Ranke-Cormier Katyn, le souvenir de la désinformation, par François-Bernard Huyghe Le traitement du dossier turc dans les medias, par Jean Dorian Turquie-Europe, par Claude Mutafian Commentaires sur un éditorial, par Jean Dorian L’Islam et le nationalisme en Turquie, par Varoujan Sirapian Turkish Diplomacy’s Gordian Knots, par Edmond Y. Azadian Le combat des femmes turques, par Evre Kaynak Sur la convention de Montreux, par N. Lygeros Les Etats-Unis assumeront-ils la reconnaissance du génocide arménien ? par Ani Basar Sur la cause arménienne, par Nikos Lygeros “Auschwitz is the Der-Zor of the Jews” , par Serge Sargsyan Continue Denying the Armenian Genocide, par Harut Sassounian Sur la coopération de la diaspora , par Nikos Lygeros La théorie des marchés en tant qu’extension de la théorie des jeux (I), par P. Gazzano* et N. Lygeros Sur l’espace et le temps en stratégie, par N. Lygeros Afghanistan, le désert des Tartares ? , par Alain Chouet Coup de tabac sur les relations Ankara-Jérusalem, par Frédéric Encel Imposer la paix au Moyen Orient , par Henry Siegman Le déclin du sentiment d’attachement des juifs américains par rapport à Israël : et après ? par Eve Gani Sur les jeux à information incomplète, par Nikos Lygeros Au nom du sionisme, par Uri Avnery Kirghizstan : entre révolution et incertitude, par Jean Géronimo Sur le courage des Arméniens, par N. Lygeros La « mère » des génocides, par Roger Akl Sur le génocide des Arméniens et les fondations de la Turquie, par N. Lygeros Témoignages devant le Tribunal des Peuples, par Papken Injarabian Yves Ternon devant le Tribunal des Peuples World Focus: Armenia, par Robert Fisk Sur les génocides et la comparaison absurde, par N. Lygeros Démolition du Patrimoine Culturel Arménien par la Turquie La Mémoire Blessée, par Olivier Abel
Témoignage.... J'aurais dû être mort à l'âge de 9, 10 ou 11 ans, mais Dieu m'a gardé. Je vais vous raconter brièvement mon histoire. Je suis né en 1906 à Amassia, au sud de la Mer Noire. Ma famille était Arménienne, nous étions cinq enfants, trois garçons et deux filles. J'étais le plus jeune et le plus gâté. ,.allais à récole, je savais lire et écrire l'arménien et j'apprenais même le turc. Mes deux sœurs m'enseignaient le français. Mon père espérait que je devienne un grand homme. Mon frère aîné faisait son service dans l'armée turque. Lorsque la guerre fut déclarée, on mobilisa tous les arméniens de 18 à 50 ans environ. C'est ainsi que mon deuxième frère de 19 ans partit sans retour. Quelques semaines après, les Turcs ont raflé tous les Arméniens qu'ils voyaient dans la rue, ils les ont emmenés en prison sous prétexte qu'ils avaient caché des armes. Tous ces hommes ont disparu un peu plus tard ; le reste des Arméniens reçut l'ordre de quitter la ville... C'était le 23 Juin 1915, et le début de notre exode... J'ai quitté Amassia avec mon père malade, ma mère et mes deux sœurs. Mes parents avaient pris avec eux ce qu'ils pouvaient; ils avaient les larmes aux yeux en traversant leur ville natale. Notre caravane prit donc son chemin de croix. Plus nous avancions, et plus l’odeur de la mort augmentait, car d'autres caravanes nous avaient précédés. L'exode est trop pénible à raconter très peu comme moi ont survécu. Sous une chaleur de 30 à 40 degrés, les déportés affamés, assoiffés, dépouillés et épuisés par la marche, tombaient par milliers._ Je pourrais raconter ces images du génocide pendant des heures. Au cours de notre exode, une de mes sœurs fut enlevée par des Turcs, mon père assassiné. Au bout de trois mois de marche, je n'oublierai jamais ce Kurde qui nous sépara de la caravane, loin de tout, et sous la menace de son couteau, il nous dépouilla ma mère et moi et partit avec ma sœur qu'on n'a jamais revue. Ma mère est morte huit jours après, de maladie et de chagrin, et j'ouvris mes yeux d'orphelin chez un Kurde. Il habitait dans une grotte ; je gardais ses chèvres les pieds nus, la tête nue et mal nourri : j'étais misérable... J'ai accepté de devenir musulman sans comprendre ce que c'était ; tout ce que je savais, c'est qu'on n'allait plus me couper la tête. Je suis resté plus de quatre ans avec les Kurdes, et je parlais couramment leur langue. Lorsque j'ai entendu dire qu'un orphelinat était ouvert à Ourla pour recueillir les enfants rescapés, j'ai voulu m'évader. J'ai été rattrapé par mon maître qui m'a menacé de son fusil et dit: «toi chien infidèle, tu ne vaux même pas deux cartouches, la prochaine fois je rabattrai avec une seule cartouche». Mais le Seigneur m'a aidé, et j'ai pu m'échapper et rejoindre l'orphelinat, J'étais sauvé comme des milliers d'enfants arméniens. Papken INJARABIAN Tribunal permanent des peuples, Paris, le 14 Avril 1984
Les massacres de masse d'Arméniens, en 1894-1896, (200 à 300 000 victimes) sous le règne du sultan rouge Abdul Hamid II, sont la première étape d'un processus génocidaire qui culmine en 1915. Le Montpelliérain Alphonse Cillière, alors Consul de France à Trébizonde, y est le témoin des violences qui s'y déroulent en octobre 1895. Dans son récit du drame, ce grand connaisseur de l'Empire ottoman et ami du turcophile Pierre Loti, apporte un témoignage de premier ordre. Prenant parti pour les victimes, il décrit aussi l'attitude des hauts fonctionnaires turcs : l'un d'entre eux finit par sacrifier ses administrés à sa carrière ; l'autre compromet définitivement celle-ci par ses prises de position humanitaires.
Sommaire Cartographie, p. 9 Introduction, par Gérard Dédéyan, p. 13 La Politique du Sultan, par Yves Ternon, p. 25 Carnets d'Alphonse Cillière, p. 37 Contre-enquête, par Yves Ternon, p. 229 Notes d'Alphonse Cillière et de Claire Mouradian, p. 235 Glossaire, p. 267 Equivalents modernes des toponymes mentionnés, p. 271 Bibliographie établie par Claire Mouradian, p. 273
1 vol. (123 p.) : ill. en noir et en coul., couv. et jaquette ill. ; 33 cm 400 cartes postales anciennes et documents anciens ; Iconographie : collections privées
Collection :
D'antan, ISSN 1770-3255
Notes :
Réédition de l'ouvrage "Arménie 1900" paru en 1980 ; 30 ans de travail d'archivage au Centre de Recherches sur la Diaspora Arménienne ont permis de fournir l'illustration de l'ouvrage ; Bibliogr.
1895 : 200 000 victimes, 100 000 réfugiés dans le Caucase, 50 000 orphelins. Un génocide masqué. Mais la répression s’intensifie et les massacres se répètent jusqu’en 1923. Les deux tiers des Arméniens de l’empire ottoman sont exterminés - soit entre 1 200 000 et 1 500 000 personnes - constituant ainsi le premier génocide du XXe siècle.
Pour retracer la tragique destinée du peuple arménien, Yves Ternon choisit d’adopter, avec une grande finesse, la fiction. Sur les pas d’un orphelin à la recherche de ses racines, le lecteur voyage sur les routes de L’Arménie d’Antan, dont les limites géographiques ont considérablement changé. Empruntant la voix de cet enfant qui reconstitue, à partir de cartes postales et de photos, la mémoire de son père disparu au cours du génocide, Yves Ternon dépeint l’histoire de l’Arménie et les prémices du renversement du pays. Grâce à la carte postale ancienne, art de l’instantané, l’ouvrage capte, sans fioriture aucune, la vie de ces hommes et de ces femmes, l’économie du pays selon les régions mais aussi ces paysages oubliés, de la veille du drame jusqu’aux massacres. Un ouvrage qui a choisi de faire renaître l’histoire arménienne, une des plus anciennes civilisations au monde. Un désastre humain encore méconnu, celui d’un peuple dispersé et de milliers d’existences brisées. Le crime est imprescriptible et pourtant, près d’un siècle plus tard, sa véracité demeure dans les débats politiques actuels.
Cet ouvrage s’inscrit dans la collection La France d’Antan® qui compte une soixantaine de titres. L’iconographie, près de 400 cartes postales anciennes, est issue de collections privées retrouvées par le Centre de Recherches sur la Diaspora Arménienne.
