Ida DER-HAROUTUNIAN

Lyon, place des Terreaux. Ardé débarque de Marseille pour assister au show d’une amie. Elle s’arrête devant une buvette « A la rose d’Elazig », commande un kébab, servi par Cémil, un adolescent loquace qui soudain lui décrit, mot pour mot, la cour, la fontaine, la couleur des murs de sa maison ancestrale en Turquie. Celle-ci appartenait-elle aux siens, rescapés du génocide ? La ville d’Elazig se nommait Kharpert dans l’Arménie historique. Ardé, bousculée dans ses souvenirs, frissonne… Elle entend quelques mots turcs qui évoquent un trafic d’objets rapportant de l’or avec une première étape, Marseille. Sous le coup de cette rencontre improbable, elle exhorte Mat’, flic corse, à s’intéresser à l’entourage du jeune Turc. Mat’ fouille de Marseille à Grasse jusqu’à New York. Descente rétrospective dans le passé familial d’Ardé, l’enquête de police conduit à un présent pour lequel les auteurs laissent le lecteur libre de relier la fiction à la réalité

Après « Kebab story », écrit avec Jean-Paul Ceccaldi, l'auteure découvre l'Arménie au cours d'un court périple de 10 jours. Sous forme de nouvelles, ses rencontres avec les femmes d'Arménie constituent ce petit livre. Qu'elles s'appellent Archalouys, Chamiram, Astrid ou encore Hripsimé, rencontrées au Vernissage, à Sardarabad, à l'Opéra d'Erevan ou dans la région d'Ararat, elles sont un condensé de la population féminine du pays. Touchante, cultivée, hargneuse, petite fille pathétique rescapée de l'horreur, vieille vendeuse de bougies, jeune fille élégante du 21 siècle ou grand-mère hors du temps, elles sont tout cela. Face à elles, Ida, Arménienne de diaspora, n'est-elle qu'une touriste "dans ce pays, le nôtre !" ?
Comment ne pas éprouver de la colère : "P... de génocide ! P... de Staline !", "un seul peuple et deux mondes". Au cœur de chaque Arménien persiste cette injustice du traité de Sèvres jamais appliqué, cette tragédie de ses ancêtres chassés de chez eux après près de 3 000 ans sur leurs terres. Un voyage en Arménie soulève des souvenirs par milliers : ceux des parents disparus, les traces historiques du passé de la nation et ce douloureux sentiment d'être si proche et déjà si différent. Dans un rythme rapide, se succèdent scènes de vie aussi bien que références littéraires ou historiques. