En supplément: une paléographie arménienne des Ve - VIe/VIIe siècles et un choix de sources historiques. - Textes en français et anglais, avec des extraits de textes en arménien et traduction en français. - Notes bibliogr. Index
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Extraits du sommaire
Prologue : Déclaration d'amour
A. Comment fut retrouvée la clé de l'alphabet
B. Des caractères daniéliens aux caractères mesropiens
C. La finition de l'ouvrage
Epilogue : Un miracle sans miracles.
ANNEXES:
I- Petite initiation à la phonologie théorique
II - Aperçu de grammatologie alphabétique
III - La « grammaire » des Anciens et Mesrop Machtots.
IV - L'origine de l'alphabet arménien : deux siècles de controverses
V - L'impossibilité mathématique du protosystème des caractères daniéliens
VI - Ébauche de paléographie arménienne des Ve-VIIe siècles
VII - Ébauche de corpus des principaux témoignages anciens sur la genèse de l'écriture arménienne.
Préface de Dickran Kouymjian
Le premier volume des Trois secrets de Mesrop Machtots, intitulé Erkataguir ou Comment naquit l’alphabet arménien, tente de déchiffrer le code qui a servi à créer l’alphabet arménien ou, plus précisément, explique dans ses moindres détails le remarquable processus d’« invention » ou de création des 36 lettres utilisées pour écrire dans une langue sophistiquée qui demeura totalement orale jusqu’à la première décennie du cinquième siècle. Bien que ce ne fût pas le premier alphabet créé par un lettré, ni le dernier, Serge Mouraviev montre en quoi celui-ci est unique à bien des égards dans l’histoire des alphabets. Sa présentation de l’histoire complexe de cette écriture et de la démarche suivie par Machtots pour créer les lettres arméniennes, permet à l’auteur de ressusciter un alphabet plus ancien : la série de signes que les sources contemporaines de l’inventeur appelaient « caractères daniéliens ». Ceux-ci, transmis par un évêque syrien du nom de Daniel, furent d’abord utilisés par Mesrop Machtots et ses élèves, puis abandonnés, selon Korioun, biographe et disciple de Machtots, faute de permettre d’écrire l’arménien de façon précise et correcte. C’est cette inadéquation des lettres daniéliennes qui contraignit Mesrop Machtots à élaborer un alphabet plus riche, à tel point conforme à la langue arménienne que, 1600 ans après sa création, il conserve encore, quasiment inchangé, le même ordre alphabétique et les mêmes valeurs phonétiques.
Tout comme les lettres daniéliennes avaient stimulé la mise au point de l’alphabet complet de saint Mesrop (il fut, en effet, très vite canonisé pour son immense contribution à la civilisation arménienne), de même ces lettres de Daniel, dont il ne restait plus la moindre trace ou la moindre description avant que Serge Mouraviev ne les ait reconstruites, ont servi de clé pour décoder le secret du remarquable ouvrage du saint. Une inspection visuelle des formes de l’erkat’agir, ces onciales appelées « caractères mesropiens », permit à notre auteur d’identifier une régularité dans la forme ou le ductus d’un nombre d’éléments suffisamment important de l’alphabet pour conclure qu’un tel système n’était le fruit ni du hasard, ni d’un concours de circonstances. Cette découverte de Mouraviev est totalement formelle, fondée sur l’observation et l’interpolation, d’autant qu’il n’est pas arménisant et que l’arménien ne figure pas parmi les nombreuses langues qu’il maîtrise. Néanmoins, il fut fasciné, lors de son premier voyage en Arménie il y a plus de trois décennies, par l’idée qu’un moine de la fin du quatrième et du début du cinquième siècle ait pu imaginer et mener à bien la création d’un alphabet aussi bien adapté aux nombreux et divers sons de sa langue natale. Grâce à ses connaissances et à son expérience de chercheur dans le domaine des langues et des lettres classiques, Serge Mouraviev comprit rapidement que le travail de Machtots n’avait pas simplement consisté à utiliser la plupart des 24 lettres de l’alphabet grec dans le même ordre et avec les mêmes valeurs. Effectivement, les formes de ces lettres arméniennes à équivalents grecs, quoique totalement différentes de leurs originaux, se sont prêtées à l’analyse et ont révélé la présence d’un certain nombre d’éléments primaires et secondaires récurrents. Au moins 20, voire 24, des 36 lettres avaient été essentiellement élaborées en combinant un nombre limité de formes, n’exigeant qu’un seul mouvement de plume, avec quelques droites horizontales ou verticales.