L'auteur a traduit de l'arménien les mémoires de son père, Aram Guréghian, rédigés, fait inhabituel, à l'âge de seize ans. Il n'avait que onze ans lorsqu'il perdit sa famille et se retrouva seul dans le désert de la mort. Plus tard, devenu un vieil homme, Aram sera témoin devant le Tribunal des peuples. Dès sa première parution, il y a dix ans, ce livre a connu un succès médiatique important. Un an plus tôt, l’Assemblée nationale avait voté, à l'unanimité, la reconnaissance du Génocide de 1915. Le sujet est toujours d'actualité et une loi condamnant la négation du Génocide arménien est en attente d'approbation au Sénat. Traduit en turc, le livre a rencontré un réel succès en Turquie où, après un siècle de silence, on parle de plus en plus des « événements » de 1915. Récemment, des intellectuels turcs ont lancé un appel demandant pardon aux Arméniens et ont recueilli quelques dizaines de milliers de signatures. Cette nouvelle édition coïncide avec le centenaire des massacres de 1909, en Cilicie. C'était là, pour les Jeunes Turcs, le ballon d'essai d'un projet diabolique - l'anéantissement d'une nation dans le but de s'approprier définitivement ses terres. Sans précédent dans l'histoire, ce Grand Crime (Metz Yéghern) sera commis durant la Première Guerre mondiale. I1 restera impuni.
Index des noms, Index des lieux, contribuent également sur le génocide arménien : Hasmik Tevosyan, Ugur Ümit Üngor, Hans L. Kieser, Fatma Müge Göçek ; Bibliogr. p. 519-539. Index
Textes issus d'un colloque international organisé à Sciences Po en 2006Les actions menées pour tenter de sauver des juifs pendant la seconde guerre mondiale connaissent une certaine notoriété en France depuis que le titre de « Justes » a été introduit dans la législation française en 2000, mais les ouvrages scientifiques sur le sujet sont rares. Les actions de sauvetage des Arméniens (1915-1916) et des Tutsis (1994) restent quant à elles largement inconnues.
SOMMAIRE Introduction – De l’aide au sauvetage, Jacques Semelin Première partie – Entre histoire et mémoire : le concept de sauvetage - De la mémoire du sauvetage à l’institution d’un titre de Juste parmi les Nations, Sarah Gensburger - À la recherche des Justes : le cas des massacres arméniens de 1915, Fatma Müge Göçek - Approches comparées de l’aide aux juifs et aux aviateurs alliés, Claire Andrieu - Pour une approche quantitative de la survie et du sauvetage des juifs, Marnix Croes - Antisémitisme et sauvetage des juifs en France : un duo insolite ?, Renée Poznanski - Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ?, Nechama Tec - « Sauvetage » et intérêts. Protéger des biens pour sauver des personnes ?, Florent Le Bot - Les juifs d’Italie et la mémoire du sauvetage (1944-1961), Paola Bertilotti - Sauveteurs et sauveteurs. Tueurs dans le génocide rwandais, Lee Ann Fujii
Deuxième partie – L’État, ses frontières et les conditions de l’aide - Les pratiques de sauvetage dans le génocide arménien, Hasmik Tevosyan - L’opposition de fonctionnaires ottomans au génocide des Arméniens, Raymond Kévorkian - Conversion et sauvetage : stratégies de survie au cours du génocide arménien, Ugur Ümit Üngor - Humanitaire et massacres. Le Comité international de la Croix-Rouge (1904-1994), I. Hermann D. Palmieri - La Suisse face au génocide nazi : refus actif, secours passif, Ruth Fivaz-Silbermann - L’OSE et le sauvetage des enfants juifs, de l’avant-guerre à l’après-guerre, Katy Hazan et Georges Weill - Le contexte du sauvetage dans l’Europe de l’Ouest occupée, Bob Moore - La répression du sauvetage pendant l’« action Brunner » (1943-1944), Tal Bruttmann - « Guide et moteur » ou « trésor central » ? Le rôle du Joint en France (1942-1944), Laura Hobson-Faure - Le service hongrois de la BBC et le sauvetage des juifs de Hongrie, Franz Chalk - L’échec de l’opposition locale au génocide au Rwanda, Scott Straus - Le sauvetage dans la zone frontière de Gishamvu et Kigembe au Rwanda, Charles Kabwete Mulinda
Troisième partie – Réseaux, minorités et sauvetage - La missionnaire Béatrice Rohner face au génocide arménien, Hans L. Kieser - L’impossible sauvetage des Arméniens de Mardin. Le havre du Sindjar, Yves Ternon - L’Union générale des israélites de France fut-elle un obstacle au sauvetage ?, Michel Laffitte - Rafles et réseaux sociaux à Paris (1940-1944), Camille Ménager - Protestantismes minoritaires, affinités judéo-protestantes et sauvetage des juifs, Patrick Cabanel - Nieuwlande, pays sauveteur (1941-1942 à 1945), Michel Fabréguet - Survivre dans la clandestinité : le « Bund » dans l’Allemagne nazie, Mark Roseman - Les musulmans de Mabare pendant le génocide rwandais, Emmanuel Viret Conclusion – Le sauvetage, un concept renouvelé, Claire Andrieu
Autre commentaire
A l'occasion du soixantième anniversaire de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, La résistance aux génocides met en évidence - dans une étude comparative des génocides arménien, juif et rwandais - que chaque fois qu'il y a génocide, il y aussi une résistance civile qui émerge. Discrète, elle est l'œuvre d'individus qui, chacun à leur échelle, font oeuvre de sauvetage. Dans cette descente aux enfers qui caractérise les temps de génocide, il se trouve des gens qui se tiennent à distance, et dont les gestes sauvent, ou retardent sans la stopper la machine criminelle. La figure du sauveteur est complexe. A côté du sauveur altruiste se trouvent des gens dont l'aide n'est pas désintéressée. On sauve parfois pour de l'argent. Raymond Kévorkian recense ainsi quelques cas d'Arméniens qui avaient pu « gagner du temps » en adressant chaque mois une lettre de crédit à leur sauveteur. Durant la Shoah, il y a des sauveteurs qui ne sont pas philosémites. Au Rwanda, en 1994, on voit des sauveteurs qui furent aussi des tueurs. La notion de Juste parmi les Nations, juive à l'origine, s'est internationalisée. Depuis les années 1990, l'expression s'applique aussi aux Turcs qui ont sauvé des Arméniens et aux Hutus qui ont sauvé des Tutsis.
Fatma Müge Gôcek Dès 1992, Richard Hovanissian consacrait une première étude à ce sujet, reconnaissant que beaucoup d'Arméniens n'avaient survécu que grâce à l'aide de Turcs. Comme l'écrit Jacques Sémelin, la question du sauvetage « pour le moins décalée par rapport au combat mémoriel des organisations arméniennes toujours mobilisées pour la reconnaissance internationale de ce génocide » mérite d'être explorée. Et les contributions relatives à 1915 enrichissent le débat sur la notion de Juste. Ainsi Fatma Müge Gôcek propose d'élargir la notion pour prendre en compte l'expérience musulmane tirée du concept islamique d'adala, et rappelle d'autre part que la formation intellectuelle des Jeunes-Turcs est européenne. Hasmik Tevosyan, en pointant le déni de justice, souligne la charge affective véhiculée par la notion de Juste chez les Arméniens. Son simple témoignage fait de Morgenthau un Juste, alors qu'il n'a pas sauvé de vie. De même, Antranik - alors qu'en principe le terme de Juste s'applique aux étrangers -est vu comme un Juste parce qu'il est ce héros qui, pendant le génocide, a sauvé des vies arméniennes. Elle note également la valeur cathartique de la notion de Juste pour les Turcs et les Arméniens.
