LA DEDICACE DE L'EDITRICE DE L'OUVRAGE Genre : Ce livre est un recueil collectif consacré aux "crimes contre l'humanité", à la violence génocidaire hier et aujourd'hui et à ses effets sur la vie politique, le langage, la culture, la pensée. 33 chercheurs de diverses disciplines y ont collaboré (droit, histoire, littérature, philologie, philosophie, anthropologie des discours et des représentations, psychanalyse). Note sur la responsable du volume : Catherine Coquio est Maître de Conférences en littérature comparée à Paris IV-Sorbonne. Elle anime depuis 1995 un séminaire dans le cadre de l'Association Internationale de Recherches sur les Crimes contre l'humanité et les Génocides. Nom des auteurs : Janine Altounian, Omer Bartov, Krikor Beledian, Georges Bensoussan, Daniel Binswanger, Jean Bollack, Alain Brossat, Monique Chemillier, Catherine Coquio, Claudine Kahan, Judith Kauffmann, R. Kévorkian, Judith Klein, Muhamedin Kullashi, Charles de Lespinay, Philippe Mesnard, Claude Mouchard, Denise Mendez, Georges Molinié, Véronique Nahoum-Grappe, Hélène Piralian, Myriam Revault d'Allonnes, Sadek Sellam, Marek Sliwinski, Yves Ternon, Etienne Thévenin, Tzvetan Todorov, Enzo Traverso, François Turner, Irving Wohlfarth, Laurence Woisard. Sujet : Le livre tente de frayer, à travers le retour accéléré des pires violences politiques, et le ressassement polémique sur ces questions, un espace de parole et de pensée possible. La phénoménologie des violences y conduit à une interrogation sur l'humain. Parler et penser ici, ce serait réfléchir le langage détruit par la déshumanisation, l'altération de nos pratiques discursives, et en contrepoint la valeur possible du témoignage.
Plan et résumé de l'ouvrage :
- Avant-propos d'I. Wohlfarth et C. Coquio. Place le livre sous le "regard" de l' "Angelus novus" de W. Benjamin, et de "L'Ange au sourire" d'Antelme.
- "Du Malentendu". Synthèse introductive de C. Coquio. Bilan des problématiques en fonction des avancées historiographiques, des débats théoriques et de l'actualité politique ; critique du ressassement polémique, dont la violence est mise en relation avec celle du déni génocidaire ; réflexion sur l'effet des conflits ou cloisonnements disciplinaires et communautaires, et sur la possibilité de les dépasser.
- Un entretien inédit d'Imre Kertész (écrivain juif hongrois rescapé d'Auchwitz).
I. Camps et génocides. Hier et aujourd'hui.
1) L'événement passé au présent (mise au point et bilans lexicaux et méthodologiques. Réflexions critiques sur le rapport politique/éthique, mémoire / recherche / engagement.
2) Concentration et extermination : la déportation génocidaire des Arméniens ; la famine planifiée en Ukraine ; le Cambodge mué en camp de concentration et l'élimination massive de populations ciblées ; "l'épuration ethnique" en ex-Yougoslavie et le génocide bosniaque.
3) L'Occident et ses doubles. Les traditions racistes de l'Occident chrétien et des Lumières ; le génocide rwandais ; les massacres algériens ; la question du colonialisme criminel.
II. Humain, inhumain.
1). Limites de la culture, discours de la limite. La question de l'indicible considérée sur le plan linguistique, littéraire, esthétique, cinématographique. Culture et barbarie, autocritique de l'art. Le statut de la littérature de témoignage confrontée avec la modernité littéraire. La littérature de langue arménienne et certains écrivains-témoins de la Shoah : P. Rawicz, P. Celan, I. Kertész.
2) L'homme témoin de l'inhumain. Les conditions et les formes du témoignage, la recréation d'une subjectivité et d'une communication à partir d'une langue et d'une communauté détruites. La négativité radicale de l'expérience des camps (Chalamov) ; la notion d'espèce humaine ( Antelme), la zone grise et la place de l'enfance (P. Lévi).
Annexe : chronologie détaillée de l'évolution du droit international en matière de crimes contre I'humanité, alternant avec une chronologie succincte des événements. Objectifs : - tenter une pensée transversale consciente des limites du "comparatisme" comme des débats focalisés sur l'unicité de la Shoah ; faire émerger des événements moins connus ; dépasser la comparaison des régimes totalitaires pour saisir la spécificité et l'actualité du crime génocidaire, son articulation avec le phénomène concentrationnaire. - faire entrer en relation l'approche "externe" et l'approche "interne" de tels événements, les recherches historiographiques et théoriques et les témoignages. Tout en respectant les singularités de chaque événement et la spécialisation des approches, dépasser les exclusives entre mémoire, politique, droit et histoire, approches "objectives" et "subjectives". - Tenter une compréhension critique du témoignage littéraire. Y montrer à l'oeuvre une critique de la culture et de l'art comme "documents de barbarie" (W.Benjamin). L'existence d'une poésie autocritique et créatrice, responsable par sa forme, réplique au verdict d'Adorno sur la poésie impossible après Auschwitz, ainsi qu'au motif de l'indicible. Par ce décentrement historiographique et culturel, on s'interroge sur ce que serait un "'héritage" humain de ces expériences d'inhumanité. Le propos sur l'inhumain s'en tient à la lecture serrée des témoignages, afin d'éviter tout universalisme abstrait, et de reconnaître la dimension linguistique au coeur du phénomène humain.
