Dans un étrange observatoire astronomique, des orphelins de guerre, élevés loin de chez eux, s'interrogent sur leur passé : sont-ils les enfants des victimes ou des bourreaux ? Comment avancer s'ils ne connaissent pas l'histoire qui les a fondés ? Mais est-ce vraiment avancer que de déterrer les secrets du passé ? Et si le meilleur ami se révélait être descendant des ennemis de naguère ? Et pourquoi bâtir une identité sur les combats des générations précédentes ?
Mille et une questions traversent la pièce de Sedef Ecer, auteure turque et francophone, qui s'est nourrie des multiples débats et ateliers qu'elle mène depuis des mois ici et là, avec de jeunes comédiens et étudiants arméniens et turcs, allemands et français, ainsi que des rencontres avec des intellectuels et des personnalités de ces pays qui ont été, à un moment de l'Histoire, en conflit avec leur voisin.
« Les Descendants » a été présentée dans la capitale arménienne, Erevan, devant un public qui avait de la peine à cacher son émotion. C'est, en effet, une des rares fois qu'une auteure dramatique turque ose interpeller l'opinion de son pays, à propos d'une tragédie qui pèse lourdement sur l'histoire de son pays.
« Les Descendants », la pièce écrite par Sedef Ecer, retrace le destin de trois générations de femmes dans les tourbillons de l'histoire. Dans un pays sans nom, la première génération vit le drame d'un génocide, la seconde les difficultés de libérer la parole, et la troisième veut comprendre son passé pour tenter de l'accepter et pouvoir se projeter dans l'avenir.
Avec 8 acteurs pour une vingtaine de personnages, des époques qui se croisent dans la narration, plusieurs lieux pour l'action (un observatoire d'astrophysique, le palais d'une dictatrice, un site de fouilles archéologiques...), nous nous sommes orientés vers un travail choral sur un plateau très neutre, habillé par la lumière, les costumes et des éléments de vidéo.
À Paris, la pièce est jouée pour moitié en français, mais aussi dans les 3 langues des comédiens ainsi que l'Anglais. Ces langues provoquent sur scène une forme de Babel revisitée. Elles interrogent la difficulté du dialogue dans des langues si différentes que le français, l'allemand, l'arménien et le turc, mais offrent aussi des sonorités mélodiques, des accents qui résonnent souvent dans notre mémoire, stimulent notre imagination et notre perception de la dimension non verbale des échanges.
Sedef Ecer, auteure d'origine turque, Serge Avédikian, documentariste d'origine arménienne, et moi-même, metteur en scène français, nous avons initié un processus de création fondé sur le dialogue, te partage et la confrontation. Nous attendons de la conjugaison de nos inspirations la création d'une œuvre commune ouverte et stimulante. Et le sujet s'y prête.
Nous voici trois artistes associés autour du thème de la réconciliation. Nos dialogues s'inspirent de la réconciliation franco-allemande et de la si difficile réconciliation arméno-turque. Comme une convocation de nos histoires personnelles face à l'Histoire de nos pays d'origine. Le champ des possibles est enivrant et vertigineux.
Fruit d'une commande à Sedef Ecer, Les Descendants est la pièce qui découle de ce processus de création fait de résidences de recherches, d'ateliers avec des jeunes des 4 pays, d'interviews de personnalités... Un parcours initiatique pour remettre en question nos a priori pour explorer et créer véritablement ensemble.
Après l'écriture de la pièce, les comédiens associés ont pris le relais de ce processus créatif. 8 interprètes originaires d'Allemagne, d'Arménie, de Turquie et de France, 4 actrices et 4 acteurs de générations différentes se sont appropriés le texte et l'ont adapté avec l'équipe artistique et moi-même lors d'une résidence de création à Erevan en octobre 2011. Le spectacle présenté à [Aquarium constitue une nouvelle étape d'un processus en mouvement qui interroge la réconciliation au travers du texte de la pièce, mais aussi au travers de l'équipe présente sur scène en création.
Un exemple même d'un dialogue possible.
Bruno Freyssinet