Ugur Umit Ungôr Petit chef-d'oeuvre que la contribution de Raymond Kévorkian : même l'examen d'un sujet mineur fait surgir dans toutes ses dimensions l'entreprise d'extermination. Dans une approche intentionnaliste du génocide, il rappelle d'emblée l'idéologie d'exclusion qui caractérise le CUP et son projet d'extermination. Or, note l'historien, il fait partie de ce projet de sauver quelques rares éléments : des jeunes femmes bien éduquées. A un autre niveau, les femmes et les enfants qui furent violemment enlevés au cours des déportations et placés dans les familles turques, kurdes, bédouines, comme domestiques, esclaves ou épouses, furent malgré tout « sauvés ». Son étude se concentre sur la résistance de hauts fonctionnaires turcs aux ordres de déportation. Certains, sans sympathie pour les Jeunes-Turcs, le CUP et l'Organisation spéciale qui servait aussi de structure parallèle pour surveiller les bureaucrates, ont résisté en différant l'application des ordres venus de la capitale. Sans sauver des vies, ils ont temporisé avant d'être mutés ou exécutés. Mais d'autres menèrent à bien de véritables opérations de sauvetage, à Kütahya et Adana par exemple. Ugur Umit Ungôr note que pour les Arméniennes « le sauvetage était souvent le prélude à la misère ». Il aborde le cas de ces femmes vendues sur les marchés régionaux d'esclaves qui étaient serai-légaux jusqu'en 1915 dans l'Empire ottoman : leur arrivée massive provoque l'effondrement des cours sur ces marchés. Enfin, si la conversion était une condition sine qua non du sauvetage, elle n'empêchait ni la suspicion ni la mort. Talaat, ministre de l'Intérieur, supervisait les choses : nouvelle carte d'identité avec noms turcs pour les converti(e)s. Quand donc la conversion a sauvé une vie, le plus souvent la vie d'une femme, comme celle de la grand-mère de Fethiye Cetin, ce quia été sauvé, c'est une existence physique, coupée de son groupe, et dont on considérait que l'identité arménienne avait été éradiquée.
Hans Lucas Kieser Hans Lucas Kieser revient sur Béatrice Rohner, cette religieuse qui dirigea pendant un an à Alep, avec l'autorisation de Djemal, un orphelinat regroupant un millier d'enfants arméniens avant qu'ils ne soient dispersés dans des orphelinats de l'Etat en 1916. En choisissant de parler des Arméniens de Mardin où il y eut très peu de survivants, Yves Ternon essaie de comprendre ce qui a rendu impossibles dans ce cas les opérations de sauvetage. Question décalée, question éminemment féconde. Il faut lire ce livre intelligent qui commence par une cartographie de l'échelle spatiale des trois génocides. Il faut le lire en entier pour comprendre que l'approche comparative n'est pas une vaine recherche, puisqu'elle permet de rapprocher ce qui peut se subsumer sous un même concept tout en établissant des différences spécifiques. Saluons ici les grandes qualités intellectuelles et morales de Jacques Sémelin à l'initiative de ce livre qui fait suite au colloque qu'il organisa en 2006.
Isabelle Kortian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 148, Janvier 2009
Composé sous la direction de Barbara Lefebvre et Sophie Ferhadjian, Comprendre les génocides du XXe siècle a été écrit par 9 « contributeurs », excusez du peu. Que voilà un ouvrage bien utile pour celui qui s’intéresse au problème des crimes de guerre, des holocaustes, des génocides, et qui essaie de s’y retrouver dans tout cela ! Et, grâce à ce livre, on s’y retrouve ! La première partie fait le point sur le problème vu par les historiens. Il remet vraiment les pendules à l’heure, non seulement sur la notion de génocide en général, mais plus particulièrement sur le problème des Juifs, des Arméniens, sur les crimes soviétiques et les massacres du Cambodge et du Rwanda. La deuxième partie traite le sujet du point de vue de l’enseignement et passe en revue programmes et pratiques avec des commentaires fouillés, précis, pertinents. Tout cela est abondamment documenté, avec un tas de références et une riche bibliographie. Bref, un ouvrage qui intéressera l’honnête homme du 21e siècle, mais aussi tous ceux qui par leur travail, leur rôle social, leur enseignement - ou tout simplement le contact que la vie leur offre avec des adolescents - sont amenés à se poser des questions sur les génocides du 20e siècle et à y trouver des réponses. Un livre indispensable.
Le XXe siècle, siècle des génocides ? Les années qui viennent de s’écouler, malgré la mise en œuvre d’une justice pénale internationale, ne permettent guère l’optimisme. Après tout, les années 1990 resteront marquées du sceau des violences commises en ex-Yougoslavie et du génocide des Tutsi au Rwanda.
Le moment est donc venu de s’interroger : les guerres majeures de notre temps conduisent-elles nécessairement au génocide ? La guerre n’est-elle qu’un accélérateur des crimes de masse ou bien doit-on chercher à les expliquer autrement ?
Yves Ternon relie ici notamment les trois grands génocides qui ont marqué le siècle écoulé : celui des Arméniens, celui des Juifs, celui du Rwanda. Il dévoile l’alchimie complexe qui mène au massacre. Et pose une question centrale aujourd’hui : la guerre a-t-elle définitivement triomphé du droit ?
Article de René Dzagoyan, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 132, Juillet-Août 2007
Karl von Clausewitz disait que « la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens ». C'était là une manière élégante de rendre la guerre légitime et de faire des massacres de masse des crimes sans criminel. Le XXe siècle a connu deux guerres en Europe, celle de 14 qui fut le berceau du génocide des Arméniens, et celle de 3945 qui fit le lit du génocide des Juifs. Deux guerres, deux génocides. Vint ensuite le Rwanda sur fond de guerre civile. Le génocide ne serait-il pas, comme aurait dit Clausewitz, la continuation de la guerre par d'autres moyens ? Et si la guerre est légitime, pourquoi un génocide ne le serait-il pas ?
Quel terme La question n'est pas neutre. Les Arméniens en savent quelque chose : la Turquie était en conflit avec les Russes, les Arméniens avaient partie liée avec eux, les Arméniens étaient donc les ennemis de l'intérieur. Si la guerre contre l'ennemi de l'extérieur était légitime, celle contre l'ennemi de l'intérieur l'était donc tout autant. CQFD. C'est, on le sait, l'argument majeur d'Ankara. Un argument qui a fait école. Hitler l'a théorisé et utilisé avant même l'exécution de la Shoah dans « Mein Kampf » et les responsables Hutus, après le génocide rwandais, se sont empressés de le prendre à leur compte, et avec un certain succès, vu que plus de dix ans après le massacre des Tutsies, on s'interroge encore pour savoir par quel terme on doit le qualifier. Les fonctionnaires de l'ONU en discutent encore.
Pluridisciplinaire C'est cet argument qu'analyse Yves Ternon dans sa dernière œuvre « Guerres et génocides au XXe siècle ». Il faut dire « œuvre» et non pas « livre », car l'ouvrage appartient à cette catégorie de réflexion qui s'apparente à des monuments de pensée qui résument tout ce qui a été dit avant eux et préparent tout ce qui sera dit après eux et dont les modèles les plus ressemblants sont « De la Guerre » de Clausewitz ou « Guerre et Paix parmi les Nations » de Raymond Aron. Tout comme le pontife de Science-Po, Ternon prend le parti pris d'être pluridisciplinaire, c'est-à-dire d'examiner le problème de l'acte génocidaire sous toutes ses facettes, historique, politique, psychologique et sociologique, pour démontrer que le meurtre prend ses racines, non point dans un terreau unique, la guerre, mais dans ces matières organiques plus subtiles et beaucoup moins visibles que sont une certaine idée de l'histoire, une certaine idée de la culture et surtout, une certaine vision de l'identité de soi et de l'homme. Dans l'autopsie microscopique que fait le docteur Ternon des trois génocides majeurs du siècle, 1915, la Shoah et le Rwanda, le plus terrifiant est que les fertilisants du crime sont patiemment instillés dans la matière sociale bien avant que le crime ne se commette, et plus encore, pour qu'il se commette.
Préméditation Bien avant le 24 avril arménien, les premières déportations juives ou les premiers coups de machette rwandais, le politique prépare le terrain, le laboure, l'ensemence, patiemment, méthodiquement, froidement, pour que le crime soit le plus parfait et systématique possible. L'idée du génocide et la volonté de le commettre précèdent et de loin l'acte lui-même, bien avant le déclenchement de toute guerre qui, plus tard, lui servira de prétexte. L'acte qu'on dit de légitime défense devient un crime avec préméditation. La guerre n'est plus la cause, c'est tout au plus un substrat.
Question de dosage A l'heure où l'on parle de la spécificité de tel ou tel génocide par rapport à un autre, le travail d'Yves Ternon, en refaisant l'analyse des trois génocides du siècle, permet une première conclusion : les ingrédients des génocides sont tous les mêmes, seule diffèrent leur dosage et leur coloration. L'alchimie génocidaire utilise les mêmes méthodes et les alchimistes les mêmes bréviaires. Le résultat recherché est toujours le même : la mort en masse. La deuxième conclusion, quant à elle, ruine la thèse de départ, celle où le génocide est présenté comme la suite logique de la guerre. « Le génocide fait plus obstacle à la stratégie de la guerre qu'il la sert ».
