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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Gérard GUEGAN
( n. 1942 )

L'auteur

 
Né le 20 juillet 1942 (ou 1940 ?) à Marseille (Bouches-du-Rhône, France)

Journaliste et éditeur.
Romancier, poète et essayiste.

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Livre numéro 320
Gérard GUEGAN --- Cliquer pour agrandir La Terreur
Titre : La Terreur / auteur(s) : Gérard GUEGAN -
Editeur : Grasset
Année : 1987
Imprimeur/Fabricant :
Description : 259 pages
Collection :
Notes :
Autres auteurs :
Sujets : Roman
ISBN : 9782246396017
Bibliothèques : Catalogué à la Bibliothèque Nationale de France
Prix : 13,42 euros
Achat possible sur : Amazon

Commentaire :

Faut-il l'avouer ? Chaque nouveau livre de Gérard Guégan est une fête. Et les amateurs de bonne littérature contemporaine le savent bien qui n'oublient jamais combien lui sont redevables les éditions Champ Libre et Le Sagittaire qu'il fonda et dirigea avec bonheur. De même, ne paraît-il pas possible de négliger les revues qu'il créa et anima, dont Les cahiers du Futur et Subjectif demeurent les plus fameuses.

Dans le domaine du livre comme celui de la revue, Gérard Guégan sera l'homme de la révolution, lui qui composa le célèbre Mao, Mao de la Chinoise de Godard. Jacques Brenner n'en parle-t-il pas, d'ailleurs, en utilisant le mot terroriste...

Gérard Guégan est l'homme des ruptures. Il rompra avec le conformisme de bon aloi imposé par de frileux éditeurs soucieux de ne choquer personne. Refusant de se plier à des exigences aseptisant l'écrit et faisant de la chose littéraire un produit de grande consommation proche de la conserve de petits pois, il prônera un langage de rupture et favorisera l'émergence de thèmes peu familiers sous la Coupole. Cette volonté de renouveau passera, pour le plus grand plaisir de notre sens esthétique, par des choix graphiques révolutionnant la présentation des ouvrages, surtout au niveau de l'illustration et de la mise en page.

L'auteur de La Terreur, nous le connaissons depuis longtemps. Toutefois, il n'en va pas de même de la presse arménienne de France qui ne le découvre que maintenant, à la faveur d'un débat radiodiffusé sur le Parlement Européen et la reconnaissance du génocide de 1915. On ne peut s'intéresser à tout... Pourtant, si certains avaient pris la peine de franchir la porte d'une librairie, de jeter un œil sur les nouvelles parutions, de lire, de temps à autre, une revue littéraire, ils n'auraient pas pu ne pas voir son nom. Cela étant, même s'ils l'avaient fait, ils ne parleraient pas de ses livres. Les conformistes ne supportent pas leur nudité. Pourtant Beau Soleil... Et ce merveilleux voyage de Père et Fils où éclate une complicité jalousée et espérée par tous les pères. Tout cela et les autres livres aussi. De la littérature qui dérange où le lecteur n'a pas une minute de répit. Des écrits qui, une fois lus, demeurent, tels les fragments d'une mémoire oubliée. Et maintenant son dernier livre, La Terreur, un “roman cruel'' comme il le sous-titre.

On ne peut dire que La Terreur soit un roman autobiographique au sens traditionnel de l'expression. Il faudrait plutôt parler d'une fiction autobiographique où le réel du passé s'enchevêtre étroitement avec celui du présent. De même, on ne peut s'en tenir à la formulation de "roman cruel". Il s'agit là d'un roman d'amour; un cri d'angoisse face à l'être aimé, à l'idée que l'on s'en était fait et qui, en définitive, blesse. D'ou ce livre, ce besoin de voir enfin clair, d'être lucide. Pour soi et les autres. Pour tous ceux qui ne pourront comprendre. Bas les masques. Il faut regarder le miroir. Le regarder bien en face, et se voir. Enfin.

La Terreur tient du roman, de par sa forme; mais aussi, de l'essai, en raison des réminiscences, de l'intrusion forcenée d'un passé qui colle à la peau, à la mémoire et dont on ne peut se débarrasser. Mais ce livre permet de comprendre. Ainsi, parlant de la bibliothèque Nubarian, Gérard Guégan écrit-il qu'on lui "avait claqué la porte au nez, et quand après avoir écrit en pure perte plusieurs lettres, j'avais téléphoné, on avait avec une égale brutalité raccroché. La bibliothèque Nubarian, qui compterait dans ses rayonnages plus de trois mille volumes, tous relatifs à l'histoire de l'Arménie, était un lieu clos. Un sanctuaire interdit à quiconque veut saisir son être, se comprendre. Ce sera donc de l'extérieur que l'on pénétrera et appréhendera, comme le fit Michael J. Arlen avec Embarquement pour l'Ararat. Son père, Michael Arlen, écrivit tout d'abord en arménien, dans l'indifférence générale; mais connut le succès en devenant un auteur anglais. A sa mort, en 1956, son épouse déclara que "toute sa vie, il avait cherché à se détacher des Arméniens"... Cette impossible tentative, cette désespérance Michael J. Arlen l'explique et Gérard Guégan l'accepte en l'intégrant à sa propre démarche: "Je compris à ce moment que d'être arménien, d'avoir vécu en Arménie, c'était, en un certain sens, être fou. Non pas "fou" au sens courant de bizarre ou de délicieusement original ("Vieux fou, va") ni même au sens médical. Mais fou en ce que cela implique une brisure en profondeur, dans ces fonds marins de l'âme humaine où elle se gauchit et se tord." Roman de la castration que l'on sait, que l'on subit en se révoltant et en la refusant, car elle ampute non seulement le corps mais aussi l'âme. D'où le besoin de voir, de se percevoir, de toucher la plaie. Et Guégan d'ajouter "L'abcès a été crevé. Mal, critiquera-t-on, mais qu'importe la méthode lorsqu'il s'agit de porter le fer dans la plaie. Sous le pus, sous l'excrément, perle le sang. Le sang, entendez-vous ? L'avez-vous vu, enfin ce sang ?".

Raconte-t-on un tel livre ? Non naturellement. Il faut en lire la violence, et encore pourra-t-on le comprendre, car il choque, et blesse, et terrorise parce que cette terreur est portée en soi-même. Comme Artaud. La terreur choquera. C'est là sa fonction. Mais apaisera également. Uniquement ceux qui reviennent d'ailleurs, à ceux-là s'adresse Gérard Guégan, à ceux qui savent qu'aimer n'est pas un simple mot, un verbe qui laisse intact.

Gérard Bédrossian, Cahiers arméniens ANI, N° 3 (1987)


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