"Les Restes de l'épée", curieuse expression. C'est ainsi que l'on désigne de façon péjorative, en Turquie, les Arméniens, femmes et enfants enlevés et islamisés, qui ont échappé au génocide de 1915. Si l'entreprise d'extermination s'avéra d'une sinistre efficacité — le bilan approche 1,5 million de victimes sur une population évaluée à environ 2 millions d'individus — une catégorie de survivants dont le nombre est difficile à évaluer a réussi à rester sur ses territoires ancestraux, dans l'actuel est de la Turquie, au prix de sa conversion à l'islam.
Qui sont ces survivants ? Pour la plupart des femmes enlevées par les tribus kurdes et qui ont été islamisées (les Arméniens sont chrétiens), de jeunes enfants des deux sexes, des Arméniens qui se sont convertis en famille à l'islam, enfin, de rares Arméniens restés chrétiens qui se sont cachés ou qui ont été sauvés par des tribus kurdes et des Turcs secourables. Très souvent, ces Arméniens islamisés ou cachés se sont mariés entre eux. Durant des décennies, abandonnés de tous, dans des contrées lointaines où ils étaient souvent coupés du monde, ils ont observé la règle élémentaire de survie : le silence. Près d'un siècle plus tard, les descendants de ces survivants commencent à peine à desserrer l'étau du secret.
Le récent processus de démocratisation et d'ouverture de la Turquie qui sort d'une longue période de régime autoritaire, a eu plusieurs effets. Si l'État continue à nier farouchement l'existence du génocide, la société civile, elle, ose enfin en parler malgré les risques auxquels elle s'expose. C'est dans ce contexte que des citoyens turcs qui ont longtemps ignoré leurs origines arméniennes en raison du fameux silence des grands-mères, finissent par l'apprendre et osent le révéler comme Fetiyé Çetin dans son célèbre ouvrage : Le livre de ma grand-mère. Le phénomène des Arméniens cachés et convertis de Turquie est un tabou tout juste brisé. Ils seraient des centaines de milliers, voire des millions. Ni Turcs, ni Arméniens modèles, ils sont rejetés. Hrant Dink, leur Martin Luther King a été assassiné le 19 janvier 2007, devant le siège de son journal Agas, en plein centre d'Istanbul.
Table des matières
Préface de Cengiz Aktar. (p. 11)
Prologue. (p. 15)
Les survivants arméniens et l'islam. (p. 29)
L'endogamie comme stratégie de survie. (p. 33)
CHAPITRE 1 - LES ÂMES ERRANTES D'ANATOLIE
1. Shnork Kaloustian., le missionnaire. (p. 37)
2. L'odyssée des Arméniens cachés, de Silopi à Marseille. (p. 41)
3. Rakel Dink, l'asiret de Varto. (p. 53)
CHAPITRE Il - ITINERAIRES ANATOLIENS
1. Bulanik. (p. 59)
2. Dersim, la forteresse brisée. (p. 63)
3. À Elazig, l'Arménienne la plus triste. (p. 75)
4. Kâhta, l'îlot chrétien. (p. 81)
5. Silvan. (p. 93)
6. Mouch. (p. 101)
7. A l'assaut du Sassoun. (p. 117)
8. Le Sassoun chrétien. (p. 125)
CHAPITRE III - LA CROIX OU LE CROISSANT ?
1. La traversée de la frontière arménienne à la nage. (p. 143)
2. Nous avons oublié nos peurs. (p. 153)
3. L'atelier. (p. 155)
4. Le sapin de Noël de la discorde. (p. 157)
5. Mon père ne voulait pas. (p. 161)
6. Musulman ou chrétien, tu restes Arménien. (p. 165)
7. Jamais à un chrétien. (p. 169)
8. Le dernier Arménien de Van. (p. 171)
9. Malatya-sur-Peur. (p. 177)
10. Yasar Kurt, un coming out. (p. 183)
CONCLUSION (p. 191)
Méthodologie. (p. 195)
Bibliographie. (p. 197)
Glossaire. (p. 201)
Remerciements. (p. 205)
Carte géographique. (p. 206)