Un regard lumineux, doux et émerveillé. Celui d'une femme. Un groupe d'amis, unis par la foi, la passion de l'idée démocratique. Erevan 1988. La journaliste Myriam Gaume rencontre le Comité Karabagh. Un vent de démocratie souffle sur le pays tout entier. Pour cette jeune arménienne issue de la seconde génération de la Diaspora, c'est le choc. La mémoire parentale ressurgit.
"Mon père est né en 1910 à Erzeroum et ma mère en 1917 à Konya", murmure Myriam, la voix tremble. La jeune femme conte l'Arménie légendaire, l'Arménie de son enfance, une Arménie oubliée. Mais ne voilà-t-il pas que le destin s'en mêle ! Cette Arménie qu'elle croyait perdue, renaît. Elle prend forme sous ses yeux. Elle devient réalité. "J'ai voulu aller partout. J'ai parcouru le pays tout entier, puis je suis passée au Karabagh". Animée par cette soif de vérité et de connaissance qui la caractérise, Myriam part à la rencontre d'un peuple qui s'éveille. Son peuple. Elle écoute les clameurs de ces hommes et de ces femmes massés sur la place de l'Opéra. Elle recueille les propos et les discours du politicien, du citadin ou du paysan. Elle entend, au loin le tonnerre du canon.
Karabagh ! Le mot magique. Le mot repris, scandé, martelé par des milliers de voix. Le récit est teinté d'émotion et d'humanité. C'est pourquoi Myriam décide de raconter et de témoigner. Mais, très vite, ses articles lui laissent un sentiment d'insatisfaction, d'inachevé. "Il fallait absolument que je rende compte de cette dimension humaine, de cette émotion, de cette ébullition". C'est ainsi que naissent "Les invités de la terre". Ils transforment aussitôt la vie et le comportement de Myriam. "Leur calme détermination m'a impressionnée. Ils se sont révélés dans le courage". Les yeux s'animent. La parole se déverse. Myriam devient intarissable. Elle raconte la vie au Karabagh. La guerre, la mort, la joie, l'amitié, le courage. Avec abnégation. Avec modestie. Que de tendresse et de poésie, employées pour qualifier les actes de bravoure de ces résistants, de ces combattants. Et bientôt, dans la lumière crue d'une salle à manger blanche et dépouillée, les montagnes se dressent. Les combattants sont là. Tout près de nous. Oui, Myriam les aime et les admire. "Ils vivent dans les valeurs spirituelles, impalpables. Leur champ de réalité n'est pas comparable au nôtre".
La jeune femme est pleine de respect pour ces hommes et ces femmes. Elle les grandie, les magnifie même. Son expérience de journaliste n'est rien à ses yeux (ou presque !) comparée à ce qui lui a été donné de voir là-bas.
Pourtant, Myriam aime son métier. Cela se voit. Cela se sent. "La liberté dispose, je la mets au service du journalisme. C'est mon genre de vie". Myriam n'est donc pas à proprement parler une carriériste. Les articles à sensation, les sujets qui "font vendre" ne l'intéressent nullement. Elle ne court, ni après la gloire, ni même après une quelconque reconnaissance. Ce qui la passionne, par dessus tout, ce sont les gens. Les comprendre. Les connaître. Son métier de journaliste lui permet donc d'appréhender les ressorts humains, l'universalité.
Quoique jeune et fine d'aspect, Myriam possède déjà une solide expérience du métier. Diplômée à 20 ans de journalisme et de sciences sociales, elle publie en 1974 un livre-portrait du politicien Jacques Attali.
Puis elle collabore à de nombreux magazines tels que "Le Quotidien de Paris, "l'Express" et même la presse féminine. Le grand tournant de sa carrière se situe en 1982. Elle rejoint l'équipe des "Dossiers du Canard Enchaîné". Elle y reste fidèle pendant cinq ans, traitant essentiellement des faits de société. Forte de cette expérience, "L'Evénement du Jeudi" et "Le Monde" l'associent ensuite comme collaboratrice, à leur rédaction. Elle devient alors la spécialiste de la Tchécoslovaquie et du Caucase.
A ses heures perdues, Myriam pratique le Yoga et "chasse" les antiquités. Le journalisme n'est pas seulement un métier. C'est aussi un art de vivre. Surtout pour Myriam Gaume.
Hélène Dubois-Kosséian, France-Arménie, numéro 126, septembre 1993.