Un maître La troisième conclusion, enfin, et la plus désespérante, est qu'après plus d'un siècle de réflexion sur le droit international, des dizaines de traités règlementant l'art de la guerre pour faire de cet acte barbare un acte civilisé, après trois génocides dont deux sont encore impunis, les instruments juridiques susceptibles de les prévenir sont inexistants, tout comme sont inexistants les organismes internationaux chargés de les empêcher. Ce n'est pas par hasard que l’œuvre se termine sur une citation de Hannah Arendt qui dit « Si le génocide demeure possible, alors aucun peuple au monde (...) ne peut être certain de survivre sans la protection de la loi internationale ». Du coup, le travail d'Yves Ternon apparaît sous un autre angle : celui d'une contribution à toute législation future qui se donnera pour but de prévenir, avant qu'il ne se commette, le plus inhumain des crimes contre l'Humanité. Le jour où cet édifice juridique existera, on pourra dire alors qu'Yves Ternon y aura apporté sa pierre.
Ce livre retrace un itinéraire de trente années de collaboration épisodique au quotidien arménien Haratch. Ce sont là vingt articles d'un historien qui, par moments, a besoin de s'exprimer hors de l'enceinte d'une université bridée par des règles de courtoisie et de hausser le ton pour jeter quelques éclats de voix afin d'apaiser son indignation devant le mensonge et la mauvaise foi. Ce sont aussi des hommages rendus en maintes occasions. Ce sont enfin des jalons qui marquent l'évolution du double processus de connaissance et de reconnaissance du génocide arménien, des années de turbulences d’une mémoire arménienne blessée par le négationnisme aussi obsessionnel qu'absurde de la Turquie.
Cet ouvrage éclaire et met en perspective la déportation et les massacres en masse des populations arméniennes d’Anatolie exécutées durant la Première Guerre mondiale par le gouvernement Jeune turc. Le cheminement qui a ramené l’attention sur ce génocide et sa reconnaissance par diverses instances internationales est également décrit et analysé.
Pendant six siècles la maison d'Osman imposa sa toi à des dizaines de peuples et de nations. À son apogée, au XVIe siècle, l'Empire ottoman s'étendait sur trois continents. Puis il amorça son déclin. Les sultans ne pouvaient moderniser L'empire en préservant tes règles théologiques sur lesquelles il reposait. L'Empire ottoman subit les pressions divergentes des puissances européennes. La Russie convoitait ses territoires. L'Angleterre tenait à ta préserver pour assurer sa route des Iodes. Au XIXe siècle, miné par L'éveil des nationalismes, L'empire commença à se démembrer et perdit ses possessions européennes et africaines. En rêvant de reconstituer un ensemble turc asiatique, les Jeunes-Turcs précipitèrent son effondrement qui se produisit après la Première Guerre mondiale. La révolution kémaliste préserva L'empire d'une désintégration. Sur ses ruines, Mustafa Kemal édifia une République turque laïque et moderne.
L'Empire ottoman fut un vaste ensemble multiethnique et multiconfessionnel. La Turquie n'est pas la seule héritière de cet empire. Aujourd'hui, plus de vingt États ont, dans Leur histoire, un passé ottoman. En restituant à chacun ta part de ce passé qui lui revient, ce [ivre contribue à apaiser des forces irrédentistes et des passions nationalistes toujours vives. Il fournit une grille de lecture nouvelle à l'histoire des Balkans et du Proche-Orient.
Deir-es-Zor : Retour dans le désert syrien sur les traces du génocide arménien de 1915
Titre :
Deir-es-Zor : Retour dans le désert syrien sur les traces du génocide arménien de 1915 / auteur(s) : Bardig KOUYOUMDJIAN - Avec Christine Simeone, journaliste à France Inter ; préface d'Yves Ternon
Quatre-vingt-dix ans après le génocide, des rescapés, leurs enfants et petits-enfants aujourd'hui bédouins témoignent auprès d'un photographe et cherchent à savoir d'où ils viennent. Ce livre est le premier ouvrage photographique consacré aux Arméniens du désert syrien ainsi qu'aux lieux du génocide. Quatre-vingt-dix ans après, des rescapés, leurs enfants et petits-enfants aujourd'hui bédouins dans le désert syrien témoignent et cherchent à savoir d'où ils viennent. Aujourd'hui encore des ossements, à même le sol, au milieu des cultures, témoignent de la réalité de ce génocide.
Photographe, Bardig Kouyoumdjian est retourné dans le désert syrien, là où ont échoué des centaines de milliers d'Arméniens ottomans qui avaient eu la chance de ne pas mourir de faim ou de maladie au cours de leur déportation, ou qui n'avaient pas encore été massacrés. Ce désert fut le bout de la route, le seuil du monde des morts, comme celui des survivants. Bardig a retrouvé les lieux de déportation comme Alep, Meskéné, Rakka ou Deir-es-Zor. Il a retrouvé aussi les lieux des massacres comme Chaddadé, Markadé, Ras-el-Aïn ou Souar. Ces terres portent, quatre-vingt-dix ans plus tard, les restes des morts et la descendance des survivants. Dans ce désert, Bardig a rencontré les enfants et petits-enfants des orphelins rescapés du génocide, recueillis par les bédouins, de gré mais aussi de force. Perdus dans l'immensité de l'Histoire, ils sont porteurs d'une mémoire enfouie dans leur inconscient: les souffrances de leur famille, la marque de la barbarie défi lant sous leurs yeux, la poussière de cet enfer de feu et de sable s'échappant des touffes d'herbes et des amas de roche, la cuisante douleur du soleil sur les corps, l'humiliation et le viol des êtres chers. C'est le contenu de ce bagage que Bardig Kouyoumdjian a essayé d'enfermer dans son boîtier.
Talaat n'avait pas prévu que tout ceci se transmettrait de génération en génération, se transporterait dans les chairs des vivants de demain et que, comme Bardig Kouyoumdjian, ceux-là n'auraient d'autre choix, dans le monde qui serait le leur, dans une langue étrangère, sur un sol inconnu, que de réclamer la vérité à ses successeurs pour se construire en tant qu'individu. Aujourd'hui est faite au pouvoir turc une demande qui ne s'éteindra que lorsque la vérité sera contenue dans la bouche de tous, victimes comme bourreaux.
Article Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 76b, juin2002 Soirée de présentation de l’ouvrage d’Yves ternon
La revue d'histoire arménienne contemporaine, dirigée par Raymond H. Kévorkian, édite en numéro spécial l'ouvrage d'Yves Ternon. Comme l'indique la suite du titre cette monographie marque une manière nouvelle d'aborder et étudier le génocide. Les Arméniens de Mardin étant à l'époque tous catholiques, les archives du Vatican, et notamment les documents très nombreux rassemblés pour le procès en béatification de Mgr Malo-yan, archevêque martyr de Mardin, furent une source précieuse de renseignements. Mgr Grégoire Ghabroyan, éparque des Arméniens catholiques de France, dont la famille est originaire de Mardin (son grand-père était dans le même convoi que Mgr Maloyan) a facilité au chercheur l'accès aux sources romaines et chrétiennes orientales et lui a remis des documents personnels. Il était donc normal qu'Yves Ternon choisisse la cathédrale arménienne catholique pour une première présentation de son œuvre au public parisien.
Signatures La soirée comporta une présentation de l'œuvre d'Yves Ternon par R.H. Kévorkian qui précisa aussi son rôle dans la genèse de Mardin 1915. Yves Ternon expliqua ensuite avec sa fougue habituelle en quoi son travail pouvait donner une orientation nouvelle à l'étude du génocide arménien. Les deux conférenciers se partagèrent les réponses à apporter aux questions du public. Enfin un cocktail dans la grande salle attenante permit la prolongation des discussions tandis que l'auteur se prêtait de bonne grâce à la cérémonie de signature de Mardin 1915 et de ses principales œuvres dont on proposait au public une rétrospective.
Intervention de Raymond H. Kévorkian Le directeur de la Revue d'Histoire arménienne contemporaine insiste sur le fait que cette monographie est une grande première. C'est un travail très poussé, très précis sur le génocide dans une région précise. En cela, il marque un changement dans le cheminement intellectuel d'Yves Ternon, dans sa méthode. Il rappelle que ce dernier a proposé jusqu'ici de larges synthèses : l'histoire du génocide assortie d'une dimension éthique. Il a donné aussi des travaux comparatistes avec la Shoah, avec le Rwanda et nous a fait réfléchir sur le sort des victimes en démontrant la perversion du mécanisme victime, bourreau, victime dans l'Innocence des victimes. C'est un pourfendeur infatigable du négationnisme. Actuellement la situation évolue pour les chercheurs, les historiens. Dans ces 20 dernières années on a dépouillé beaucoup d'archives, des matériaux abondants sont fournis par le Vatican, l'Italie et le travail de fond sur ces documents apporte de l'eau au moulin des historiens. Le travail effectué par Yves Ternon sur Mardin doit être le premier d'une série à réaliser dans les prochaines années. Une historiographie maniaque est à entreprendre pour toutes les régions en descendant jusqu'au nominal, c'est-à-dire pouvoir dire de manière irréfutable le nom et l'histoire du plus grand nombre de victimes. C'est une nécessité pour accomplir le travail de deuil, c'est une forme de thérapie pour les Arméniens.
