INTRODUCTION
Le présent recueil de documents a trait à un projet concernant l'établissement à Erivan, en vue d'un travail productif, d'environ 25.000 Arméniens dont, approximativement, 10.000 se trouvent actuellement à Constantinople et 1.000 en Grèce. La réalisation de ce plan permettrait d'établir effectivement le nombre de réfugiés sus-indiqué et, peut-être même, un plus grand nombre encore. Si son exécution était couronnée de succès — comme il y a tout lieu de le supposer, une fois trouvés les fonds nécessaires pour le mettre en œuvre — ce projet pourrait être complété par d'autres entreprises du même ordre et constituerait certainement une contribution importante à la solution pratique du problème arménien.
Il ne rentre pas dans le cadre de cette Introduction de décrire les événements qui se sont produits peu de temps après la fin de la grande guerre. Il est inutile de rappeler l'offre d'un mandat sur l'Arménie, faite aux Etats-Unis d'Amérique, l'invitation, adressée au Président Wilson, de déterminer certaines frontières de l'Etat arménien projeté, ainsi que les dispositions du Traité de Sèvres. Lorsque le Traité de Sèvres a été définitivement écarté, d'autres propositions ont été formulées en vue de porter secours aux Arméniens, grâce à des mesures d'ordre international. L'historique de la question, dans ses rapports avec l'œuvre de la Société des Nations, à partir de septembre 1924, est donné dans le résumé ci-après et pleinement mis en lumière à l'aide de tous les documents pertinents.
En septembre 1924, l'Assemblée adopta une résolution (page 140), invitant le Bureau international du Travail, en collaboration avec le Dr Nansen, à procéder à une enquête ayant pour but d'étudier la possibilité d'établir, en grand nombre, les réfugiés arméniens au Caucase ou ailleurs.
En conséquence, le Bureau international du Travail constitua une commission restreinte d'experts, présidée par le Dr Nansen et qui fut chargée de préparer un rapport sur les diverses propositions relatives à l'établissement des réfugiés. Cette Commission comprenait M. G. Carle, expert recommandé par le Ministère français de l'Agriculture, M. Dupuis, ancien Conseiller auprès du Ministère égyptien des travaux publics, et M. Savio, expert recommandé par le Commissaire italien à l'émigration.
En juin, elle visita l'Arménie, et, grâce aux facilités offertes par les Gouvernements des Soviets russe et arménien, et à l'assistance des représentants locaux de la Croix-Rouge internationale, de l'« Armenian (Lord Mayor's) Fund, et du « Near East Relief », elle procéda à une enquête à Erivan.
Le rapport du Comité aboutit (page 70) aux principales conclusions reproduites ci-après:
Il y avait environ 10.000 Arméniens de Grèce et 5.000 Arméniens de Constantinople qu'il était désirable de rapatrier aussitôt que possible en Arménie. Si l'Arménie ne recevait aucune aide en vue du développement de ses ressources naturelles latentes qui étaient considérables, il lui était impossible d'accueillir un nombre important de réfugiés et de les établir d'une manière satisfaisante.
Les quatre projets d'établissement indiqués ci-après furent examinés par la Commission du Dr Nansen:
1° Irrigation de la plaine de Sardarabad, située à 50 km. à l'ouest d'Erivan;
2° Irrigation des régions des Kirrs, situées immédiatement à l'est et à l'ouest d'Erivan;
3° Drainage et irrigation du Kara Su;
4° Drainage et irrigation des marais de Zangabassar, au sud-ouest d'Erivan.
Le premier de ces projets fut rejeté comme inapproprié, en raison des frais élevés et du temps considérable que demanderait son exécution; les autres projets furent recommandés, après avoir été examinés par les experts, qui, toutefois, ne furent pas en mesure d'aboutir à des conclusions définitives, étant donné que les plans concernant les travaux d'irrigation envisagés n'avaient pas encore été établis d'une manière complète.
Le plan en question prévoyait l'irrigation et le drainage d'environ 33.000 déciatines de terres, soit 36.000 hectares, moyennant une dépense évaluée à 6 millions de roubles. On estimait qu'au moins 25.000 personnes pourraient être établies sur ces terres et qu'une dépense supplémentaire de 3 millions de roubles serait nécessaire, au titre des frais de premier établissement.
On proposait que les sommes nécessaires fussent obtenues au moyen d'un emprunt à long terme pour lequel le Gouvernement arménien serait disposé à fournir des garanties, en accordant, d'autre part, certaines facilités aux réfugiés.
