France-Arménie, numéro 73, novembre 1988
La vie politique française et ses partis de droite, de gauche, du centre, ne cesse d'interpeller les membres de la communauté arménienne, que ce soit par voie de presse, par voie télévisuelle, radiophonique, l'affaire prenant les plus grandes proportions lors des campagnes électorales. Cette participation à la vie du pays constitue un devoir civique et les Arméniens s'en acquittent comme la plupart de leurs concitoyens. Quant aux partis politiques arméniens, FRA Dachnaktsoutioun, S.D. Hentchakian, ADL Ramgavar, c'est le vide médiatique et le règne de la rumeur, du flou, de la confusion, en un mot de l'ignorance. Demandez à un Arménien non militant (ce qui représente la majorité), ce qu'est le parti Dachnak, le Hentchak, le Ramgavar et ce qu'ils font, il vous répondra de manière approximative voire erronée, s'il vous répond. De fait ces noms sont connus de la majorité des Arméniens, on vous dira par exemple que tel parent était de tel ou tel parti, sans plus. Un point significatif est que de nombreux Arméniens, par leur expérience personnelle, les souvenirs et témoignages de leurs proches, ont des partis politiques, une image figée, arrêtée sur une époque plus ou moins lointaine de l'histoire : ce sont les fédaï, l'Arménie indépendante, la période allant de l'entre-deux guerre à la guerre froide, au cours de laquelle les différents courants politiques arméniens se sont opposés, parfois violemment, sur la question de l'Arménie soviétique. Il en ressort une image peu favorable, engendrant méfiance et désintérêt vis-à-vis de partis ressentis comme anachroniques et fauteurs de division. Cette appréciation erronée provient en grande part du manque d'information relative à l'action présente, effective, des trois partis nationaux arméniens. Ceux-ci étendent leur activité à tous les niveaux de notre vie communautaire en diaspora, et comme Monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir, chaque Arménien, dès lors qu'il pénètre dans un milieu communautaire, est en rapport avec des militants ou des structures mises en place par les partis arméniens. Avec les Eglises, les trois partis nationaux et leurs organisations sœurs, sont les institutions constitutives de nos communautés, et les garants de leur pérennité.
Pour combler une lacune tout à fait préjudiciable et apporter les éclaircissements nécessaires à une meilleure compréhension de leur activité, France-Arménie entame avec ce présent numéro un grand dossier sur les partis politiques arméniens. L'histoire, l'idéologie, la cause arménienne, l'organisation interne et les militants, le rôle social et culturel, autant de points qui seront abordés successivement au cours des mois qui viennent. Hormis le fait qu'il s'agit d'une "première" dans notre presse diasporique, ce dossier a pour ambition , au-delà de tout esprit de polémique, de susciter l'intérêt d'un large public pour une question réputée d'accès difficile. Il faut tout d'abord battre en brèche ces prétendus arcanes d'un "monde des partis politiques" : nous n'avons pas affaire à un monde à part, extérieur à nous et fonctionnant en vase clos, mais nous nous y trouvons impliqués d'une manière ou d'une autre, dans notre destin d'Arméniens de France, ou plus largement d'Arméniens appartenant à une diaspora mondiale. Aujourd'hui comme hier, le peuple arménien ne peut être retranché des partis qu'il a engendrés et qui ont pour mission de le servir.
France-Arménie, numéro 73, novembre 1988
UNE HISTOIRE EN COMMUN
Une longue histoire commune lie le peuple arménien 0 ses partis politiques. Celle-ci débuta en 1885, avec la création du parti Armenagan, à Van, en terre arménienne, et se poursuit jusqu'à présent, en terre d'exil, à Paris, Los Angeles, Beyrouth... Entre ces deux points, trois événements capitaux : le génocide qui décima la population et les cadres politiques arméniens de l'Empire ottoman, la fondation de la république indépendante d'Arménie qui permit une réelle activité démocratique sous la conduite de la FRA Dachnaktsoutioun, enfin la soviétisation de cette même république, où le pouvoir fut confisqué par le parti communiste arménien et/ou russe. En fait on peut définir quatre périodes distinctes dans l'existence des partis Hentchak, Dachnak et Ramgavar. D'abord une période proprement révolutionnaire qui va de la création de ces partis jusqu'à la révolution jeune-turque de 1908 (pour le parti Ramgavar, il convient de lui substituer l'activité du parti précurseur Armenagan); la période de la participation au régime constitutionnel ottoman de 1908 à 1915; celle de l'Arménie indépendante de 1918 à 1920; enfin celle de l'exil en diaspora de 1921 à nos jours.
Le mouvement révolutionnaire
La naissance des partis politiques arméniens est liée au degré d'avancement de la Question Arménienne en ces années 1880-90, et plus particulièrement aux conditions de vie des Arméniens des provinces orientales de l'Empire ottoman. Celles-ci sont déplorables. Les paysans arméniens sont exploités, écrasés d'impôts abusifs, livrés aux exactions turques ou kurdes. La non-application de l'article 61 du Traité de Berlin (1878), qui engageait la Sublime Porte à réaliser des réformes sous le contrôle des Puissances européennes, consacre l'échec des démarches diplomatiques du Patriarcat et de la Bourgeoisie arménienne. Les partis arméniens sont nés en réaction à cette situation, dont sont largement responsables le régime ultra-conservateur du sultan Abdul Hamid et l'inertie des Grandes Puissances. Il convient toutefois de faire une distinction entre les partis Hentchak et Dachnak, et le parti Armenagan. Les deux premiers sont liés à l'intelligentsia arménienne du Caucase, le troisième à celle de l'Arménie Turque.