Intervention d'Yves Ternon A partir du livre du Père Rhétoré qui lui fut remis à Padoue ainsi qu'à R.H. Kévorkian, Fenêtre sur un massacre, il veut entreprendre des recherches à la bibliothèque du Saulchoir. Mgr Grégoire Ghabroyan, qui s'entremet pour lui faire ouvrir les portes de ce centre de documentation catholique, lui remet aussi des documents abondants, notamment ceux qui accompagnent le procès en béatification de Mgr Maloyan. Or une vieille idée taraude notre auteur : faire pour les Arméniens ce que Serge et Béate Klarsfeld ont fait pour les Juifs. Descendre jusqu'au nom et au prénom de la victime. C'est ainsi que de trois pages de notes on passe à un volume de 400 pages. Il faut reconstituer, en pénétrant dans le détail, 1915 à Mardin, dans le sandjak de Mardin et le vilayet de Diarbékir. On fait alors la démonstration que « l'événement » était programmé.
Pourquoi Mardin ? Mardin a une double spécificité. Spécificité géographique : Dans une région montagneuse, à 1100 mètres d'altitude c'est un balcon sur la Mésopotamie, berceau des civilisations. Construite sur un versant montagneux, refuge contre les envahisseurs, Mardin fut construite comme une forteresse bien avant l'Empire romain. Spécificité religieuse : C'est une mosaïque de chrétientés en plein pays kurde. Avec le développement du christianisme elle a subi les contrecoups de l'opposition entre Antioche et Alexandrie. Deux chrétientés schismatiques aux yeux de Rome, les Nestoriens et les Monophysites antichalcédoniens s'y sont développées. L'Islam pénètre au XVIe siècle avec l'envahisseur ottoman. A partir du XVIIe siècle, des congrégations religieuses catholiques y œuvrent dans le désir de réunir à Rome. Syriens orientaux et Syriens catholiques, Arméniens apostoliques et catholiques, jacobites, nestoriens - 5 ou 6 catégories cohabitent. Les échanges se font en fonction de l'appartenance religieuse. A partir du XIXe siècle les Arméniens de Mardin sont pratiquement tous catholiques. Mardin est une ville kurde abritant les notables des grandes tribus kurdes. Dans le vilayet de Diarbékir, les Kurdes ont beaucoup massacré en 1895. A Mardin musulmans et chrétiens ont offert ensemble une bonne résistance aux agressions des Kurdes.
Première Guerre mondiale Août 1914 : mobilisation générale dans l'Empire ottoman. C'est la chasse à l'homme. Ni les Turcs ni les Arméniens ne veulent subir la conscription. En mars 1915 la situation change à Mardin. Le Vali est remplacé par un circassien, le DR Rechid, chef des assassins, homme de confiance du gouvernement. Des réunions secrètes de notables, de militaires, de miliciens sont organisées par le secrétaire responsable. Les Kurdes mandatés par le Dr Rechid joueront un rôle essentiel. Les tribus ont été visitées ; chacune a son territoire de destruction. Souvent on leur amènera les victimes qui leur sont attribuées. A Mardin dès la fin de 1914 on assiste à des perquisitions, des arrestations sur dénonciation. On délègue à Mardin trois personnages identifiés par les témoins et qui seront présents à chaque convoi, à chaque destruction puisqu'il y aura 95% de morts. Les Arméniens comprennent qu'ils sont menacés. Les notables sont arrêtés, torturés pour avouer des caches d'armes imaginaires. Le 10 juin 1915 la déportation commence.
Le génocide lui-même 10 juin : premier convoi d'hommes. On dispose de 30 témoignages avec des descriptions hallucinantes. Ils partent de nuit, encadrés, en direction de Diarbékir et sont exécutés par petits groupes, Mgr Maloyan le dernier. La proposition de conversion à l'islam est faite systématiquement mais il n'y a pas d'abjuration. 11 juin : arrestation des notables et deuxième convoi. Un tiers de l'effectif est déjà exécuté lorsque des cavaliers apportent aux non-arméniens le pardon du Sultan. Donc il s'agit bien du génocide des Arméniens. Les autres catégories sont protégées et les Arméniens séparés des autres Chrétiens. Des témoignages innombrables évoquent la corruption et l'avidité des assassins. En juillet : convois de femmes, d'enfants, de vieillards. L'organisation est ignoble : on dit aux femmes que les maris, les pères sont bien arrivés, qu'elles vont partir les rejoindre. On leur conseille d'emmener leurs bijoux. Dès la sortie de la ville, ils sont confisqués. On assiste à des viols, des enlèvements. Beaucoup de femmes et d'enfants sont vendus dans les villages kurdes et soustraits ensuite aux recherches entreprises par les survivants. On a des récits détaillés de fins atroces avec des détails insoutenables.
Chroniqueurs La seconde partie du livre est une anthologie de témoignages. Les récits individuels se recoupent de façon significative. On fait disparaître toutes les familles, en commençant par les plus riches. Sur 10 500 Arméniens catholiques du sandjak de Mardin, il n'y aura que 300 survivants. Dans le village de Tell Armen, la population réfugiée dans l'église est donnée, livrée aux kurdes par la milice. Les caravanes qui pénètrent vers le nord ne ressortent pas vers le sud ; elles ont été détruites. La ville d'Alep se plaint du trop grand nombre de cadavres dans l'Euphrate. Beaucoup de corps sont jetés dans des puits profonds vers Nisibe ou Djeziré. Les camps sont des mouroirs. Les justes : ce sont les kurdes yezidis du Zinjar. On propose à Mgr Maloyan d'y fuir. Les Yezidis des montagnes du sud du Kurdistan accueillent les Arméniens. Après Les pères « chroniqueurs » qui restent jusqu'en 1916 observent la "vengeance de Dieu" : les Turcs installés sur les dépouilles des Arméniens meurent en nombre de maladie. Il s'agit du choléra dont l'épidémie est sans doute une conséquence de la souillure des puits par les cadavres arméniens qu'on y a jetés en quantité. En fait ce sont les exécutants qui sont frappés par les responsables. 1916 : Une fois le génocide passé, les assassins cherchent à terminer le travail. Mgr Tapouni, qui recherche les survivants, manque d'être assassiné. Les kémalistes chassent les chrétiens. De 1920 à 1929 : les kémalistes entreprennent l'élimination de la population arménienne survivante selon la technique suivante : les paysans sans terre sont regroupés dans des bourgs. En ville le travail leur est interdit. Ils émigrent en masse vers la Syrie sous mandat français. C'est ainsi que se bâtit Kamichlié avec une population mixte de Kurdes, d'Arméniens apostoliques et catholiques.
Les sept vilayets d'Anatolie orientale Dans sa conclusion le Dr Ternon insiste sur le fait que fournir des noms, retracer des aventures individuelles précises est pour lui très important. Chaque souffrance individuelle est un lien entre l'histoire locale et l'histoire individuelle. Des récits individuels relatant le même processus montrent qu'il y a eu organisation criminelle. Les circonstances détaillées de cet événement terrible et complexe sont plus importantes que le nombre des morts. Le dénombrement est la porte ouverte aux négationnistes car on peut toujours contester des chiffres. Mais des témoignages irréfutables, précis et concordants prouvent l'intention criminelle. Le Dr souhaite que le même travail soit entrepris pour les sept vilayets de l'Anatolie orientale, pour décourager enfin les turcologues qui dans le flou à la mode s'abritent derrière une approche générale de la « contextualisation » du génocide pour faire accepter l'inacceptable. Un grand merci à Yves Ternon pour cette soirée et pour l'ensemble d'une œuvre si généreusement consacrée à la catastrophe arménienne. Le talent du chirurgien et celui de l'historien s'unissent dans cette étude au scalpel de l'anatomie pathologique d'une destruction.