La Commission aboutit, en outre, à la conclusion que, sur les terres ainsi irriguées, 25.000 réfugiés au moins pourraient être établis, et que l'on pourrait ainsi aborder la solution du problème général de l'Arménie, concernant la possibilité éventuelle pour d'autres réfugiés arméniens, et, d'une manière générale, pour les Arméniens se trouvant à l'étranger, de s'établir, s'ils le désiraient, dans la République d'Arménie qui devait être considérée comme le seul foyer national existant et possible pour les restes dispersés du peuple arménien (page 74).
Le rapport fut soumis, en septembre 1925, à la sixième Assemblée, et discuté à la cinquième Commission (page 172), ainsi qu'à l'Assemblée, d'abord à. l'occasion du rapport sur l'œuvre du Conseil et le travail du Secrétariat (page 183), et, en second lieu, à l'occasion du rapport de la cinquième Commission (page 193).
Le rapporteur indiqua que deux difficultés faisaient encore obstacle à la mise à exécution du projet. La première était la suivante: le projet n'avait été établi que dans ses grandes lignes, et les experts avaient formulé certains doutes ; une nouvelle enquête devait être effectuée de façon à savoir si les travaux pouvaient être entrepris d'après le dit projet. La seconde difficulté consistait à se procurer les sommes destinées à rendre possible la mise à exécution du plan d'établissement.
En conséquence, la Commission proposa une résolution qui fut adoptée par l'Assemblée (page 206). Cette résolution invitait le Conseil à désigner une Commission restreinte qui serait chargée de s'assurer définitivement de la possibilité technique de mener à bien l'entreprise proposée, et qui aurait la faculté, si le projet se révélait réalisable, de poursuivre, sous le contrôle du Conseil, toutes les négociations nécessaires en vue d'obtenir les ressources indispensables.
La Commission, qui fut nommée par le Conseil, fut présidée par M. Pams, ancien Ministre de l'Intérieur de France. Elle comprenait le Dr Nansen, sir Murdoch MacDonald, K . C . M . G., C.B., ancien sous-secrétaire d'Etat aux Travaux publics en Egypte, M. Bergmann, ancien sous-secrétaire d'Etat au Ministère des Finances à Berlin, et M. Conti Rossini, ancien Secrétaire général du Trésor italien.
La Commission envoya immédiatement deux personnes en Arménie, l'une, le capitaine Quisling, pour servir d'agent de liaison avec les Gouvernements d'Erivan et de Moscou, et l'autre, M. Wm. McIntosh, ingénieur expert, qui serait chargé de surveiller l'achèvement des plans relatifs à l'irrigation. Il fut convenu qu'en raison de sa compétence spéciale en tant qu'expert de réputation mondiale, les aspects techniques du projet seraient spécialement étudiés, au nom de la Commission, par sir Murdoch MacDonald.
Le capitaine Quisling séjourna pendant quatre mois à Erivan, et pendant deux mois à Moscou. Au cours de son séjour, il adressa à la Commission plusieurs rapports (page 32) qui contenaient d'utiles renseignements sur la situation générale du pays au point de vue financier et économique.
M. McIntosh travailla d'une façon continue à Erivan pendant environ six mois, en étroite collaboration avec les ingénieurs arméniens sur lesquels il exprima une opinion très favorable. Son rapport (page 215) fut finalement présenté à la Commission par l'intermédiaire de sir Murdoch MacDonald en mai 1926. Ce rapport est d'un caractère hautement technique, mais il a été inséré dans le présent volume, car il est susceptible de fournir des renseignements aux personnes possédant des connaissances en matière de travaux publics et qui désireraient s'intéresser au projet en question.
Les principales conclusions qu'il convenait de tirer de ce rapport furent résumées par sir Murdoch MacDonald, adoptées par la Commission et insérées dans le rapport de celle-ci:
Ces conclusions sont les suivantes:
« i. Le plan d'irrigation et d'établissement tel qu'il est élaboré en ce moment est techniquement acceptable.
« 2. Ce plan serait possible du point de vue commercial en ce sens que, si l'on pouvait disposer de garanties suffisantes pour obtenir un emprunt permettant d'effectuer la tâche d'irrigation et d'établissement des réfugiés, les produits de la terre paraissent être suffisants pour assurer le service de la dette et l'amortissement du capital.
« 3. Sur les moyens de réalisation financière, la Commission n'est malheureusement pas en mesure de faire des recommandations positives.