Les fondateurs du parti Armenagan sont des instituteurs, d'anciens élèves de Meguerditch Portoukalian ; imprégnés des idées de la Révolution française, ces libéraux souscrivent également au discours hautement patriotique d'un Khrimian Haïrig. Dans le Caucase, à Bakou et Tiflis, c'est surtout l'influence des socialistes russes et allemands qui a prévalu auprès des étudiants et des intellectuels.
Les étudiants, originaires du Caucase, qui fondent le parti Hentchakian, en donnant un tel nom à leur parti, traduisent leur filiation avec le populisme russe (Hentchak : Kolokol, "la Cloche", le journal d'Al. Herzen). Cette tendance au socialisme s'affirmera par l'adoption de l'idéologie marxiste, ce qui entraînera une scission au sein du parti en 1896, et la formation du Parti Hentchak Réformé, par des militants d'Egypte et de Turquie.
Le Dachnaktsoutioun est une "fédération" de cercles intellectuels de tendances diverses, populistes, marxistes, bakounistes, anciens adeptes de la Narodnia Volia (Volonté du peuple), et des Hentchaks qui maintiendront une union avec le Dachnaktsoutioun jusqu'en 1891. Il faut cependant attendre 1907 pour que le parti adopte un programme socialiste; la même année il adhère à la IIe Internationale.
Les trois partis s'accordent pour réclamer l'émancipation des Arméniens des vilayets orientaux ottomans, mais divergent sur la forme qu'il lui faut donner : les Hentchaks ont pour but la création d'un Etat indépendant, dans lequel en dernier lieu devrait s'établir un régime socialiste; le parti Dachnak est plus modéré et réclame seulement l'établissement des libertés démocratiques et de l'égalité pour les Arméniens. Son programme de 1907 ne prévoit que l'autonomie pour l'Arménie turque et russe; quant au parti Armenagan, il souhaite établir "la liberté nationale". Ce dernier est en fait surtout une organisation d'autodéfense, centrée à Van et qui a peu développé son idéologie.
L'action armée
L'action militaire, l'armement des paysans arméniens sont des impératifs pour les trois organisations. Des groupes de volontaires, armés jusqu'aux dents, sillonneront les montagnes d'Arménie jusqu'en 1908, afin de prendre la défense des paysans en butte à des exactions, mais aussi d'éveiller la conscience nationale du peuple : ce sont les fédaï ou haydouks. Leur épopée reste ancrée dans la mémoire populaire comme des symboles de courage et de sacrifice. Lors des massacres de 1894-96, ils assureront l'autodéfense des Arméniens à Van, Zeïtoun, dans le Sassoun... En 1905, à Bakou, les fédaï Dachnaks défendront la population arménienne contre les Tatars-Azeris.
Mais les partis Hentchak et Dachnak réalisent aussi d'autres opérations destinées à un plus grand retentissement. Les Hentchaks sont les plus actifs dans ce domaine; dès 1890, ils organisent une manifestation à l'église de Koum Kapou à Constantinople, sévèrement réprimée, mais poursuivent dans cette voie jusqu'en 1896, sans grand résultat, sinon une recrudescence des massacres. Les Dachnaks ont effectué deux actions d'éclat : la prise de la Banque Ottomane, destinée à alerter l'opinion mondiale sur les persécutions arméniennes, en 1896, et une opération de représailles contre une tribu kurde coupable de massacre, à Khanassor en 1897. Fait notable, les révolutionnaires arméniens, à l'avant-garde des peuples de l'Orient, vont internationaliser leur lutte en prenant part à trois révolutions : en effet en 1905, Hentchaks et Dachnaks participent activement à la révolution russe, dans le Caucase; en 1906-1908, les fédaï Dachnaks assurent le succès des libéraux iraniens, contre le Shah, dans l'établissement d'un régime constitutionnel. Enfin le Dachnaktsoutioun s'allie au mouvement révolutionnaire jeune-turc pour renverser le régime despotique du Sultan Abdul Hamid et rétablir la Constitution ottomane, ce qui sera chose faite en juillet 1908.
D'une révolution à l'autre
A partir de la révolution Jeune Turque, l'histoire des Arméniens et de leurs partis connaît une accélération prodigieuse. Dans l'espace de 13 années, de 1908 à 1921, les partis arméniens changent radicalement d'activité, disparaissent ou se renforcent, d'autres formations apparaissant, tandis que le paysage politique, avec la disparition des deux Empires russe et ottoman, est bouleversé de fond en comble. Nous sommes à l'orée d'un monde nouveau.
En 1908, le rétablissement de la Constitution ottomane devait théoriquement assurer des droits égaux à tous les sujets de l'Empire. Les partis arméniens sortaient de la clandestinité, déposaient les armes et obtenaient un statut légal. Le parti Armenagan disparaît à ce moment, tandis que se crée à Constantinople le parti Ramgavar, représentant de la bourgeoisie libérale. Les partis ont des députés au Parlement et négocient directement avec le parti "Union et Progrès' (Ittihad), au pouvoir, pour obtenir des réformes dans l'Est de l'Empire, avant de se rendre compte qu'aucun changement fondamental n'est à attendre de l'Ittihad. Le parti Hentchak est le plus clairvoyant, puisqu’en 1913 il juge que "l'objectif évident (de Ittihad) est d'assimiler mais également d'éliminer et s'il le faut d'exterminer les minorités composantes de l’Empire" et invite à se tenir prêt à l'autodéfense. De fait en 1915, la dictature du triumvirat Enver-Talaat-Djemal déclenche le génocide arménien, au cours duquel périt presque la totalité de la classe politique arménienne de l'Empire ottoman. Pour briser toute velléité de défense, les hommes politiques furent la cible prioritaire des Jeunes Turcs, et ceux qu'ils rendirent responsables des massacres, en arguant de prétendus complots, rebellions ou ententes avec l'ennemi russe. Le seul complot fut celui des Jeunes Turcs contre le peuple et les partis arméniens qui avaient choisi la voie de la légalité constitutionnelle et avaient à maintes reprises exprimé leur loyauté vis-à-vis de l'Etat ottoman. Le coup porté fut très dur, cependant la structure décentralisée, multinationale de ses partis politiques permit au peuple arménien de ne pas rester sans guide dans cette période difficile.
