« Mon père, qui avait dans sa librairie un imposant rayon théâtre, n’a jamais pris au sérieux mon désir de devenir comédien. Il assistait à toutes les représentations de notre troupe de théâtre mais il n’a jamais prononcé un mot d’encouragement ni même fait un commentaire. En revanche, il ne ratait pas l’occasion de ranger les acteurs au rang des clochards. Son jugement était définitif : « Il paraît qu’il va aller à Hollywood ! De toute façon, tout ce qui l’intéresse celui-là, c’est fumer, boire et courir les filles ! »
Mon père n’aurait jamais pu imaginer qu’un jour nous allions déménager à Hollywood et, père et fils, allions vivre sous le même toit. Entre-temps, la guerre du Liban, le temps qui passe et Hollywood s’étaient tous ligués pour mener une conspiration contre mes rêves d’acteur. Jusqu’au jour où, mes 30 ans passés, un beau matin, j’avais reconnu dans la glace, assagi et docile, l’enseignant dans une école arménienne le jour, et le comédien amateur la nuit.
Ma sœur Maral a été la première personne de notre famille à s’installer à Los Angeles. Un an avant le début de la guerre civile libanaise, un jeune homme de Los Angeles prénommé Armen est venu nous rendre visite un soir, accompagné des Varjabédian, nos voisins du troisième. En un mois, il a passé la bague au doigt de ma sœur et l’a emmenée en Californie. Quelques années plus tard, chargé d’une grosse valise bleu marine sentant la naphtaline, et de quatre sacs, je débarque à l’aéroport de Los Angeles, je rejoins Armen. Les trois premiers boutons de sa chemise défaits, une chaîne en or autour du cou, un rubis au doigt, une tonne de bagues, Armen très fier, m’a fait monter dans sa nouvelle Lincoln noire rutilante. En compagnie des chansons de Paul Baghdadlian, il m’a saoulé tout le long du chemin avec l’Amérique pays des merveilles, et puis… si vraiment je voulais faire du fric, ici personne ne m’en empêcherait. »