« La seule garantie de la Banque d'État soviétique ne semble pas suffisante pour obtenir l'emprunt nécessaire. En effet, les capitalistes disposés à l'emprunt envisagé s'attendraient, comme dans tous les emprunts de ce genre, à recevoir des sûretés qui garantissent le paiement des annuités et l'amortissement du capital. A moins que cette garantie ne soit assurée par les gouvernements des pays qui s'intéressent au problème arménien, elle doit provenir de l'Arménie elle-même ou de la Fédération soviétique. Dans cette hypothèse, les sûretés doivent se présenter sous une forme telle que leur conservation et leur réalisation éventuelle n'exigent de la part des créanciers aucune intervention sur le territoire ni dans les affaires du Gouvernement débiteur, et puissent, au contraire, se régler sur le territoire des pays prêteurs. Il en est d'autant plus ainsi que les terres fertilisées par les travaux projetés ne pourraient pas servir de garantie réelle pour les prêteurs si la législation locale soustrait le sol à l'appropriation individuelle telle qu'elle se pratique dans les autres Etats.
« 4. Il apparaît d'ailleurs à la Commission qu'un appel éventuel à l'aide extérieure s'expliquerait mieux si la Société des Nations avait préalablement épuisé toutes les possibilités de rapatrier les Arméniens déshérités, par le concours des Arméniens plus favorisés qui se trouvent dans les grands centres commerciaux et financiers du monde entier. Il semble impossible que ces Arméniens, s'ils y sont invités avec toute l'autorité morale dont dispose la Société des Nations, ne répondent pas volontiers, et facilement, à l'appel qui leur serait fait en faveur de leurs compatriotes infortunés. La Commission n'a pas qualité pour prendre cette initiative, du moins sans un mandat de la Société des Nations. Elle suggère ce moyen comme un procédé naturel, équitable et rapide.
« 5. Avec ces conclusions, la Commission estime qu'elle a épuisé les possibilités d'action qui lui ont été conférées par son mandat. »
En dehors de ces enquêtes spéciales, la Commission engagea des pourparlers avec les représentants du Gouvernement arménien et du Gouvernement central de Moscou au sujet de la garantie éventuelle d'un emprunt destiné à fournir les ressources nécessaires.
Le résultat final fut le suivant : le Gouvernement central consentit à ce que la Banque d'Etat de Russie donnât sa garantie pour un emprunt de ce genre, mais il était évident qu'aucune autre garantie d'ordre intérieur ne pouvait être accordée. La Commission ne se crut pas qualifiée pour examiner plus avant la situation financière, ni pour exprimer une opinion sur le point de savoir si, dans ces conditions, un emprunt public serait possible. De toute évidence, il était inopportun de prendre les mesures ultérieures indiquées par l'Assemblée, avant que cette question eût été examinée.
La Commission suggéra toutefois que, si le lancement d'un emprunt public ordinaire était impossible, il se trouverait peut-être des associations philarméniennes privées et des particuliers qui seraient disposés à fournir les sommes nécessaires.
En conséquence, lorsque le rapport de la Commission fut examiné par le Conseil, celui-ci décida de renvoyer au Comité financier les questions d'ordre financier que comportait le projet. Ce Comité rendit compte (page 120) que, étant donné les garanties indiquées dans le rapport de la Commission pour l'établissement des réfugiés, il ne pouvait recommander au Conseil de s'associer à un emprunt, suivant les mêmes modalités qui avaient été adoptées dans le cas d'autres projets au sujet desquels la Société avait accepté certaines responsabilités. Le Comité suggérait toutefois que, si l'on pouvait obtenir de sources privées l'argent nécessaire, sous forme d'emprunt ou de don, le Conseil pourrait, si une demande lui était présentée à cet effet par les parties intéressées, accepter de désigner une personne ou des personnes qualifiées pour veiller à ce que les sommes recueillies fussent utilisées conformément aux conditions du projet
Le rapport du Comité financier fut examiné par le Conseil au cours de sa session de septembre, c'est-à-dire au moment où l'Assemblée tenait sa septième session. Le Conseil décida en conséquence (page 139), de renvoyer la question à l'Assemblée. Cette question fut discutée à la cinquième Commission (page 172) et, sur la recommandation de cette Commission, l'Assemblée adopta à l'unanimité une résolution demandant au Conseil « d'envisager la possibilité de constituer, après enquête, un petit Comité afin d'étudier la possibilité de recueillir les fonds nécessaires », et décidant « le vote d'un crédit permettant au Dr Nansen ou à son représentant de présenter des propositions à des souscripteurs possibles en Europe ou en Amérique ».
CONCLUSIONS.
Cette brève étude des conditions dans lesquelles la Société a été associée à cette question aura suffisamment expliqué les circonstances qui ont rendu nécessaire d'avoir recours à des sources privées, afin de se procurer les sommes nécessaires pour l'exécution du projet. A certains égards, la situation est maintenant beaucoup plus nette qu'elle ne l'a été à un moment quelconque depuis que le problème de la création d'un foyer national pour les Arméniens s'est posé devant la Société.