Le livre met en scène les quinze dernières années de l'Europe ottomane et les quinze premières années de la Turquie moderne. C'est aussi l'histoire des Ottomans depuis le XVIe siècle, et particulièrement l'histoire des Balkans. Il y est question, bien sûr, du génocide arménien et des responsabilités turques. Un travail minutieux et exhaustif sur un pays aujourd'hui candidat à l'Union européenne. C'est aussi une histoire de l'Europe au début du XXe siècle, histoire qui influe encore aujourd'hui sur les relations internationales. Du même auteur : Le Génocide des Arméniens ; Du négationnisme, mémoire et tabou
Critique de Raymond H. Kévorkian Voici quelques années, nous avions eu le plaisir de voir paraître une Histoire de l'Empire ottoman, ouvrage collectif publié sous la direction de feu Robert Mantran, dont les parties les plus contemporaines, rédigées par François Georgeon et Paul Dumont, montraient une timide évolution des universitaires turcologues qui s'y interrogeaient sur le mystère que constitue à leurs yeux la disparition soudaine des Arméniens ottomans entre le début de la Première Guerre mondiale et la prise de pouvoir des Kémalistes. Depuis lors, quelques travaux de Vahakn Dadrian et d'autres sont venus sans doute laminer les interrogations de certains chercheurs, même si " l'affaire Veinstein " a montré que dans le dossier arménien quelques historiens n'étaient pas toujours motivés par des scrupules historiographiques. Mais, au-delà de la question du génocide, l'historiographie de l'Empire ottoman telle qu'elle évolue depuis plusieurs décennies en Occident porte en elle-même des travers bien plus graves. Même si certains travaux montrent une certaine prudence lorsqu'ils abordent timidement l'histoire du génocide des Arméniens ottomans dans certains cas probablement motivés par la condamnation de B. Lewis et " l'affaire Veinstein ", il faut en effet relever une tendance générale à la "nationalisation du passé ottoman, dont l'héritage est devenu, par la volonté de Mustafa Kemal, un produit turc et uniquement turc. Toutes les autres composantes de l'Empire, et notamment les poids lourds grecs et arméniens, sont ramenées au statut de minorités spécialisées dans les fonctions économiques...
Ce prologue, nécessairement caricatural dans le cadre de ce bref papier, était d'autant plus indispensable qu'il touche au cœur du dernier ouvrage d'Yves Ternon, l’Empire ottoman : le déclin, la chute, l'effacement, qui vulgarise a grands traits les premiers siècles de l'histoire ottomane dans ses deux cents premières pages, avant de pénétrer dans le champ de prédilection de l'auteur dans les trois cents suivantes de la prise de pouvoir d’Abdul Hamid II à la mort de Mustafa Kemal. Cette deuxième partie est une relecture de l'histoire ottomane revisitée par un non spécialiste - c'est Yves Ternon qui le dit - qui revendique le droit d'observer les événements avec sa propre grille de lecture, c'est-à-dire avec moins de formalisme universitaire, mais avec plus de pragmatisme historique, en passant outre l'académisme de bon ton que l'on rencontre souvent dans les ouvrages généraux sur l'Empire ottoman. Ainsi, l'arrivée au pouvoir des Jeunes-turcs en 1908 et les guerres balkaniques de 1912-1913, dont les résultats désastreux contribuent à forger les orientations du nouveau pouvoir turc, sont observées sous un angle nouveau, dont le point de départ se situe ailleurs qu'à Istanbul, quelque part dans le monde " minoritaire " ottoman, chez ceux qu'on veut faire taire, dont la légitimité est suspecte jusqu'à nos jours. Le déroulement de la Première Guerre mondiale en Orient et, surtout, la mise en place de la Turquie kémaliste, sont deux thèmes particulièrement soignés par l'auteur. Dans les deux cas, il donne un aperçu magistral du contexte diplomatique, essentiel pour comprendre les événements, et souligne le lien organique - incestueux - entre Jeunes-Turcs et Kémalistes, les seconds étant les enfants des premiers.
On pourra aussi savourer un chapitre consacré au colonialisme européen s'épanouissant sur les dépouilles ottomanes avec un pragmatisme qui constitue une leçon d'histoire à méditer pour surmonter les angélismes qui perdurent dans certains milieux.
Bref, un ouvrage clair, bien rédigé, qui fera le bonheur de l'honnête homme qui s'intéresse à cet Empire ottoman dont bien souvent les grands-parents sont originaires. Pour les fidèles lecteurs d'Yves Ternon, un complément ottoman à ses travaux sur le génocide arménien.
Raymond H. Kévorkian Nouvelles d'Arménie Magazine, numéro 74
Dans son livre, Yves Ternon démontre comment les méthodes employées par les détenteurs d'un pouvoir pour perpétrer un génocide repose sur une base commune, entretenue comme la braise sur le feu : la peur de cet autre qu'il soit Arménien, Cambodgien, Juif ou Tutsi. Afin de réveiller l'homme des cavernes qui sommeille, en beaucoup d'entre nous et d'obtenir l'extermination souhaitée, il faut agiter les drapeaux rouges de la nation outragée, du territoire menacé, de l'intégrité culturelle ou de l'espèce en péril. Tous ces dangers fabriqués sont des mensonges officiels : ils pèsent d'un poids énorme de souffrance et de torture pour les coupables désignés. Plusieurs millions d'innocents ont perdu la seule vie qu'ils avaient sur eux, à cause de ces manipulations. Au Rwanda, par peur de perdre leur pouvoir, des Hutus, minoritaires et favorisés à une époque par les colons belges, ont déchaîné les massacres contre les Tutsis majoritaires. A partir de 1915, profitant de la fumée des champs de bataille de la première guerre mondiale, l'Empire Ottoman décida l'extermination des Arméniens dont la neutralité, face aux Russes, devenait alors une trahison, un crime méritant la mort. Les moyens à mettre en œuvre pour réaliser un génocide sont simples comme les ingrédients d'une bonne recette. D'abord, il faut mettre des rumeurs du passé : « Les Juifs est un peuple déicide, attiré par le pouvoir et l'argent ». Ensuite la propagande se saupoudre au présent. L'affiche de Manouchian était rouge de son sang. Au Rwanda la radio et la presse martelaient la population avec de « l'ethnisme raciale ». Puis vient le temps des nettoyeurs. Au Cambodge, les soldats idéaux, étaient des enfants vêtus de noir. Une kalachnikov en bandoulière, ils avaient entre 10 et 15 ans, mais ne craignaient ni la mort ni le meurtre. Comme on ne naît pas humain, ils n'avaient pas eu assez de temps et d'amour pour le devenir. Plus tard, face à l'histoire ou à la justice, les bourreaux justifieront l'injustifiable en dépouillant les victimes de leur innocence, à la fois non coupables et incapables de se défendre, pour les culpabiliser et se transformer eux, les assassins, en justiciers masqués ou en amnésiques persécutés.
Ce livre existe et c'est un bienfait. Yves Ternon en a pris l'heureuse initiative. Il nous semble d'abord destiné à faire mémoire. Mémoire des faits qui organisent et instillent aujourd'hui la négation du génocide des Arméniens. L'affaire de la nomination du négationniste Gilles Veinstein au collège de France, y occupe bien sûr une grande place, étant l'événement le plus récent en ce domaine. Mais, au-delà de la chronique des actes de dénégation qui affectent la catastrophe arménienne, c'est aussi un livre qui traite de façon plus large le "phénomène négationniste" qui frappe différents crimes contre l'Humanité. De ce fait, il provoque réflexion car l'affaire Veinstein n'est finalement que le prétexte à une analyse plus approfondie. Elle a relancé ou a été le révélateur de plusieurs réactions induites et de questions inattendues.
Rappelons que les démarches qui ont visé à empêcher l'élection de Veinstein au collège de France ont donné lieu de la part des universitaires français à une campagne de presse qui s'est terminée en sa faveur. Pierre VidalNaquet y a mis tout son talent, qui est immense, pour réaffirmer que son collègue de l'école des Hautes Etudes en Sciences Sociales n'est pas un négationniste. Tout cela est repris avec précision en dernière partie du livre sous l'intitulé "La phase médiatique de l'affaire". Or, voilà qu'Yves Ternon apporte la démonstration que Veinstein est bien un vrai négationniste. Il en dénonce le caractère "sophistiqué" qui s'appuie, entre autres, sur la technique de 1"'interruption du consentement" et l'intimidation de l'ultrapreuve". Celle-ci vise à introduire le doute, justifié ici au nom de la liberté de la recherche et de la pensée, alors qu'en réalité, elles poursuivent un tout autre objectif. Yves Ternon a le mérite d'être particulièrement clair là-dessus en clamant une vérité passée trop souvent sous silence, un silence qui évite le débat sur une question essentielle : "En fait, quel que soit l'objet de sa négation, celui qui refuse d'appeler génocide un génocide poursuit un projet politique". Il nous explique ce que cela veut dire respectivement pour le génocide des juifs et pour le génocide des Arméniens. L'affaire Veinstein a révélé que certains voulaient limiter le terme négationnisme au seul génocide des juifs. Yves Ternon écrit : "Dans la mesure où la négation d'un génocide s'inscrit dans un programme politique qui tend à préserver les bénéfices du crime ou à reproduire les conditions dans lesquelles il a été perpétré, faut-il réserver les qualificatifs de négationnisme et de négationniste à la seule négation du génocide juif et aux seuls auteurs de cette négation ?" La réponse de l'auteur est "non". Ce terme doit pouvoir s'appliquer à tous les négationnistes. Il s'inscrit à contre-courant d'autres qui pensent le contraire, ce qui expliquent en partie les prises de position d'intellectuels en faveur de Veinstein.