Serge Mouraviev conclut qu’un noyau de 20 lettres mesropiennes, désignant des sons suggérés par le grec, provenait de l’alphabet créé par l’évêque Daniel ou, en tout cas, avait été transmis par ce dernier à Mesrop Machtots. C’est cet alphabet de base, qui s’avéra insuffisant, que l’inventeur modifia et compléta pour créer les caractères dont des siècles d’utilisation ont démontré la perfection en tant qu’écriture arménienne. Notre auteur explique avec une abondance de détails le processus de création tant des caractères daniéliens que des mesropiens. Ce faisant, il pose lui-même les questions qu’un critique éclairé poserait au sujet de ce qui a tout l’air de n’être qu’une série d’hypothèses audacieuses. Le tout est illustré par un grand nombre de schémas convaincants et d’illustrations qui confortent visuellement les étapes de l’éprouvant voyage intellectuel dans lequel il entraîne le lecteur.
Le déroulement des deux aventures, celle de Mesrop Machtots et celle de Serge Mouraviev seize siècles plus tard, est narré dans un style très personnel, souvent à la première personne, ce qui confère un attrait certain à cet ouvrage de recherche. Non content de démontrer comment les caractères de Daniel furent transformés en lettres de l’alphabet de Mesrop, l’auteur tente d’établir comment furent créées les formes des lettres supplémentaires "non grecques", entièrement construites par Mesrop, correspondant à la douzaine de sons spécifiquement arméniens sans équivalents parmi les sons des langues classiques, et comment elles ont trouvé les positions exactes qu’elles occupent encore aujourd’hui par rapport à l’alphabet primitif. Toute cette enquête n’a été ni facile ni rapide, bien que la lecture de ce livre puisse suggérer qu’à l’instar de Machtots, seule une révélation aurait pu permettre à Mouraviev d’accéder à la secrète pensée du vénérable saint. Pour tous les Arméniens, Mesrop Machtots et l’alphabet arménien sont sacrés. Il y a probablement eu beaucoup plus d’études consacrées à Machtots et à l’histoire de ses saintes lettres qu’à tout autre domaine de la culture arménienne. Donc, qu’un chercheur, surtout s’il n’est pas arménien, ose proposer un système global destiné à expliquer la création, au début du cinquième siècle, et l’évolution première des lettres arméniennes, est une démarche fort dangereuse face au conservatisme académique. Mais Serge Mouraviev a étudié ce sujet depuis les années 1970. Il a publié en 1980 deux articles préliminaires, en français dans la Revue des Études arméniennes et en russe dans Patmabanasirakan handes, la revue de l’Académie des sciences d’Arménie. Depuis, il a précisé et parfois modifié son analyse afin de concevoir ce livre exceptionnel. Qui plus est, il a pris la peine d’y ajouter sept annexes sur les aspects fondamentaux de sa recherche. Ces annexes fournissent les connaissances de base indispensables au non-spécialiste (selon l’auteur), mais proposent en fait une excellente réévaluation de tous les acquis en la matière, sous forme de sections consacrées à la phonologie, à la grammaire, aux travaux des dix-neuvième et vingtième siècles sur Machtots et sur l’alphabet, une présentation et une analyse des monuments les plus anciens de la paléographie arménienne, et les textes originaux et les traductions d’une collection presque exhaustive des sources anciennes existantes sur la création de l’alphabet.
Les premiers articles de Serge Mouraviev n’ont guère suscité de réactions critiques. Nul doute que divers détails de sa profonde analyse soulèveront des objections, mais l’ensemble du système explicatif qu’il a mis sur pied est trop solide, trop convaincant pour être ébranlé par des éléments isolés. Les lecteurs les plus assidus de ce livre seront les chercheurs, et pas seulement le lectorat grand public auquel il professe de s’adresser en premier lieu. Il nous incombera d’établir si et comment les conceptions de Serge Mouraviev pourraient être affinées ou améliorées. Quelles que puissent être ses erreurs, si tant est qu’il en existe, ce volume a le grand mérite de fournir une explication universelle de la démarche de Mesrop Machtots et de son prédécesseur pour créer et perfectionner cet outil extraordinaire qui a permis d’écrire en arménien et a rendu possible l’épanouissement d’une littérature remarquable.
Dickran Kouymjian, Paris