Il convient d'attirer particulièrement l'attention sur les principaux facteurs de la situation qui sont énumérés ci-dessous:
z. Après une enquête très approfondie, un projet a été préparé avec l'aide d'experts choisis à l'extérieur. Ce projet est certifié être parfaitement réalisable du point de vue technique. Moyennant une dépense d'environ 1 million 1/2 de livres sterling, il permettra l'irrigation de toutes les terres nécessaires, ou même d'une superficie plus considérable. Ces terres seront ainsi rendues productives, et 25.000 réfugiés au moins pourront être rapatriés en Arménie et établis sur les terres en question.
A la suite d'une enquête minutieuse, on est arrivé également à la conclusion que le projet est pratique du point de vue commercial, en ce sens que, si l'on peut obtenir des garanties adéquates au sujet de l'émission d'un emprunt destiné à couvrir les frais des travaux d'irrigation et les frais d'établissement des réfugiés, les revenus tirés des terres en question devraient suffire pour faire face au service de la dette et à l'amortissement du capital.
2. Le Gouvernement arménien et le Gouvernement central de-Moscou sont tous deux désireux de voir s'effectuer l'établissement des Arméniens dans la République d'Arménie, à Erivan et autour de cette ville.
Le Gouvernement arménien s'est déclaré disposé à accorder certaines garanties et facilités, indiquées dans le Rapport de la Commission Nansen (page 78), par exemple : exemption des droits de douane, transport gratuit des réfugiés sur les chemins de fer, concession gratuite de terres et exonération d'impôts au début de la période d'établissement.
Le Gouvernement central a déclaré (page 30) que la Banque centrale accorderait sa garantie pour un emprunt destiné à fournir les sommes nécessaires à la mise à exécution du projet.
3. En conséquence, si l'on peut obtenir les fonds nécessaires pour ces travaux de premier établissement, il y a tout lieu de supposer que le projet, une fois mis en œuvre, suffirait à couvrir ses frais et constituerait un progrès important vers la solution du problème de l'Arménie.
Table des matièresI. INTRODUCTION 5
II. a) RAPPORT DE LA COMMISSION D'ÉTABLISSEMENT DES RÉFUGIÉS ARMÉNIENS AU CONSEIL, LE 19 MAI 1926 13
b) RAPPORTS DU CAPITAINE QUISLING A LA COMMISSION D'ÉTABLISSEMENT DES RÉFUGIÉS ARMÉNIENS, NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1925:
i. Notes préliminaires relatives au budget de l'Union des Soviets 32
2. La situation financière de l'Arménie 34
3. Le régime foncier en Arménie. — Situation juridique 49
4. La Banque de crédit agricole 55
5. Estimations préliminaires de la valeur des récoltes que l'on peut escompter sur les territoires visés par le projet Nansen 55
6. Notes préliminaires sur la concession de Chiagour (Harriman) 53
7. Le paludisme en Arménie 59
C) RAPPORTS DU CAPITAINE QUISLING A LA COMMISSION D'ÉTABLISSEMENT DES RÉFUGIÉS ARMÉNIENS, FÉVRIER 1926:
1. Budget de la Transcaucasie 63
2. Note sur les récentes arrivées en Arménie de réfugiés arméniens (1925) 66
III. RAPPORT DU Dr NANSEN SUR UNE ENQUÊTE FAITE EN ARMÉNIE PAR UN COMITÉ D'EXPERTS SOUS L'ÉGIDE DU BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL (JUILLET 1925) 70
IV. RAPPORT DU COMITÉ FINANCIER AU CONSEIL, LE 9 SEPTEMBRE 1926 129
V. RAPPORTS ET DÉCISIONS DU CONSEIL, 1924-1926:
Décision du Conseil, 3o septembre 1924. . . . 131
Rapport de M. Bene et décision du Conseil, 26 septembre 1925 133
Rapport de M. Bene et décision du Conseil, 10 juin 1926 136
Rapport de M. Bene et décision du Conseil, 16 septembre 1926 137
VI. RÉSOLUTIONS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE, 1924-1926 140
VII. PROCÈS-VERBAUX DE LA CINQUIÈME COMMISSION DE L'ASSEMBLÉE, 1925 ET 1926 143
VIII. COMPTE RENDU DES SÉANCES PLÉNIÈRES DE L'ASSEMBLÉE, 1925 ET 1926 183.
IX. RAPPORT DE M. MCINTOSH, MARS 1926 215
X. INDEX DES DOCUMENTS AYANT TRAIT A L'HISTORIQUE DE LA QUESTION ARMÉNIENNE AU POINT DE VUE DE SES RAPPORTS AVEC LA SOCIÉTÉ DES NATIONS