Une république indépendante d'Arménie
Après la révolution russe de février 1917 et l'abdication du Tsar Nicolas II, le pouvoir en Transcaucasie passe de l'administration russe aux partis représentants les trois grandes nationalités de la région, Géorgiens, Azéris et Arméniens. C'est à la F.R.A. Dachnaktsoutioun, parti arménien le plus puissant au Caucase, et surtout en Arménie russe, de prendre en main les destinées de la Nation.
La révolution bolchevik d'octobre et la conclusion de la paix entraînent le retrait des troupes russes du front turc. Il faudra toute la vaillance du corps d'armée arménien, composé de volontaires du Caucase et de Turquie, pour résister victorieusement à l'offensive turque, à Sardarabad, en mai 1918. Après la proclamation de la république indépendante d'Arménie, le 28 mai 1918, une vie démocratique peut enfin s'instaurer dans un Etat National arménien. Dans les conditions difficiles qui étaient celles de la jeune république, le parti Dachnak majoritaire s'appliqua en effet à respecter les principes démocratiques de son programme : des élections législatives eurent lieu en juin 1919, avec le droit de vote accordé aux femmes; les Dachnaks obtinrent 90% des voix, et les Socialistes-Révolutionnaires 5 %, les Populistes et les Sociaux-Démocrates boycottèrent les élections. Le gouvernement s'efforça tant bien que mal d'appliquer le programme socialiste du parti, notamment la réforme agraire, la création d'écoles publiques obligatoires etc., mais il manquera de moyens et surtout de temps.
La soviétisation
En effet, menacée au sud par les troupes turques de Mustafa Kemal et au nord par les Bolcheviks de Lénine, la république voit se développer en son sein l'agitation communiste. Les sociaux-démocrates arméniens de tendance bolchevik, que les statistiques soviétiques dénombrent à environ 500 personnes, à la fin de 1919, restructurent en janvier 1920 le comité arménien du parti communiste russe (Armenkom) d’Erevan ; un objectif lui est assigné : renverser le gouvernement Dachnak et créer une république soviétique d'Arménie, fédérée à la Russie. Son action est hautement subversive : il s’agit de développer le mécontentement populaire contre les Dachnaks, par la propagande révolutionnaire, des meetings, des manifestes. Le 2 mai, à Alexandropol, c'est une véritable insurrection des Bolcheviks contre l'Etat, mais elle tourne court, grâce à l'intervention des troupes loyalistes. L'attaque de l'armée kémaliste en septembre 1920, la déroute arménienne de Kars, obligent le gouvernement de Simon Vratsian à négocier la paix avec les Turcs à Alexandropol ; parallèlement le délégué du gouvernement russe à Erevan demande la soviétisation de l'Arménie. C'est ce moment que choisit une groupe de Bolcheviks arméniens pour pénétrer dans le nord du pays le 29 novembre, pour proclamer la république soviétique d'Arménie et appeler à son aide l'Armée rouge. Le gouvernement Dachnak, ne pouvant lutter sur deux fronts, se résout à la soviétisation, le 2 décembre. Le coup d'état bolchevik a réussi, mais il faudra une nouvelle intervention de l'Armée Rouge en avril 1921 pour le consolider. Le pouvoir en Arménie appartient désormais au parti communiste arménien et pour longtemps.
L'exil
Contraints de s'exiler, alors que sur le sol de la patrie, s'instaurait la dictature du prolétariat et du parti unique, les partis arméniens ont dû s'adapter aux nouvelles conditions qui s'offraient à eux. Le Hentchak sortait très affaibli de ces événements, car nombre de ses militants s'étaient ralliés au part communiste arménien, estimant que le programme de leur parti avait été réalisé par l'établissement d'un régime socialiste en Arménie. Quant au parti Démocrate-Libéral- Ramgavar, il s'affirma d'emblée comme un parti de la diaspora, puisqu'il fut créé en octobre 1921, au Caire, par la fusion des partis Ramgavar, Hentchakian Réformé et d'anciens membres du parti Armenagan. La FRA Dachnaktsoutioun, seul parti à avoir fait l'expérience du pouvoir, se posait en leader potentiel de la diaspora arménienne. Une nouvelle phase de l'histoire des Arméniens s'ouvrait, qui se perpétue jusqu'à nos jours, mais les événements qui ont précédé, depuis la période révolutionnaire, ne cesseront de peser sur le destin de nos trois partis politiques nationaux.
France-Arménie, numéro 74, décembre 1988
A LA POURSUITE D'UN DESTIN
L'activité des partis politiques arméniens de la diaspora diffère fondamentalement de celles des autres formations politiques. Hors d'Arménie, du pays dans lequel ils pourraient exprimer toutes leurs potentialités créatrices, fonctionner comme des partis politiques à part entière dans la mesure où cet Etat serait démocratique, les partis Ramgavar, Hentchakian et Dachnaktsoutioun se trouvent privés d'activités aussi essentielles que de mener une campagne électorale, de voir leurs membres siéger dans une Assemblée Nationale élue, de gouverner sur la base d'un programme lui-même approuvé par le peuple. Ces partis ont certes des adhérents, des militants, des sympathisants mais ils n'ont point d'électeurs. La république indépendante d'Arménie, durant sa brève existence de 1918 à 1920, avait permis un fonctionnement normal des institutions et des partis; sa soviétisation provoqua l'exclusion ou l'assimilation des mouvements politiques non-communistes. L'exil n'était pas une réalité nouvelle pour les partis historiques arméniens, confrontés qu'ils avaient été au despotisme des Empires russe et ottoman. Cependant les pays étrangers, qui avaient pu servir de "base de repli" aux dirigeants hentchaks et dachnaks, aux intellectuels libéraux, de points d'appui aux expéditions armées ou à l'activité des cellules clandestines en Arménie même, devenaient des terres d'accueil pour tout un peuple rejeté hors de sa patrie. Une Arménie turque pratiquement vidée de ses habitants arméniens, une république d'Arménie soviétisée, une diaspora naissante, tel était le nouveau champ d'action des partis politiques arméniens à partir de 1921.
