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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Varujan VOSGANIAN
( n. 1958 )

L'auteur

Varujan VOSGANIAN --- Cliquer pour agrandir
Naissance le 25 juillet 1958 à Craiova (Roumanie).

Né à Craiova, dans une famille d'origine arménienne, Vosganian a étudié l’économie à l'Académie d'Etudes Economiques de Bucarest (diplômé en 1982) et les mathématiques à l'Université de Bucarest (diplômé en 1991), et a obtenu un doctorat en économie en 1998.

En 1990, il devient président de l'Union des Arméniens de Roumanie et il a été deux fois (1990-1992 et 1992-1996) élu membre de la Chambre des députés et sénateur à deux reprises (1996-2000 et 2004-2008), sur les listes du Parti National libéral. De 1996 à 2003, il a été le chef d’une petite formation à l’aile droite du Parti libéral, qui a par la suite fusionné avec le Parti National libéral.

Vosganian a écrit plusieurs livres, notamment sur l'économie et la politique, mais aussi des romans et de la poésie. Il est membre de l'Union des écrivains roumains, et depuis 2005, il en tient le poste de vice-président.

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Livre numéro 1830
Varujan VOSGANIAN --- Cliquer pour agrandir Le livre des chuchotements
Titre : Le livre des chuchotements / auteur(s) : Varujan VOSGANIAN - Traduit du roumain par Laure Hinckel et Marily le Nir
Editeur : Editions des Syrtes
Année : 2013
Imprimeur/Fabricant : Imprimé en Pologne
Description : 15 x 24 cm, 368 pages
Collection : Littérature étrangère
Notes : Traduction de "Cartea soaptelor', Editura Polirom, Iasi, 2009
Autres auteurs :
Sujets : Histoire -- Génocide arménien -- Récits personnels
ISBN : 9782845451780
Bibliothèques : Consultable à la Bibliothèque de la Cathédrale apostolique arménienne, Paris
Catalogué à la Bibliothèque Nationale de France
Prix : 23,00 euros
Achat possible sur : Amazon

Commentaire :

« Je suis vieux, et toi, tu es un enfant. Mais, regarde, le sang est aussi vivant chez toi que chez moi. C’est ça, l’amour de la vie. » Ainsi parle grand-père Garabet, figure tutélaire qui incarne toute la sagesse et la mémoire des Arméniens de Varujan Vosganian. Le Livre des chuchotements s’ouvre sur une rue arménienne de Focşani, à l’est de la Roumanie. Dans l’odeur du café fraîchement torréfié, un enfant écoute passionnément les récits des adultes réunis sous l’abricotier. C’est une chronique pleine de couleurs, de senteurs, de poésie, mais aussi qui rappelle la dure réalité qu’ont vécue plusieurs générations d’Arméniens ballottés par les exils : des plateaux de l’Anatolie aux terribles cercles de la mort dans le désert de Deir-ez-Zor, de Constantinople à la Roumanie des années 1960. Avec le talent d’un conteur oriental, Varujan Vosganian reconstitue la vie de ses parents, aïeux et voisins arméniens, leur donnant ainsi un supplément d’être. est sans doute un des textes roumains les plus forts publiés après la chute du communisme ; et probablement la plus précieuse reconquête de la mémoire et de l’histoire moderne des Arméniens.