Note sur la contribution finale de C. Coquio : hormis la synthèse en introduction, elle livre sous le titre "'Parler des camps, parler au camp. Hurbinek à Babel", une réflexion sur la lecture du témoignage et le statut du langage au sein de la "zone grise", l'espace de la perte des repères éthiques au camp. L'allégorie, chez P. Lévi, de l'enfant muet Hurbinek qui tenta en vain de parler au coeur de Babel, et le phénomène du jeu des enfants à Auschwitz, commenté par Eisen, sont pris comme deux modèles d'humanité résiduelle qui échappent en partie, l'un par le relais d'un écrivain témoin, l'autre par une forme inédite d'innocence active, à l'emprise du mythe destructeur d'humanité.
Table des matières
- Questions en préambule.
- Catherine COQUIO. A propos d'un nihilisme contemporain. Négation, déni, témoignage.
1. ARGUMENTS.
I. Négation et témoignage
Frédéric WORMS. La négation comme violation du témoignage.
Marc NICHANIAN. De l'archive. La honte
Michel DEGUY. De l'incroyable.
Nicole LORAUX "Le brouillé dissimule un rêve".
(Texte précédé d'un avertissement de Patrice Loraux).
II. Négationnismes, révisionnismes
Enzo TRAVERSO. Révision et révisionnisme
Nadine FRESCO. Des illuminés imperméables : généalogie du négationnisme.
Albert HERSKOWICZ. L'antisémitisme aujourd'hui : au-delà de la négation.
Yves TERNON. Historien. Le spectre du négationnisme : analyse du processus de négation des génocides du XXe siècle.
Sévane GARIBIAN. La Loi Gayssot, ou le droit désaccordé.
III. Formes et fonctions sociales du déni
Pierre PACHET. Indifférence, fabulation et négation : les franges de la parole publique.
Véronique NAHOUM-GRAPPE. Anthropologie du regard oblique : le piège des diffractions.
Janine ALTOUNIAN. Emprise et démantèlement du déni. L'importance des délimitations dehors/dedans.
Bernard LEMPERT Le vote et le crime.
Luiza TOSCANE. Le statut de la victime dans les ONG : une expérience tunisienne
2. EVENEMENTS
IV. Turquie-Arménie-Kurdistan
Krikor BELEDIAN. Le retour de la Catastrophe (sur la littérature arménienne en 1918-1922).
Martine HOVANESSIAN. Anthropologie du témoignage et de l'histoire orale : traversée des lieux de l'exil et désappartenance.
Hélène PIRALIAN. Rupture de généalogie et identité perdue : du lien bourreau-victime
Mustapha OVAYOLU. Kurdistan : avis de recherches.
V. Génocides et camps nazis.
- Les camps et la Shoah.
Federica SOSSI. Témoigner de l'invisible.
Georges PETIT. La fin du camp de Langenstein, entre histoire et mémoire.
Aurélia KALISKY. Refus de témoigner, ou chronique d'une métamorphose : du témoin à l'écrivain
(Imre Kertész, Ruth Klüger)
- Le génocide des tsiganes.
Henriette ASSEO. Le statut ambigu du génocide des tsiganes dans l'histoire et la mémoire.
Marie-Christine HUBERT et Jean-Luc POUEYTO. Génocide et internement : histoire Gadjé et mémoires tsiganes.
VI. Aux marges de l'URSS
Jean-Louis PANNE. La négation de la famine en Ukraine (1932-1933).
Frosa PEJOSKA. L'écriture comme cénotaphe. A propos de Danilo Kis.
VII. Amérique du sud : la disparition.
Pilar CALVEIRO. La mémoire comme virus. Camps de concentration et disparitions des personnes en Argentine
Jean-Louis DEOTTE. Les paradoxes de l'événement d'une disparition.
VIII. Extrême-Orient.
- Japon
Claude MOUCHARD. Le poème et l'advenu : écriture, liens, réels chez Takarabe Toriko
Mehdi CANITROT. L'écriture d'Hiroshima : un exemple de déni culturel.
- Cambodge
Richard RECHTMAN. Produire du témoignage : à propos du film de Rithy Panh, S.21. la machine de mort Khmer rouge.
IX. Israël-Palestine.
Saleh ABDEL JAWAD. Les témoignages palestiniens entre historiographie israélienne et historiographie arabe : le cas de 1948.
Franklin NARODETZKI. Le traitement de la réalité : de la Bosnie à la Palestine.
X. L'"épuration ethnique" en ex-Yougoslavie.
Catherine COQUIO. Violence et déni dans la littérature : l'ultranationalisme serbe.
Sineva KATUNARIC. Dans les abris et sous les décombres : aperçu sur une littérature croate.
XI. Le génocide des Tutsi du Rwanda.
Louis BAGILISHYA. Discours de la négation, dénis et politiques.
Jean-Pierre KAREGEYE. Rwanda. Le corps témoin et ses signes.
Speciosa MUKAYIRANGA. Sentiments de rescapés.
XII. Afrique-Antilles : après l'esclavage et la colonisation.
Yolande GOVINDAMA. Déni de l'esclavage et sa fonction dans le lien social et la dynamique psychique (Antilles-Réunion).
Mongo BETI. Repentance (De la France et du Cameroun).
Nils ANDERSSON. Le témoignage dans le travail d'histoire : l'exemple algérien.
Fatiha TALAHITE. L'histoire jugera... ou le procès déplacé.
François-Xavier VERSHAVE. Criminalité économique et crimes contre l'humanité en Afrique : une synergie occultée.