En fait on peut définir deux axes principaux dans l'action des partis : l'un est socioculturel et vise à préserver l'identité arménienne des communautés de la diaspora, l'autre purement politique et porte sur les revendications nationales arméniennes. Hentchaks et Ramgavars, reconnaissant la légitimité de la République Socialiste Soviétique d'Arménie s'attacheront plus particulièrement à une œuvre "culturelle"; les Dachnaks, en revanche, lui associeront une lutte revendicative, légitimée par leur rôle dans le gouvernement de la république indépendante d'Arménie.
Le 2e volet de notre dossier sur les partis politiques arméniens est consacré à cet axe politique qui recouvre non seulement la poursuite de la Cause Arménienne mais aussi la manière dont chacun des trois partis se définit l'un par rapport à l'autre et par rapport à l'Arménie Soviétique.
Les partis Ramgavar, Hentchak et Dachnak, dont la coexistence remonte à 1908, entamaient en 1921 un exil, qui aujourd'hui, près de 70 ans plus tard, n'est toujours pas achevé. De fait leur destin s'est confondu avec celui des Arméniens de la diaspora. Hentchaks, Dachnaks et Arménagans s'étaient battus côte à côte pour l'émancipation des Arméniens de l'Empire ottoman et, en définitive, ils se retrouvaient en exil, pour une autre lutte : la survie. Le génocide et l'exode avaient vidé l'Arménie occidentale de sa population arménienne : elle ne pouvait plus être le lieu d'une action politique exception faite du soutien apporté par le parti Dachnak au soulèvement kurde en 1929-30- elle serait seulement l’objet de revendications, de démarches diplomatiques de la part des trois partis nationaux, dont le plus actif serait la FRA-Oachnakstoutioun dès 1921.
En effet les partis Hentchak et Ramgavar, jusqu'à la deuxième guerre mondiale, renoncèrent à toute action diplomatique, laissant ce rôle au gouvernement de la république soviétique d'Arménie. Celle-ci se montra vite très discrète voire inexistante sur ce point, sa politique extérieure étant elle-même subordonnée à celle de la Russie. Par le Traité de Kars (13 octobre 19211), l'Arménie soviétique renonçait à toute revendication territoriale en Turquie et lui abandonnait Kars et Ardahan; quelques mois auparavant, le 16 mars, un Traité d'amitié et de coopération turco-soviétique avait été conclu. Au nom du concept de l'amitié entre les peuples et de l'établissement de bonnes relations économiques, la Cause arménienne était sacrifiée sur l'autel du socialisme; pour Staline, celle-ci était définitivement résolue.
Survie et renaissance
Les directions des trois partis s'efforcèrent, avec succès, de créer les structures culturelles, sociales, politiques de la survie en diaspora. Cependant, si la préservation de la langue et de la culture arméniennes, l'aide aux réfugiés, rassemblaient les partis arméniens dans un même élan, il n'en allait pas de même des questions politiques. Ils avaient vécu différemment cette phase critique de leur histoire, de 1915 à 1921, et leurs divergences se cristallisèrent autour d'une question fondamentale : devait-on soutenir ou non le régime soviétique en Arménie ? Le parti S.D. Hentchakian, de par son idéologie marxisante, acceptait d'autant plus le nouveau régime que l'établissement du socialisme en Arménie réalisait son programme politique. Il faut cependant faire une distinction entre les militants hentchaks de Russie et ceux de Turquie ou de la diaspora. Les Hentchaks de Russie prirent fait et cause pour les Bolcheviks arméniens et en 1924 proclamèrent l’ "auto-liquidation" de leur parti, avant d'adhérer pour la plupart au parti communiste. Les Hentchaks de la diaspora, qui se réorganisèrent à Athènes en 1924, s'efforcèrent de préserver leur spécificité, notamment pour les revendications sur l'Arménie turque, tout en reconnaissant et en soutenant la république soviétique d'Arménie. Le parti Ramgavar-Azadagan (Démocrate-Libéral) fut créé en octobre 1921, par la fusion –principalement - du parti Ramgavar et du parti Hentchak Réformé ou Azadagan. Parti de la bourgeoisie libérale, attaché à la défense de l'Eglise arménienne, l'ADL Ramgavar apporta également son soutien au régime soviétique dès son premier congrès en 1922, "tout en poursuivant la Cause de l'Arménie occidentale". Les résolutions du Congrès de Paris de 1924 posèrent comme "objectif principal" : "l'aide matérielle et morale à l'Arménie". L'Union Générale Arménienne de Bienfaisance (UGAB), créée en 1906 au Caire par Boghos Nubar Pacha, une des grandes personnalités ramgavars, allait œuvrer à cette fin. L'engagement d'un parti conservateur aux côtés d'un régime communiste avait de quoi surprendre : les Ramgavars jugeaient en effet que sans la protection de la Russie, il n'y avait pas de survie possible pour un Etat arménien; c'est d'ailleurs toujours leur position. Contrairement aux deux autres organisations politiques, le Dachnaktsoutioun avait été en contact direct avec les Bolcheviks, dans le Caucase. Exilés par la force, pourchassés, déportés en Sibérie, les Dachnaks considérèrent les bolcheviks arméniens comme des ennemis de la nation, et des putschistes. C'est pourquoi en exil, ils combattirent le régime communiste au pouvoir. Pour eux, la Question Arménienne était loin d'être résolue, et au cours de ses congrès de reconstitution de 1923 à 1924 (Bucarest, Vienne, Paris), le parti Dachnak affirma son projet politique, : une Arménie indépendante, libre et réunifiée. La délégation de la République arménienne qui fonctionnait à Paris depuis 1919, continua à mener une action diplomatique jusqu'en 1965. Elle était le bras diplomatique d'un parti qui se considérait comme un gouvernement en exil.