Critique par Thomas Stélandre, Le Magazine littéraire, numéro 529, Mars 2013

Fort heureusement, chacun a plusieurs vies, et qu'un homme politique puisse aussi être écrivain n'est plus à démontrer. Que cet homme politique soit une personnalité controversée dans son pays et ailleurs est déjà plus problématique, mais s'il fallait passer les parcours de chaque auteur au peigne de notre morale personnelle, on ne lirait plus beaucoup. Disons donc de Varujan Vosganian qu'il est actuellement le ministre roumain de l'Économie et qu'il fut, lors de sa nomination en tant que candidat au poste de commissaire européen, en 2006, accusé par les médias de son pays d'avoir fait partie d'un mouvement d'extrême droite (le groupe Rost) et d'avoir été l'un des informateurs de la Securitate, la police politique de Ceaucescu — ce qui fut démenti par la suite. Disons cela, et tentons d'ouvrir Le Livre des chuchotements comme on ouvrirait n'importe quel premier roman (il a par ailleurs écrit de la poésie et des essais), plutôt vierge d'a priori. Ajoutons tout de même que Varujan Vosganian est arménien d'origine et qu'il est cofondateur et président de l'Union des Arméniens de Roumanie. Car ce livre concerne en premier lieu le peuple arménien, le génocide de 1915, l'exode, l'affirmation identitaire et traverse à ce titre un siècle de déportations, de fosses communes et de déracinements. Il s'agit de raconter les évènements non du côté des « vainqueurs », mais de celui des « vaincus », des ballottés, des anonymes. Ce n'est pas un document, puisqu'il se fonde sur une mémoire nécessairement lacunaire, celle des aïeux qui, eux, ont expérimenté l'horreur des livres d'histoire. L'auteur n'a pas vécu les faits : voilà ce qui, ici, fait roman. À lui de combler les gouffres, sans forcément choisir le clan des chiffres et des dates, en préférant souvent celui de l'immatériel, qui est celui de la poésie. Le récit se présente ainsi par ses odeurs : « Une vie tout entière peut être décrite par ses arômes. On pourrait raconter mon enfance de la même façon. » La pâte chaude, les fruits, le café, les livres. L'odorat comme appel à la réminiscence, qui fait se redessiner les figures perdues de deux grands-pères, Garabet et Setrak. Varujan Vosganian se veut leur « scribe », un scribe « qui souhaite corriger les vieilles erreurs », aujourd'hui que les choses peuvent s'écrire, qu'elles n'ont plus à être murmurées. « J'ai vécu mon enfance dans un monde de chuchotements. Ils étaient prononcés avec crainte. C'est plus tard que j'appris du chuchotement qu'il pouvait être porteur d'autre chose, comme par exemple de tendresse ou de prière. »
C'est un texte monumental, par son ampleur, qui prend racine en Anatolie orientale, « où naquirent les Arméniens de mon enfance et qui font partie des héros de ce livre », et qui souhaite rendre compte de la culture arménienne dans son ensemble, de sa gastronomie à son rapport à la religion, sans rien oublier des mouvements du xxe siècle. La perspective d'une telle épopée peut, à juste titre, sembler décourageante, le poids trop lourd, le chemin trop long. Si l'on s'y accroche, c'est que l'ouvrage sait rester à hauteur d'homme. À hauteur d'enfant même, même si le narrateur est un « enfant sans enfance, qui est né grand déjà ». « Toi, tu es vieux à cause de nos jours à nous, affirme le grand-père Garabet. Ce que nous avons vécu nous et les nôtres s'ajoute à toi. Par gerbes entières... » Une phrase définitive ouvre Le Livre des chuchotements et le pose d'emblée en récit de formation inversé : «Je suis surtout ce que je n'ai pas pu accomplir », comme pour dire que je suis surtout tout ce qui m'a précédé, la somme des voyages et des pertes, des cérémonies et des traditions, le maillon d'une chaîne, le membre d'une communauté, d'une famille. Comment l'histoire s'hérite, à quel point elle nous conditionne. « De toutes les vies que je porte en moi telle une poignée de serpents noués par la queue, la plus vraie reste la vie imaginée. »
Varujan Vosganian est certes un homme politique, mais ce n'est pas le lieu de son procès. Le Livre des chuchotements est d'abord celui d'un conteur, d'une voix si lyrique qu'elle frise, par instants, la tentation pâtissière. On y trouve également de très beaux passages. Lisons celui-ci : « La chronique de ma famille est comme la corde de la grande cloche. Chaque page qui se tourne est un battement d'airain. Elle y ressemble, la vie des miens, moines, princes, commerçants, lettrés et bergers, errants sans trêve au profil émacié par le vent qui soufflait des temps affrontés de face. »
La traduction valait bien quatre mains, elle est remarquable.

Thomas Stélandre, Le Magazine littéraire, numéro 529, Mars 2013


Article de René Dzagoyan, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 195, Avril 2013

L'auteur n'est pas sans susciter de sombres manœuvres diplomatiques. Ni le livre. Ministre de l'Économie en Roumanie, poète et essayiste, pressenti pour être commissaire européen, Varujan Vosganian publie aux Éditions des Syrtes Le Livres des Chuchotements qui soulève, comme à l'accoutumée, l'ire de nos voisins d'outre-Bosphore. Un livre dont l'écriture, la profondeur et la poésie le désigneraient pour le Nobel. À lire absolument pour qui veut se retrouver dans l'universel.