Un autre effet de cette affaire est d'avoir relancé, dans le milieu universitaire, le spectre de l'intervention judiciaire contre Bernard Lewis, et la réactivation de la logique installée par la loi Gayssot. C'est peu dire que nombre d'universitaires se sont déclarés en faveur de Veinstein au nom de la liberté, de la recherche et du respect des travaux des chercheurs. Sur cet argument, cela a donné un enchaînement étonnant : Pierre Vidal-Naquet défend Veinstein qui défend Lewis qui défend... les relations turco-américaines et Israël. Le premier de la série, conscience française de premier plan depuis la guerre d'Algérie, semble bien s'être égaré. La défense d'une liberté universitaire, nullement menacée, a pris le pas sur le fond du problème et sur la défense concrète de valeurs par ailleurs bien haut clamées. Les lettres écrites à Pierre Vidal Naquet et publiées dans ce livre, par Sadek Sellam, écrivain et islamologue et par Marc Nichanian, philosophe, sont absolument remarquables. On retiendra ici celle de Marc Nichanian qui fait une analyse des plus brillantes des contradictions profondes de Pierre Vidal-Naquet et démontre très finement le caractère absolument négationniste de Gilles Veinstein. Nul mieux que lui ne pouvait le faire et il l'a fait : une démonstration pourtant à portée d'esprit de Pierre Vidal-Naquet.
On ne saurait trop inviter à la lecture et la relecture de cette lettre et de l'ouvrage d'Yves Ternon : Du négationnisme, mémoire et tabou. Des textes très circonstanciés, des réflexions menées avec sérieux et honnêteté qui situent, avec force compétence, le génocide des Arméniens dans toute son actualité et dans les débats qui secouent les réflexions du moment sur les génocides. Fortement conseillé.
Mihran Amtablian, France-Arménie, numéro 196, janvier 2000
La réalité du génocide perpétré sur les Arméniens de l'Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale est encore contestée par certains islamisants. Après avoir retracé l'histoire du peuple arménien, l'auteur, au terme d'une longue enquête, démonte les mécanismes d'un anéantissement voulu d'en-haut.
Disponible à la Paroisse arménienne catholique 13 rue du Perche 75003 Paris au prix de 100 F + 10 F si frais d'envoi. Un samedi matin, un habitant du petit village de La Martre, dans le Haut Var, vient faire ses emplettes à Draguignan. Il se nomme Claude Olchowik. Il entre dans le magasin de tissus d'Edouard Maloyan, un Arménien né en France. Ils engagent la discussion sur le village, les Arméniens et l'abbé Chaperon, pendant longtemps curé de La Martre et un parent de Claude Olchowik. Ce dernier raconte avoir retrouvé des carnets de l'abbé Chaperon qui relatent sa vie d'aumônier militaire en Turquie et où il est plusieurs fois question des Arméniens. Mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, l'homme d'église servit dans les années 1920-1923, comme aumônier des troupes françaises d'occupation en Turquie, en Cilicie puis à Constantinople. Edouard Maloyan répond qu'il serait intéressant d'en publier des extraits.
Après un premier refus, Claude Olchowik confie finalement les précieux cahiers à Edouard Maloyan et à l'abbé Raymond Boyer, historien et archéologue de renom, qui a réalisé l'essentiel du travail scientifique d'édition du journal de l'abbé Chaperon. C'est lui qui a extrait des carnets les passages relatifs aux Arméniens, qui en a écrit le texte, l'a muni d'une introduction sur la vie et l'œuvre de l'abbé Chaperon, de notes explicatives, d'un index, de cartes et a fait le choix des illustrations. Signalons que l'abbé Boyer, devenu l'un des présidents d'honneur de l'Amicale des Arméniens de Draguignan et de sa région, maîtrise parfaitement l'arménien. Grâce à l'intervention de Mgr. Daron Géréjian, vicaire général des Arméniens du midi de la France, l'ouvrage a pu être édité grâce à l'Institut Euroméditerranéen pour l'Arménie, présidé par M. Ohan Hékimian.
Pour situer le journal dans son contexte, le Dr. Yves Ternon rédige une introduction historique, il y dresse un état des lieux en Cilicie où, des 1920, les troupes françaises se heurtent aux nationalistes turcs. Le lecteur peut alors entrer de plain-pied dans le Journal de l'abbé Chaperon divisé en deux parties : la vie quotidienne des troupes françaises en 1920 au camp de Katma, puis lors du siège d'Aintab, et les témoignages recueillis sur les déportations et le génocide des Arméniens en Cilicie, puis à Makrikeuy. bourgade toute proche de Constantinople, sur la mer de Marmara. Ce journal constitue la principale source de renseignements sur les actions de l'abbé Chaperon en faveur des Arméniens rescapés du génocide, en particulier des orphelins. Comme l'écrit Yves Ternon dans son introduction historique : « En Cilicie ,l'abbé Chaperon était un témoin de l'histoire. Ici, à Constantinople, il en devient, modestement, un acteur ».
Elisabeth Baudourian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 19, janvier 1997
Le XXème siècle aura eu le triste privilège de connaître la barbarie organisée, administrée, étatisée - dont le génocide reste la variante la plus affreuse. Qu'est-ce qu'un génocide ? Cet essai n'est pas un catalogue de l'horreur. Il est d'abord une tentative d'intelligibilité face à l'"Etat criminel". On y trouve les faits sur les génocides et autres massacres "génocidaires", de la Shoah aux violences de Bosnie et du Rwanda. Plus profondément, Yves Ternon, en utilisant les outils des différents spécialistes des sciences humaines, s'efforce de rendre raison du phénomène qui hante notre histoire contemporaine.
La province de la mort : archives américaines concernant le génocide des Arméniens, 1915
Titre :
La province de la mort : archives américaines concernant le génocide des Arméniens, 1915 / auteur(s) : Leslie A. DAVIS - trad. de l'anglais par Anne Terre . précédé de Lettre ouverte a Bernard Lewis et quelques autres / par Yves Ternon
Réunit les dépêches du consul américain L. Davis, qui relatent la déportation et les massacres des populations arméniennes en 1915 dans la province où il était en poste. Dans sa préface, Y. Ternon présente la position de Bernard Lewis, qui épouse aujourd'hui le négationnisme de l'Etat turc, après avoir évoqué, dans les années 60, la thèse sur le génocide des Arméniens.
A partir de l'analyse des documents officiels sur le génocide des Arméniens de 1915 - et notamment les télégrammes recueillis par Aram Andonian - Yves Ternon décrypte le processus infernal qui, de la préméditation à l'organisation de la négation du crime, assure à la fois une parfaite exécution de l'anéantissement d'un peuple et l'impunité d'un Etat responsable. L'intention formulée par les dirigeants jeunes-turcs, le plan d'extermination et de déportation des Arméniens, les modalités d'exécution (grâce à une Organisation spéciale parallèle), répondent parfaitement et par anticipation aux critères établis par la Convention sur le génocide votée par les Nations unies en 1948. Toutes les précautions imaginées par l'administration ottomane permettent toutefois aux gouvernements turcs successifs d'entretenir une politique de mensonge devant l'Histoire en assumant l'héritage d'une effroyable idéologie. Cette enquête et une démonstration minutieuse alimentée de la comparaison avec le génocide des Juifs éclairent les mécanismes propres au révisionnisme historique qui, dans le cas arménien, est le fait d'un Etat puissant : la Turquie.
Il est absolument faux de prétendre que les auteurs du génocide des Arméniens perpétré en 1915 étant morts depuis déjà longtemps, il suffirait à la Turquie de reconnaître la réalité historique de ce génocide et de tourner la page. La reconnaissance historique du génocide entraîne subséquemment la reconnaissance juridique.
Il y a eu génocide en 1915 et, en vertu de la résolution 2391 du 26novembre 1968 de l'ONU, le crime de génocide est imprescriptible, indépendamment de la date à laquelle il a été commis, même si les auteurs du crime ont disparu.
D'ailleurs, il est absurde de prétendre que les auteurs du génocide des Arméniens ont disparu : en vertu d'un principe immuable de droit, le mal perdure tant que ses effets durent.