Conflits
L'acceptation ou le refus, par les partis politiques arméniens, de la soviétisation de l'Arménie allait entraîner une situation conflictuelle en diaspora. Une lutte d'influence s'y déroula, dans laquelle Hentchaks et Ramgavars, alliés aux Communistes arméniens, s'efforcèrent de contrer la politique du Dachnaktsoutioun. Cette période troublée de l'histoire des partis arméniens qui va de l'entre-deux guerres à la fin de la Guerre Froide a laissé un fâcheux souvenir au sein des communautés arméniennes. Ces luttes fratricides ont détourné nombre de gens de l'engagement politique et ont nuit à l'image des militants. Mais somme toute faut-il relativiser cette opposition et la replacer dans son contexte : l'opposition des blocs soviétique et occidental. Les communistes arméniens, qui s'étaient efforcés d'éradiquer la présence dachnak en Arménie, étaient en fait les véritables adversaires du Dachnaktsoutioun et avaient tout intérêt à attiser les antagonismes inter partis : c'était une manière de neutraliser l'activité politique de la diaspora et de la placer dans un rôle de sujétion par rapport à l'Arménie soviétique. Les comités d'aide à l'Arménie (HOK) qui apparurent en diaspora dans les années 20, théoriquement chargés de recueillir une aide matérielle et financière et de favoriser l'établissement des réfugiés sur le sol de la Mère-Patrie, fonctionnèrent comme des organismes de propagande communiste et antidachnak. Le HOK serait d'ailleurs interdit au Moyen-Orient, et en France, avant de disparaître lors des purges staliniennes en 1937. Les temps forts des luttes inter-partis furent les années 30, la fin des années 50; elles atteignirent également l'Eglise Arménienne - qui fut touchée à cause de sa propension à jouer un rôle politique dans la diaspora; au Liban en 1958, profitant de la guerre civile, les milices des différents partis arméniens s'affrontèrent dans un conflit meurtrier... Epoque heureusement révolue mais non encore effacée des mémoires, où les accusations qui furent portées contre le Dachnaktsoutioun étaient entachées de cet excès qui caractérisait le discours stalinien : par exemple l'on accusait la FRA d'exciter à la haine raciale quand elle était seule à commémorer le génocide arménien, les 24 Avril !
Vers l'Ararat
Venant confirmer le lien étroit qu'entretenaient ces luttes partisanes avec l'évolution des rapports de force entre les Grandes Puissances, la deuxième guerre mondiale constituerait une accalmie, une période de relative unité entre les différentes formations politiques arméniennes. Il fallait défendre les intérêts supérieurs de la Nation dans cette nouvelle conflagration mondiale; en dépit de certaines prises de positions individuelles, les trois partis politiques se rangeraient dans le camp des Alliés contre l'Allemagne.
En 1945, la rupture du pacte d'amitié turco-soviétique et la revendication par Staline de Kars et d'Ardahan ravivèrent les espoirs de l'ensemble des Arméniens : des voix unanimes s'élevèrent de 1945 à 1947 pour réclamer le rattachement de l'Arménie turque à l'Arménie soviétique, des Fronts nationaux se formèrent dans les communautés de la diaspora, les partis intervinrent par de nombreux mémorandums auprès des Grands Puissances et de la toute nouvelle Organisation des Nations Unies. Le seul résultat tangible de cette campagne fut le rapatriement : de 1946 à 1947, environ 90.000 Arméniens provenant de tous les pays de la diaspora regagnèrent l'Arménie. Tous les partis ont soutenu cette œuvre patriotique mais les plus actifs furent les Ramgavars (et l'UGAB), les Hentchaks, et les communistes. Les Dachnaks y étaient favorables, tout en invitant à la prudence; ils n'étaient cependant admis à émigrer qu'à la condition de renier leur parti. Les responsables des autres formations politiques d'ailleurs choisirent de rester en diaspora : leur retour aurait pareillement signifié la perte de leur propre appartenance politique. Cette relative unité de revendication fut brisée par le "lâchage" de Moscou qui, en 1947 à l'ONU revendiquait Kars et Ardahan pour la Géorgie. Mais bientôt débuterait la guerre froide entre les Etats-Unis et. l'Union Soviétique, une guerre froide qui profiterait à la Turquie, alliée des Américains par son entrée dans l'OTAN en 1952, et ménagée par l'URSS qui en 1953, par la voix de Molotov déclarait que l'Arménie et la Géorgie n'avaient aucune revendication territoriale vis-à-vis de la Turquie.
