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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Professeur Garabed THOUMAIAN

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Livre numéro 2011
Professeur Garabed THOUMAIAN --- Cliquer pour agrandir Les massacres en Arménie. Rapport officiel de six Ambassadeurs à Constantinople
 
Titre : Les massacres en Arménie. Rapport officiel de six Ambassadeurs à Constantinople / auteur(s) : Professeur Garabed THOUMAIAN - Extraits du "Livre jaune". Lettres et rapports de témoins oculaires. Précédés d'un Aperçu général de la question arménienne par le Professeur G. Thoumaïan
Editeur : Paris, Comité Protestant français du secours aux Arméniens
Année : 1897
Imprimeur/Fabricant : Imp. Georges Bridel et Cie, Lausanne
Description : 13 x 20 cm, 132 pages
Collection :
Notes :
Autres auteurs :
Sujets : Massacres hamidiens -- Traités de San Stefano et Berlin
ISBN :
Bibliothèques : Consultable à la Bibliothèque de la Cathédrale apostolique arménienne, Paris
Catalogué à la Bibliothèque Nationale de France
Prix :

Commentaire :

APERÇU GÉNÉRAL SUR LA QUESTION ARMÉNIENNE

La Turquie doit son existence à l'intervention répétée de l'Europe en général et de l'Angleterre en particulier; par conséquent clans les souffrances des Arméniens, la partie responsable, c'est l'Europe. Cependant l'Europe, pour sauver les apparences, a engagé le sultan à faire des promesses aux Arméniens en vue des réformes à introduire en Turquie ; mais, quant à l'accomplissement de ces promesses, ni le Sultan, ni l'Europe ne les ont prises à cœur.
Après la guerre russo-turque, les Russes, voulant arracher quelque chose de plus que de vaines promesses, imposèrent, par l'article 16 du traité de San Stephano (3 mars 1878) l'introduction des réformes promises comme condition de l'évacuation des provinces arméniennes, occupées alors par l’armée russe :
« Comme l'évacuation par les troupes russes des territoires qu'elles occupent en Arménie, et qu'elles doivent restituer à la Turquie, peut occasionner des conflits et complications au détriment de la conservation des bonnes relations entre les deux contrées, la Sublime Porte s'engage à exécuter, sans plus de retard, les améliorations et les réformes exigées par les circonstances locales des provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité contre les Kourdes et les Circassiens. »
L'Angleterre, craignant que cet engagement de la Turquie vis-à-vis de la Russie seule ne donnât trop d'influence à la Russie en Turquie et spécialement dans la vallée de l'Araxe et de l'Euphrate, exigea que la Turquie entrât dans un pareil engagement vis-à-vis d'elle, pour maintenir l'équilibre européen. Telle est l'origine de la Convention de Chypre, signée le 4 juin 1878.
« En retour, S. M. I. le Sultan promet à l'Angleterre d'introduire les réformes nécessaires, qui seront décidées plus tard entre les deux puissances, dans le gouvernement et pour la protection des chrétiens et autres sujets de la Porte dans ces territoires (Arménie). Pour faciliter à l'Angleterre de prendre les mesures nécessaires pour l'exécution de ses engagements, S. M. I. le sultan consent en outre à désigner l'île de Chypre pour être occupée et administrée par l'Angleterre. »
À la vue de ces engagements isolés du Sultan, l'Europe exigea qu'il fît les mêmes promesses aux six grandes puissances. Celles-ci se réunirent donc en congrès à Berlin, et signèrent le fameux traité de Berlin du 10 juillet 1878, dont l'article 61, relatif à l'Arménie, est conçu en ces termes.
« La Sublime Porte s'engage à réaliser, sans plus de retard, les améliorations et les réformes qu'exigent les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens, et à garantir leur sécurité contre les Circassiens et les Kourdes. Elle donnera périodiquement connaissance des mesures prises à cet effet aux Puissances qui en surveilleront l’application.»
La surveillance de l'Europe promise dans cet article, place les Arméniens, dans, une certaine mesure, sous la protection de l'Europe. Dès lors la question arménienne ayant pris un caractère international, l'Europe acquit un droit et un devoir d'intervenir en faveur des Arméniens, (jusqu'ici elle y a cruellement manqué), et les Arminiens le droit de faire appel aux puissances et aux peuples de l'Europe. De là date aussi l'acharnement que les Turcs mettent dans leur persécution contre les Arméniens. Car, voyant que la question arménienne a pris une importance internationale, au lieu de se mettre résolument à l'exécution de leurs engagements afin de contenter les Arméniens, les Turcs ont décidé de résoudre cette question par l'anéantissement des Arméniens ou bien en les réduisant à l'impuissance. « L'Europe, disaient-ils, a gagné le droit d'intervenir dans les affaires de la Turquie ; une fois les Arméniens détruits, elle n'aura plus de prétexte d'intervention. » Il est ainsi facile de comprendre comment le plan d'extermination des Arméniens fut organisé, surtout depuis le traité de Berlin et depuis l'engagement que l'Europe a pris de surveiller les réformes en Arménie.