Donc, tant et aussi longtemps que nos territoires historiques resteront usurpés par le Gouvernement turc, tant et aussi longtemps que nos biens resteront illégalement confisqués, le génocide continuera en Turquie.
Lettre d'Invitation, p. 5 Programme des travaux, p. 7
1 - SALVATORE SENESE, Discours d'inauguration, p. 11 2 - BAYKAR SIVAZLIAN, Les Arméniens : le visage d'un peuple, p. 21 3 - FRANÇOIS RIGAUX, Réflexions préliminaires sur le concept de peuple, p. 25 4 - JOE VERHDEVEN, Peuples et Droit international unité ou diversité, p. 35 5 - ANAHID TER MINASSIAN, Les éléments constitutifs de la culture arménienne, p. 71 6 - GIORGIO VERCELLIN, Rapport concernant les réalité arméniennes dans les sociétés orientales, p. 83 7 - RONALD GRIGOR SUNY, Quelque remarques sur le caractère national, la religion et la manière de vivre des Arméniens, p. 91 8 - OSHEEN KESHISHIAN, Rapport sur le situation des Arméniens aux Etats-Unis, p. 113 9 - YVES TERNON, Comment les Arméniens voient-ils l'avenir de leur peuple, p. 125 10 - ROUPEN BOGHOSSIAN, L'avenir du peuple arménien dans la Diaspora, p. 135
Postface par R. BOGHOSSIAN, Le droit des peuples, le droit au territoire et le peuple arménien de la Diaspora, p. 147 La Déclaration universelle des droits des peuples, p. 161 Quelques échos de la presse, p. 167
Les Minorités à l'âge de l'Etat-nation / auteur(s) : Gérard CHALIAND - Yves TERNON - Groupement pour le droit des minorités ; [sous la dir. de Gérard Chaliand]
Gérard Chaliand, qui a fondé en 1978, Le Groupement pour les Droits des Minorités en France, à donné à ce volume un avant-propos qui présente l'ensemble du sujet traité. "Entre les droits de l'homme, dit-il, qui défendent les droits des individus, et les droits des États qui règlent souverainement tout ce qui concerne leurs "affaires intérieures", les minorités n'ont guère de droits effectifs reconnus par la juridiction internationale". Et de conclure : "Le droit des minorités à être reconnues, non discriminées en droit et en fait et protégées, ne peut être dissocié des droits de l'homme. "
Un des éléments de l'ouvrage qui retiennent l'attention est l'excellente étude de Maxime Rodinson sur "La notion de minorité dans l'Islam". Autre chapitre notable: "La réponse soviétique au problème des minorités", de René Tangac. Dans cet État multinational, souligne l'auteur, la politique des nationalités va "de l'apparence égalitaire à la prééminence d'une tradition de l'État russe". Il estime toutefois que les républiques fédérées peuvent, "vaille que vaille maintenir leur génie national". Il faut relever toutefois qu'à la suite de la signature de René Tangac figure la note suivante (peut-être est-elle de Gérard Chaliand ?) : "Il n'en reste pas moins que l'emprise de la majorité russe et les impératifs centralisateurs du système soviétique portent atteinte d'une façon consciente et organisée, dans la lettre même de la Constitution, aux droits par ailleurs "garantis" aux "minorités".
La contribution d'Yves Ternon est un texte intitulé "Réflexions sur le génocide", qui constitue la partie la plus dramatique du livre par son tour d'horizon des vastes horreurs organisées un peu partout dans le monde.
Gérard Bédrossian, Cahiers arméniens ANI, N° 3 (1987)
Contributions de Gérard Chaliand, Jean Kehayan, A. Ter Minassian, Yves Ternon, Mehmet Kaya, Victor Leduc, Syamend Othman, Pierre Terzian
Sommaire Présentation, par Victor Leduc L'écho de Der-Zor, par Jean Kehayan Interview d'Yves Ternon Participation des Kurdes dans le massacre des Arméniens 1915, par Siyamend Othman La question arménienne aujourd'hui, par Pierre Terzian Une stratégie du possible, par Gérard Chaliand La dissidence en Arménie soviétique, par A. Ter Minassian Dépasser le nationalisme, par Mehmet Kaya Annexes
La genèse de ce livre, dont les différentes étapes se déroulèrent sur plus d'une année, fut pour nous une aventure passionnante.
Au printemps 1978, au cours d'une rencontre avec un collectionneur, Michel Chirinian, nous découvrîmes un lot de cartes postales arméniennes. Si nous connaissions le passé récent par la tradition orale de nos grands-parents et parents, réfugiés en France dans les années 1920 à la suite des massacres d'Arméniens pendant la Première Guerre mondiale, et si nous avions lu de nombreux témoignages et documents sur ces événements, nous étions loin de nous imaginer alors que de simples cartes postales pussent raconter par l'image l'histoire de nos ancêtres, nous donner ce parfum d'un "paradis" perdu, de ces terres éloignées et comme inaccessibles de l'Arménie.
Nous décidâmes de rencontrer Yves Ternon pour lui soumettre ces documents. L'auteur de "Les Arméniens, histoire d'un génocide" nous encouragea à poursuivre notre projet. En quête d'autres cartes, nous parvînmes à réunir un ensemble suffisamment cohérent qui, progressivement, s'assemblait sous nos yeux comme l'album qui faisait défaut aux Arméniens. Et Yves Ternon eut l'idée, lui qui n'est pas un Arménien, de raconter une histoire qui serait le fil invisible entre tous ces documents. Il conçut, à travers la narration d'un orphelin imaginaire, une fiction qui, en quelque sorte, nous redonnait des racines en diaspora.
Ces vieux papiers prirent leur place au sein de notre mémoire collective informulée. Et c'est pourquoi, dans cet album au caractère insolite et très particulier, l'esthétique le dispute à l'affectif.
Nous voulûmes, pour rester encore plus fidèles à la fiction de l'orphelin imaginaire, reproduire le texte en calligraphie manuscrite. Mais devant les difficultés techniques, nous eûmes recours à la photocomposition dans un style qui ne nous éloignait pas de notre idée. Il nous fallait également donner à l'image l'illusion de la grandeur nature. Aussi, avons-nous, pour conserver la valeur esthétique qu'elle possède, sacrifié les bords surchargés des vieilles cartes postales que, par ailleurs, nous avons reproduites intégralement sous forme d'index photographique.
"Arménie 1900" est le journal perdu du peuple arménien, le journal aux feuillets dispersés. A présent, de chaque côté du Mont Ararat, deux Arménies, celle qui subsiste autour de la province d'Erevan, l'Arménie soviétique actuelle, et celle qui, en Turquie, sur la plus grande partie du plateau arménien, fut dépeuplée, voisinent dans le silence ; la petite Arménie des vivants fait face à la grande Arménie des absents.
Cet album est devenu un peu le nôtre. Il sera aussi, probablement, celui de chaque Arménien, et pour les non-Arméniens une fenêtre ouverte sur une société engloutie. Il exprime, pour tout un peuple, une revanche inattendue de l'image sur cette "loi du silence" qui nous refusait des racines et nous plongeait dans un état partiel de non-identité.
C'est dire, malgré la vérité déchirante de certaines scènes, la signification que ce recueil revêt à nos yeux. Cette épopée de la vie quotidienne, tirée de l'oubli, comme réincarnée par l'image, est pour nous la réponse que nous apportons à la négation d'un peuple qu'on a voulu "en trop".
La série d'assassinats de diplomates turcs à travers l'Europe par des terroristes se réclamant d'organisations nationalistes arméniennes ramène l'attention sur un « génocide refoulé ». En effet, entre 1915 et 1917, les deux tiers de la communauté arménienne (plus de 1 200 000 personnes) vivant au sein de l'Empire ottoman, étaient massacrés par ordre du gouvernement Jeune-Turc. La première guerre mondiale offrait une occasion propice à l'élimination d'un peuple qui gênait les visées panturques des dirigeants de l'époque. Depuis l'instauration de la République kemaliste, au fil des gouvernements successifs, ce génocide a été nié par l'État turc. Gérard Chaliand et Yves Ternon ont rassemblé un choix de documents attestant les faits de façon irréfutable. Ils présentent la tragédie et commentent ses -prolongements jusqu'aux actions terroristes d'aujourd'hui. Les témoignages, restitués dans le contexte politique et psychologique de la première guerre mondiale, font revivre la façon dont ces massacres furent vécus tant du côté turc et allemand que du côté des puissances de l'Entente. Cet ouvrage éclaire et met en perspective le premier génocide du XX' siècle qui, depuis quelques. années, retrouve une actualité non seulement à travers la violence mais aussi par les changements progressifs de l'esprit du temps.