La Cause Arménienne
En 1965, avec le dégel des relations Est-Ouest, les partis arméniens ont assoupli leurs relations et l'événement marquant de cette "réconciliation" est la célébration du cinquantenaire du génocide arménien. Le 24 avril 1965 fut l'occasion de manifestations et meetings unitaires pour les trois formations politiques, et d'une cohésion retrouvée face à la Turquie, l'ennemi déclaré, installé dans sa négation du génocide arménien et des frontières sûres de surcroît. Avec la formation des CDCA (Comité de Défense de la Cause Arménienne) par la FRA Dachnaktsoutioun c'était une impulsion significative qui était donnée à la poursuite de la Cause Arménienne; dotés d'un but précis : la reconnaissance du génocide arménien, ces organisations allaient conduire une activité continuelle, tendue vers la réalisation de leur objectif : leurs deux grands succès diplomatiques seront l'adoption du rapport Whitaker reconnaissant le génocide arménien par la Sous-Commission des Droits de l'Homme à l'ONU, et la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement Européen le 18 juin 1987. L'action des deux autres partis, également vivifiée en 1965, surtout celle des Ramgavars, n'a pas atteint une réelle ampleur, elle s'exprima à diverses occasions en soutien à l'activité du C.D.C.A. En Arménie même, en 1965 s'affirma une revendication populaire, insoupçonnée jusqu'alors; autorisée pour la première fois, la commémoration du génocide arménien donna lieu à une manifestation de 100 000 à 200 000 personnes, déferlant dans les rues d'Erevan aux cris de "Nos Terres !" et "Justice". Cet événement a certainement eu une influence sur le rapprochement des partis en diaspora; de même en Arménie la création du PNU (Parti National Unifié) en 1966, et son but avoué l'autodétermination de l'Arménie, s'inscrivait dans la ligne des idéaux défendus depuis 1921 par le Dachnaktsoutioun.
Au Liban, là où s'étaient déchaînés les divergences des partis, la reprise de la guerre civile amène, en 1975, les Comités centraux Ramgavar, Hentchak et Dachnak à se concerter, à adopter une plate-forme commune, toujours actuelle : la "neutralité positive"': elle consiste dans une politique de neutralité dans le conflit libanais et d'autodéfense des quartiers arméniens. Le soixantième anniversaire du génocide est commémoré de manière unitaire au Liban et aux Etats-Unis; et il en est ainsi jusqu'à maintenant. Même si les divergences demeurent toujours au sujet de l'Arménie soviétique, une tolérance s'est installée si bien que la célébration du 28 Mai (anniversaire de la République Indépendante d'Arménie) par les Dachnaks, celle du 29 novembre (anniversaire de la soviétisation) par les Hentchaks et les Ramgavars ne sont, plus ressenties comme des déclarations de guerre mais respectées en tant que choix.
En avant
Pourquoi cela n'a-t-il pas été le cas en France et a-t-il fallu attendre 1988, pour voir un 24 avril unitaire, rassemblant dans un même cortège, Hentchak, Dachnak et Ramgavar ? ; D'abord parce que les partis Hentchak et Ramgavar étaient insuffisamment implantés en France; ensuite parce que les communistes arméniens et le Dachnaktsoutioun étaient les deux protagonistes principaux tout à fait irréconciliables. De fait ce sont les événements du Karabagh qui ont mobilisé les trois partis politiques arméniens, unis dans la notion de parti national, c'est-à-dire de parti tourné avant tout vers le peuple arménien. Cette notion avait toujours était prônée avec force par le parti Dachnak et il n'est pas sans signification que l'initiative de la concertation soit venue de la FRA. La coexistence des partis, parfois conflictuelle, est devenue en quelque sorte une cohabitation, au prix de certaines concessions (voir F.A. de novembre : Editorial). Si en 1965 l'union s'est faite contre la Turquie, en 1988 elle se fait pour l'Arménie. Certes cette nouvelle ère politique est liée à la politique de Gorbatchev, à sa réussite ou à son échec mais sans doute un processus irréversible a été enclenché où s'inscrit l'avenir politique des partis Hentchak, Dachnak et Ramgavar, et celui du peuple arménien.
France-Arménie, numéro 76, février 1989
ORGANISES POUR VAINCRE
Un parti politique, n'est-ce pas avant tout une organisation, des gens organisés dans un but précis : exercer le pouvoir afin de réaliser le bien public, le bien du pays. Il va sans dire que le Parti Social Démocrate Hentchakian, l'ADL Ramgavar et la FRA Dachnaktsoutioun ne peuvent exercer un pouvoir effectif en diaspora, ce pouvoir étant le fait des gouvernements locaux, mais ils jouent un rôle d'encadrement des populations arméniennes. L'action des partis touche des domaines tels que la vie sociale, la culture, l'éducation, le sport, elle vise partout à préserver l'identité arménienne, à faire prendre conscience d'un destin collectif. De plus, agissant en groupe de pression auprès des autorités étatiques, ils défendent les intérêts particuliers des différentes communautés et de la Nation toute entière.
Au cours des deux précédents volets de notre dossier, nous avons suivi la formation des trois partis politiques arméniens, leur évolution tout au long de ce siècle, leur engagement dans le combat de la Cause Arménienne, il convient à présent, dans un dernier volet, de décrire ces partis dans la situation diasporique qui est la leur, en tant qu'organisations luttant sur deux fronts, l'un culturel, l'autre politique.
L'avenir des trois partis "historiques", Hentchak, Ramgavar et Dachnak, apparaissait bien compromis au lendemain de la soviétisation de l'Arménie. Et pourtant ils ont subsisté jusqu'à nos jours, avec des fortunes diverses qui tiennent au dynamisme de leurs membres, à leur programme, aux conditions locales. Cette ancienneté des partis est un aspect de la vie politique arménienne en diaspora, elle lui donne cette continuité et ce lien avec la terre ancestrale à travers l'histoire, mais aussi quelques archaïsmes. Un autre aspect important est leur implantation mondiale, qui fait qu'à Sydney, Boston, Le Caire et Paris on retrouve les mêmes groupements, les mêmes activités. A la base de la longévité mais aussi de la cohésion interne des trois formations politiques : l'organisation. Celle-ci est assez semblable d'un parti à l'autre : autour d'un comité central au niveau mondial, nous trouvons des comités régionaux pour un ou plusieurs pays et au-dessous, des comités par localités. Des congrès périodiques, rassemblant les délégués de tous les comités régionaux, définissent les grandes orientations du parti et élisent les membres du comité central, chargés de faire appliquer et de contrôler l'exécution des décisions qui ont été prises, d'autre part au niveau régional, des congrès, réunissant les délégués des comités locaux, élisent pareillement un comité central dont les activités sont subordonnées aux décisions du congrès mondial et de la direction mondiale du parti, et s'inscrivent exclusivement dans le cadre de la région concernée. On décèle tout de suite quel problème majeur doivent affronter ces partis "multinationaux" : celui de la centralisation ou de la décentralisation des pouvoirs.