De plus les Turcs n'ont pas tardé à voir qu'en définitive le traité de Berlin était plutôt favorable à ce plan. En effet, avant le traité de Berlin, la Russie, reconnue de fait la seule protectrice des chrétiens de la Turquie, faisait puissamment sentir sa voix et sa main protectrices. Mais depuis qu'on lui a substitué à Berlin la protection collective des six puissances, on a, par le fait même, paralysé cette action, puisque l’entente entre elles est plus difficile. La Turquie a su en profiter. Elle a débuté en cherchant par des mesures oppressives à mettre un terme au développement des Arméniens. De plus en plus encouragée dans cette voie par l'indifférence de l'Europe qui faisait la sourde oreille aux cris de désespoir des Arméniens, elle organisa en 1890, dans les provinces arméniennes, la cavalerie Hamidié composée uniquement de Kourdes.
Les Kourdes sont une tribu nomade, cruelle, demi-sauvage. Jusque-là le Kourde était le brigand de profession contre lequel l'Arménien pouvait se défendre ou du moins se plaindre à l'autorité, mais dès, le moment oh le Kourde commença à porter l’uniforme militaire avec l'immunité d’un soldat, le brigand se changea en autorité dans le pays. L'attaquer ou se défendre contre lui, c'est résister à l’autorité, se mettre en révolte, Et comme cette cavalerie n'est pas payée, comme du reste les soldats turcs en général, ils ont la permission de piller les Arméniens impunément. C’ est une armée de brigands sans discipline ni paiement, qui ont la mission de piller les maisons, de brûler les moissons, d'enlever le bétail, de violer ,les femmes et les filles des Arméniens, de tuer celui qui tente quelque résistance, en un mot de chasser l'Arménien de son pays et de le remplacer par des Kourdes ou d'autres musulmans. Dans ce but, un courant continuel de Circassiens, de Lazes, de Gurgis fut dirigé vers l'Arménie pour s'y établir aux dépens des Arméniens, afin que la Sublime Porte puisse déclarer en Europe que les Arméniens ne forment la majorité dans aucune partie de la Turquie, et par conséquent ne méritent pas que l'Europe s'occupe d'eux ou stipule quelques réforme leur faveur.
Les consuls différents pays résidant en Turquie adressèrent quelques rapporte ce sujet à leurs- gouvernements, montrant les dangers de l'organisation de cette cavalerie de brigands et d'assassins au milieu d'un peuple chrétien paisible et complètement désarmé, et en général le but que poursuit avec acharnement le gouvernement turc. Mais tout cela n'aboutit à, rien, l'Europe laissa achever l'œuvre de destruction.
Encouragé par cette attitude des puissances, le Turc fit une tentative de massacre dans un petit district arménien, dans l'été de 1894, pour voir jusqu'à quel point compter sur l'indifférence cynique de l'Europe. Les nouvelles des massacres de Sassoun ébranlèrent pour un moment l'opinion publique en Europe, surtout en Angleterre. Cette puissance, ainsi que la France et la Russie demanda une enquête et présenta au sultan un plan de réformes pour les Arméniens. Le sultan, un moment effrayé, ne tarda pas à remarquer la désunion régnant dans ce trio, le peu de sérieux qu'il mettait dans sa réclamation et surtout sa résolution de ne pas intervenir d’une manière efficace en faveur des Arméniens. Les faits ont démontré depuis que le sultan ne s'est pas du tout trompé. C'est alors que les Turcs crurent le moment propice arrivé pour donner le coup de mort aux Arméniens. L'ordre d'un massacre général de ce peuple dans tout l'empire turc, fat donné et l'Europe chrétienne et civilisée y assiste en silence depuis deux ans. Environ deux cent mille réservistes furent mis sur pied, soi-disant pour défendre les chrétiens mais en réalité pour les anéantir. La culpabilité de l'Europe est allée jusqu'au point de permettre de faire venir à Constantinople même une bande de cette cavalerie destructrice et de lui faire massacrer huit à dix mille Arméniens dans cette ville à la fin d'août dernier. Les représentants des six puissances assistèrent en silence à cette odieuse hécatombe.
Voilà en résumé la marche générale des affaires relativement aux récents massacres d'Arménie.
Le présent opuscule a pour but de mettre entre les mains du public des faits authentiques et sans commentaire, tels qu’ils se sont passés, pour que le public soit à même de comprendre et de juger lui-même de la situation de l’Arménie. Les pages qui suivent comprennent :
1° Le rapport des ambassadeurs représentant les grandes puissances d'Europe à Constantinople:
2° Des extraits des deux Livres jaunes ou recueils de documents diplomatiques communiqués aux Chambres par le Ministre des affaires étrangères, en février et avril 1897.
3° Des lettres et rapports de témoins oculaires.
G. THOUMAÏAN


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