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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Revue L Arche

L'auteur

 
L'Arche, 39, rue Broca - 75005 Paris

Le mensuel du judaïsme français.

Site web de l'auteur : www.col.fr/arche

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Livre numéro 1124
Revue L Arche --- Cliquer pour agrandir Numéro 554, Frères arméniens, frères tutsis, frères humains, Numéro d'avril 2004
 
Titre : Numéro 554, Frères arméniens, frères tutsis, frères humains, Numéro d'avril 2004 / auteur(s) : Revue L Arche -
Editeur : revue-arche
Année : 2004
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Autres auteurs :
Sujets : Génocides
ISBN :
Bibliothèques : Consultable à la Bibliothèque de la Cathédrale apostolique arménienne, Paris
Prix :

Commentaire :

Article paru dans « Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 98, Juin 2004

La revue l'Arche a dédié son numéro d'avril (2004) aux génocides des Tutsi et des Arméniens. Nous publions quelques extraits d'un article intitulé « II est légitime que les Arméniens attendent davantage des Juifs» signé de Méir Weintrater, directeur de la rédaction. Des lignes que nous faisons nôtres et qui expriment la nécessité du dialogue et du rapprochement entre juifs et Arméniens. Une préoccupation partagée.

Texte de Méir Weintrater
Il y a cinq ans, j'eus l'idée d'une rencontre publique, au siège de L'Arche, sur le thème «Juifs et Arméniens ». Trois sujets devaient être abordés, qui nous concernaient au même titre : la mémoire du génocide, la transmission de l'identité, la vie d'une communauté dans la République(...) Après qu'Alain Finkielkraut eut évoqué Franz Werfel et Vassili Grossmann, deux écrivains juifs qui exprimèrent leur identification au sort des Arméniens, je crus que la page du génocide avait été tournée et que nous pouvions passer aux affaires actuelles. Alors vint ma deuxième surprise. Pour les Arméniens, la page du génocide ne pouvait être tournée. Ils étaient en plein combat afin d'obtenir du Parlement français une loi déclarative reconnaissant le génocide. La douleur de la non-reconnaissance, qui chez nous Juifs était réveillée de temps à autre par un prurit négationniste, est chez eux lancinante depuis plusieurs générations. Ils n'avaient pas la tête à parler de transmission ni de citoyenneté, bien que ces questions fussent sans aucun doute présentes à leur esprit. En revanche, on nous interpella, depuis la salle, sur les bonnes relations que l'État d'Israël entretient avec la Turquie (sur ce point, la réponse était aisée : Israël ne se distingue en rien d'un grand nombre d'États, dont la France, envers qui les Arméniens sont généralement moins critiques; si l'on excipe du fait qu'Israël, en tant qu'État juif, n'est pas un État comme les autres, il faut reconnaître alors que cet État a aussi le douteux privilège d'être entouré d'ennemis qui menacent son existence, ce qui impose d'autres contraintes à sa politique étrangère; (...) les communautés juives dans le monde, si elles sont solidaires de la nation israélienne, n'ont pas à répondre de chacun des actes de son gouvernement . enfin, aucun Juif ne reproche à un Arménien les excellentes relations que l'Arménie entretient avec l'Iran, État voué à la destruction d'Israël).
On interpella également les Juifs présents à la tribune sur ce qui était perçu comme l'ambiguïté, ou le manque de conviction, des communautés juives dans la lutte pour la reconnaissance du génocide arménien. (...). Ce qui me peina le plus, dans cet échange informel, fut l'accusation proférée à plusieurs reprises, selon laquelle la « réticence » juive à partager le combat des Arméniens était liée non pas à une solidarité automatique avec les positions israéliennes, ni même à un souci de protéger les Juifs de Turquie contre d'éventuelles mesures de rétorsion, mais au désir de conserver l'exclusivité des palmes du génocide. Je dis ce soir-là, et répétai peu après dans les colonnes du journal Nouvelles d'Arménie Magazine, que l'idée même qu'il puisse y avoir une « concurrence des victimes », l'idée selon laquelle nous serions en course pour une espèce de Jeux Olympiques du génocide où il y aurait une médaille d'or et une médaille d'argent est révoltante et obscène. On ne classe pas les génocides, on ne classe pas les malheurs, le malheur de l'un n'est pas plus grand ou plus petit du fait que l'on reconnaît le malheur de l'autre. Tout cela ayant été énoncé, il restait le sentiment d'un malaise. Le manque de communication entre les deux communautés se traduisait par une méconnaissance des problèmes qui nous agitaient les uns et les autres. Chacun aurait dû être le premier à intervenir en faveur de l'autre. Je laisse aux Arméniens le soin de faire leur propre examen de conscience. C'est mon autocritique que je veux faire ici.
A l'évidence, je n étais pas suffisamment attentif à ce que vivaient les .Arméniens de France. L'épisode de la loi sur le génocide, qui tenait, croyais-je, de la chronique politicienne, engageait les consciences arméniennes à un degré insoupçonné. Il ne s'agissait pas d'une affirmation de principe ni d'un rite mémoriel machinal mais d'une blessure non cicatrisée.(...) En tant que Juifs, nous sommes certes sensibles, pour avoir vécu des circonstances similaires sinon vraiment identiques, à la douleur que cause la négation d'un génocide. Nous sommes très majoritairement solidaires des Arméniens, et parmi ceux qui se sont engagés à leurs côtés on trouve des Juifs de premier plan, ainsi que les trois grands Mémoriaux de la Shoah de Jérusalem (Yad Vashem), Washington et Paris. Nous ne sommes donc pas indifférents, et lorsqu'on fait appel à nous notre réponse est presque toujours positive.
Cependant, la vraie solidarité doit être fraternelle, elle doit devancer non pas les besoins de l'autre mais sa demande explicite. Nul ne peut vraiment témoigner du génocide arménien à la place des Arméniens. Mais apprendre ce qu'ont souffert les victimes, aller à la rencontre de leurs descendants, écouter ce qu'ils ont à nous dire, manifester notre sympathie et notre amitié, demander ce que nous pouvons faire ensemble: telle doit être, me semble-t-il, notre démarche alors que nous approchons du centième anniversaire de ce génocide dont la reconnaissance est encore sujette à caution. Que les Juifs aient eu plus que leur part des cruautés de l'histoire ne les exonère pas de ce devoir de fraternité. Au contraire. Il est naturel, il est légitime que sur ce plan on attende davantage de nous - et que nous exigions davantage de nous-mêmes.


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