Commençons par parler de nos amis ankariotes pour mieux les oublier. Dès que le bruit s'est répandu en 2009 que l'ouvrage était sous presse en langue roumaine, les petites sournoiseries habituelles ont commencé: pressions sur l'éditeur pour ne pas le publier, pressions sur le gouvernement pour qu'il ne soit pas présenté au public. Malgré toutes ces tentatives d’intimidation bien dans le style de la censure néo-ottomane, l'ouvrage a été traduit en espagnol pour rencontrer dans tous les pays d'Amérique Latine un succès fulgurant. Selon la presse colombienne, l'ouvrage aurait même inspiré le président Manuel Santos à faire la paix avec les FARC. Tout le monde ne peut pas avoir les goûts littéraires de M. Erdogan. Et voici qu'après sa traduction en italien, puis maintenant en français par les Éditions du Syrie, l'auteur est invité d'honneur au 33e Salon International du Livre de Paris. Mêmes pressions des mêmes, appuyées par le gouvernement azéri, histoire de prouver, s'il le fallait encore, que M. Aliev partageait la même sensibilité poétique que son compère sus-cité, ce qui présage un très grand succès de librairie dans l'Hexagone.
Une rhapsodie de la mémoire
L'ouvrage le mérite, et plus que cela. Ce n'est pas un roman, mais plutôt une rhapsodie de la mémoire. Elle commence à Craiova, lieu de naissance de Varujan, dans ce monde que les demi-centenaires ont partagé avec lui, rivages d'émigration improbables où ces débris de bois jetés à la mer que furent les rescapés arméniens ont abordé au lendemain de l'orage de 1915. Sous des noms qui sont aussi ceux que l'on retrouve à Alfortville ou à Marseille, on retrouve ces groupes d'Arméniens frileux, vivant les uns sur les autres pour se tenir plus chaud dans le froid glacial d'un monde inconnu. Pendant que l'Europe et la planète se préparent à la deuxième catastrophe du siècle, isolés sur leur flot de souvenirs, les niés du Génocide cultivent leur mémoire dans le silence, ponctué par les coups de feu de l'Opération Némésis. Pendant ce temps, le grand-père chuchote: «Tu dis quoi, en chuchotant? demandai-je. —Je lis, répondit grand-père Garabet.—Comment ça, tu lis? Où est le livre? —Je n'en ai pas besoin, je le connais par coeur —Bien, mais comment il s'appelle ce livre? Qui l'a écrit? —Peut-être toi, un beau jour. C'est ce que je fais et ce livre, je l'appelle Le Livre des Chuchotements. »

La version arménienne de Cent Ans de Solitude
Là, le récit se déroule en mélopée, passant des grands mouvements de l'histoire dont on s'abreuve l'oreille collée aux informations de la BBC et de Radio-Liberty, aux infimes détails des mains pétrissant la pâte des soirs de fête, pendant que les vieux commentent le cours des choses et la destinée de leur peuple. Cent ans d'une attente qui, par-delà la longue chronique des disparus, cherche une raison d'espérer. Le livre est la somme de ces espoirs dont beaucoup n'auront fait que rêver. Ce livre est un mémorial, version arménienne de Cent Ans de Solitude de Garcia Marquez. D'ailleurs, dès le début, l'auteur nous avertit. Il parle au nom de ceux qu'il n'a pas été. «Je suis surtout ce que je n'ai pas pu accomplir ». Et comme la somme des absents est toujours plus longue que celle des présents et de ceux à venir, le récit se déroule comme s'il ne devait jamais finir. Récit sans fin parce que l'histoire est sans fin. « Voici comment, termine l'auteur, avec Le Livre des Chuchotements, le siècle allait retourner à Trébizonde, tel un serpent qui se mord la queue pour former un cercle parfait. Là, tout juste cent ans après la naissance de Missak Torlakian, allait voir le jour, dans une famille turque, un garçon qui, encore adolescent et élevé dans la haine, allait tuer le 19 janvier 2007, le journaliste arménien Hrant Dink. » Hélas, le serpent ne se mord pas toujours la queue. Il mord aussi tout ce qui passe à sa portée. MM. Erdogan et Aliev en savent quelque chose. Mais ils ignorent que, si la puissance des nations finit toujours par passer, la mémoire des peuples, elle, ne s'éteint pas. Le Livre des chuchotements de Varujan Vosganian est là pour le prouver.

René Dzagoyan, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 195, Avril 2013


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