Longtemps l’Arménie fut un très grand royaume que dominait le mont Ararat. C’est au pied de cette montagne vénérée depuis la Bible que le folkloriste Tigrane Navarissian collecta les contes de ce recueil, au XIXe siècle, et les fixa à l’écrit. Puis un génocide mit fin à la société qui, depuis des siècles, créait et transmettait ces récits magnifiques et le mont Ararat et sa province devinrent turcs. Mais L’oiseau d’émeraude, Le poisson d’or, Les pommes de l’Immortalité et tant d’autres histoires continuèrent à être racontées dans la petite république arménienne des rescapés. Elles perpétuèrent l’humour, la vaillance des héros et des rois d’autrefois. Et aussi, comme il se doit, la cruauté des dragons et la beauté des princesses. Aujourd’hui, Léon Ketcheyan, spécialiste de la culture orale arménienne, les fait vivre en français pour la plus grande joie des amateurs de contes, petits ou grands.
Article de Denis Donikian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 188, septembre 2012
Avec amour et compétence, Léon Ketcheyan a traduit quatre des contes arméniens que Tigrane A. Navassartian avait recueillis à leur source, dans les villages.
C'est un fabuleux trésor que ces seize volumes, publiés de 1959 à 2009 à Erevan, de contes populaires arméniens. Celui qui les a eus entre les mains a certainement senti vibrer le cœur profond et divers de la parole arménienne, livrée à tous les imaginaires, libérée des lois et des chronologies du réel, prodigue d'histoires merveilleuses. Ces volumes se trouvent encore sur le marché d'Erevan. Qui lit l'arménien ferait bien de s'y plonger de temps en temps. Pour notre part, il fut un temps où nous était venue la tentation de les traduire. Pour cela nous avions rencontré chez elle, une spécialiste, la femme de Kotchar le sculpteur. Sa cuisine fleurait bon les confitures d'abricots sur le feu. La seule chose qui nous sera restée.
Recueillis par des ethnologues
C'est dire que l'entreprise de leur traduction n'est pas une mince affaire. Elle nécessite amour et compétence. D'autant que ces contes auront été recueillis à leur source par des équipes d'ethnologues partis sillonner les villages où se gardait encore la mémoire de nos merveilles. En particulier Tigrane A. Navassartian (1861-1927), collecteur de matériaux ethnologiques, lexicologue et éditeur arménien, qui publiera dix volumes d'une collection intitulée Contes populaires arméniens (de 1882 à 1903) et un recueil consacré aux Traditions populaires arméniennes (1883).
C'est à lui que rend à juste titre hommage Léon Ketcheyan, le traducteur de ce livre de contes que vient de publier l'École des loisirs et intitulé Contes arméniens, L'Oiseau d'Émeraude. L'ensemble est illustré par le crayon très moderne de Philippe Dumas. Sur un corpus de plusieurs textes proposés, quatre ont finalement été retenus : Le Renard, le Loup, l'Ours et l'Oiseau d'Émeraude, Le Poisson d'or, Les pommes de l'immortalité et l'Ourson.
Quatre contes traduits
Difficile de les résumer. Mais on y trouvera toujours un héros injustement traité malgré la générosité de sa conduite, l'évocation de ses exploits pour sortir des épreuves les plus folles souvent contre des dragons, et ce fameux happy end où il épouse en récompense la fille du roi, belle entre toutes les belles. Les animaux parlent comme des êtres humains et se comportent de même. Mais toujours les ferments d'animosité côtoient les gestes de réconciliation. Ce sont des contes où l'on marche beaucoup, tellement qu'on ne sait sur quelle distance. Car les héros voyagent à travers le pays à la rencontre d'une énigme nouvelle ou d'une épreuve dont ils devront sortir indemnes.
Des actes hors du commun
Mais aussi des contes qui tiennent le lecteur en haleine comme en ces veillées d'avant la télévision où les enfants se forgeaient une humanité à l'écoute des faits et gestes de personnages simples accomplissant des actes hors du commun. Car dans le conte rien n'est ordinaire. Comme ce curé qui porte chaque jour son église sur les épaules pour aller prier dans la forêt (on pense à l'église de Kirents) et à qui un ourson lance un défi, celui de le dévorer s'il gagne au cours d'une lutte. Heureusement tout finira par un mariage et le conteur, le demandeur aussi bien que l'écouteur, tous seront récompensés d'une pomme tombée du ciel. Une pomme, pas une grenade.
Denis Donikian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 188, septembre 2012