Il est des livres dont un résume de l'intrigue ne dit pas toutes les richesses qu'ils renferment. Ararat, le nouveau roman de D.M. Thomas, est de ceux-là.
Comme "L'hôtel blanc", il traite - et avec quelle virtuosité ! de ces thèmes essentiels qui constituent le noyau du romanesque contemporain: Art et Réalité, Eros et Thanatos, Mythe et Histoire... Mais cette fois, bien que présent, Freud n'occupe plus le devant de la scène. En effet, Pouchkine, Pasternak, Akhmatova et Soljenitsyne, entre autres, hantent les pages de ce roman aux multiples facettes dont le sujet est cependant unique: l'art de la fiction.
Ararat, oeuvre protéiforme, affirme le pouvoir absolu de l'artiste qui, au désordre des passions humaines, substitue par la toute-puissance et l'arbitraire de l'imagination un ordre supérieur, celui de la création.
Serguei Rozanov, un écrivain russe de cinquante ans, rencontre à Gorki l'une de ses admiratrices. A sa demande, du coucher du soleil à l'aube, il improvise des histoires avec pour thème commun le mont Ararat où, en 1915, furent massacrés des dizaines de milliers d'Arméniens. Pour nourrir son récit insomniaque, Rozanov s'invente une série de doubles qui s'emboîtent les un dans les autres à la manière de poupées russes. Parmi eux, Pouchkine, dont le narrateur prend le relais, poussant l'ironie et le culot littéraires jusqu'à terminer le texte des Nuits d'Egypte laissé inachevé par le célèbre auteur...
Une grande leçon de littérature.
Apres l'immense succès international de L'hôtel blanc et les controverses qu'il a suscitées, Ararat relance le débat de manière éclatante, confirmant l'originalité d'un écrivain.