Robert Tchoboian, membre du Comité Hratch Papazian de Lyon, nous explique comment le parti Dachnak a résolu cette difficulté : "II s'agit de se conformer aux grandes orientations idéologiques et de politiques générales, définies par le congrès mondial mais chaque pays a une grande latitude d'action pour essayer d'avancer dans le sens du programme (...) En France, l'activité est réglée par les rencontres entre le Comité Central et les différents "marmin" (Comités), par des circulaires, par des visites de membres du C.C. dans les groupes, avec parfois des directives. Il y a une assez grande décentralisation, la vie du parti est décidée par les camarades (...) Toutes les orientations viennent de la base et ce sont les majoritaires qui sont appliquées". De fait il y a une règle au parti : la discipline; elle n'exclut pas la discussion mais exige en dernier lieu qu'on se soumette aux décisions adoptées. Jacques Gochkarian, du parti Ramgavar, a ces mots pour qualifier un parti : "Sa particularité réside dans son sens de l'organisation, de la discipline et de la responsabilité qu'il transmet à ses membres". Une définition qui ne renieraient point Hentchaks et Dachnaks.
Une action socioculturelle
Confrontés au drame de l'exil, à celui d'une nation éclatée, de compatriotes vivant dans des conditions précaires et risquant de s'aliéner leur propre culture, les partis politiques arméniens ont réagi sans tarder; une action socioculturelle s'est développée, sous la conduite notamment d'intellectuels tels Chavarch Missakian, Levon Chanth, Nigol Aghpalian (FRA), Vahan Tekeyan, Archag Tchobanian, Levon Pachalian (ADL) etc... Cette activité, s'agissant de partis politiques, peut paraître inattendue, elle n'en était pas moins une nécessité, car, en l'absence d'un Etat pour les assumer, les partis arméniens se devaient d'exécuter eux-mêmes leurs projets culturels ou sociaux. Pour ce faire ils ont soit assuré directement ces activités par leurs clubs et maisons de la culture ou les ont confiées à des organisations parallèles créées par leurs soins ou appartenant à leur obédience. Dans la sphère d'influence du Dachnaktsoutioun, nous trouvons une organisation de bienfaisance et d'éducation : le HOM (1910) "Union d'Aide Arménienne", une organisation sportive et de scoutisme le Homenetmen (1918) "Union Générale Sportive Arménienne", et Hamaskaïne (1928) une association culturelle et éducative. Dans la sphère d'influence du parti Hentchak nous trouvons l'association culturelle Nor Seround et l'organisation sportive Homenmen (1921) "Union Sportive Arménienne". Dans la sphère d'influence du parti Ramgavar : nous avons l'association culturelle et éducative Tékeyan (1947) et l'UGAB (1906) "Union Générale Arménienne de Bienfaisance", qui a aussi des activités éducatives, culturelles, sportives. Mis à part l'UGAB qui, malgré une forte proportion de membres du parti Ramgavar parmi ses dirigeants, est une organisation indépendante, les autres organisations sont des branches des trois partis Dachnak, Hentchak et Ramgavar, même si statutairement elles sont distinctes. Ces organisations sont d'ailleurs formées sur le modèle du parti "frère". Elles ont un comité central situé à Beyrouth (sauf pour le HOM et l'UGAB dont les sièges sont aux Etats-Unis), et un grand nombre de sections ou de comités régionaux de par le monde. Ces organisations ne s'adressent pas à une clientèle précise mais à tous les Arméniens, sans distinction en ce qui concerne l'appartenance politique; ce fait mérite d’être souligné : la culture est ici un bien commun et il n'est dans l'intention d'aucun parti de se l'approprier de quelque manière que ce soit.
Une action politique
"L'objectif prioritaire de tout parti politique demeure dans la préservation de notre culture, de façon à préparer les membres de notre communauté à agir pour rétablir nos droits le moment venu", écrit Jacques Gochkarian, envisageant l'effet politique à plus ou moins longue échéance de l'action culturelle des partis. Les partis Dachnak et Hentchak conduisent une action beaucoup plus immédiate, en matière politique, notamment dans leurs rapports avec la jeunesse, que ne le fait le parti Ramgavar. Des organisations spécifiques aux jeunes ont été créées : ce sont les jeunesses de la FRA (en France, la FRA Nor-Seround, "Nouvelle Génération", créée en 1945), celles du parti Hentchakian.Pour prendre l'exemple des Norseroundagans, (16 à 24 ans) ceux-ci acquièrent une expérience du travail de groupe, sont formés peu à peu à des tâches politiques : ils participent aux manifestations, aux débats publics, parfois les organisent; nous sommes habitués à leur pugnacité au service de la Cause Arménienne et au dynamisme qu'ils tendent à insuffler autour d'eux. Ces organisations constituent en fait un réservoir, un canal traditionnel pour le recrutement des futurs militants des partis concernés.
L'ADL Ramgavar, parti de cadres et qui donc recrute peu, n'a pas développé ce genre d'organisation. L'expression politique est cruciale pour un parti, mais elle n'est pas possible dans toutes les communautés de la diaspora. Les démocraties occidentales permettent un libre jeu politique et ce sont ces pays qui comptent dans le devenir de la Cause Arménienne : la France, la Grande-Bretagne, la Grèce (où se trouve une partie du Secrétariat du Bureau Mondial du Dachnaktsoutioun), le Liban (où se trouvent l'autre partie du secrétariat du Dachnakstoutioun, et les Comités centraux des partis Hentchak et Ramgavar), le Canada, les Etats-Unis, l'Argentine, l'Australie.
Ailleurs comme en Egypte ou en Iran, les régimes autoritaires en place obligent les partis à se conformer à l'idéologie régnante.
Dans un autre ordre d'idée, alors que les conditions politiques le permettraient, les communistes arméniens ne se constituent point en un parti spécifique mais adhèrent aux PC locaux; la raison est idéologique : il s'agit de satisfaire aux principes internationalistes du communisme. Les trois partis historiques arméniens sont en complète opposition avec cette attitude : ils se disent nationaux, en cela qu'ils servent le peuple arménien et défendent avant tout ses intérêts. Si bien que les partis se sont longtemps tenus à l'écart des milieux politiques des pays d'accueil, justement pour préserver leur spécificité. Les choses ont évolué depuis un certain nombre d'années et les partis mènent une action auprès des gouvernements et des formations politiques autochtones, une action pour la cause arménienne mais aussi pour des questions culturelles (notamment vrai pour la FRA et l'ADL, moins pour le Hentchak qui se maintient dans une certaine réserve vis-à-vis des instances étatiques. Ainsi aux Etats-Unis, le 'lobby" (ou groupe de pression) arménien est actif auprès du Congrès américain, il appelle à soutenir tel ou tel candidat selon son attitude vis-à-vis du problème arménien; dernièrement l'ANC ("Arménien National Committee" ou commission de la Cause Arménienne de la FRA) et l'ADL ont soutenu la candidature de Michael Dukakis aux élections présidentielles; il a certes été battu mais les deux candidats démocrate et républicain ont à cette occasion publiquement reconnu la réalité du génocide arménien. En France, les contacts du Dachnaktsoutioun avec le parti socialiste ont permis de réels succès, au Parlement Européen notamment.
Nous voyons donc que l'action des partis nationaux arméniens, quand elle ne peut toucher directement son objet, devient en quelque sorte indirecte, par gouvernement et autres formations interposés. Nous remarquons cependant que les partis viennent sur le tard à cette pression sur le pouvoir et que celle-ci reste encore limitée.
Communauté et parti
Un pouvoir en place a ceci de particulier qu'il envisage avant tout ce qui peut le renforcer ou l'affaiblir. Les partis nationaux arméniens seront donc considérés en tant que poids politique, c'est-à-dire en nombre de voix, mais aussi en présence effective à tous les niveaux du tissu social et politique du pays concernée. Cela implique une ouverture sur le monde politique, mais également sur la société civile et plus encore sur la communauté arménienne elle-même. Depuis 1975, l'action politique a pris un tour nouveau, plein d'efficacité, dans le domaine de la Cause Arménienne, mais les comportements, ceux qui règlent les rapports des partis avec la communauté n'ont pas suivi. Il y a un manque flagrant de communication. Des efforts ont été faits dans le domaine de l'information, le parti Dachnak a notamment publié en 1986 les grandes orientations de son 23e congrès mondial qui s'était tenu en 1985, le parti Ramgavar a rendu publiques celles de son congrès mondial de 1988, mais, hormis le fait que la presse des partis, le plus souvent, vise à informer les militants eux-mêmes, ils ne peuvent suffire à combler l'attente d'un public non averti; il faut encore et toujours plus d'explications, des débats publics, des rencontres avec ceux qui ont charge des partis, pour que le monde des militants cesse d'être cette 'Terra Incognita" pour les autres. A cet égard il faut rendre hommage au travail que mène le CDCA pour expliquer son action et amener une dynamique dans la communauté, (et c'est lui en fait qui permet au dossier que vous lisez d'exister).
De fait de nouveaux rapports doivent s'instaurer entre les partis et la communauté, au premier rang desquels le débat électoral, proposé par le CDCA et dont les modalités restent à définir. Il permettrait l'élection d'une représentation nationale responsable devant toute la communauté et non pas devant les seuls partis.
De plus il permettrait cette interaction qui manque actuellement : du parti vers la communauté pour l'informer et la former politiquement et de la communauté vers le parti pour le faire évoluer,
L'organisation est à la base du parti mais la victoire, elle, passe par une mobilisation de toutes les forces.
LA PRESSE ENGAGÉE
Les partis politiques arméniens éditent de nombreux périodiques, rédigés le plus souvent en langue arménienne. L'arménien est en effet la langue de communication au sein des partis, même si une place est réservée aux langues locales, surtout en Occident.
- FRA : 24 titres, dont 8 quotidiens en Egypte, Argentine, Liban, Iran, France, Etats-Unis (2), Grèce. En France paraissent le quotidien bilingue Gamk ("Volonté"), le mensuel France-Arménie du CDCA et le bi-mensuel Haïastan de la FRA Nor Seround. L'organe du parti est le bi-mensuel Drochak ("Drapeau") édité à Athènes.
- Hentchak : 10 titres dont 1 quotidien, qui est l'organe du parti : Ararat, édité à Beyrouth. En France paraît le mensuel Haghtanag (Victoire).
- ADL : 12 titres par le biais des centres Tékéyan, auxquels s'ajoutent les organes du parti aux USA, au Canada, en Angleterre, au Liban avec le quotidien Zartonk ("Réveil"} etc. En France, l'organe officiel est le mensuel La lettre de l'ADL.
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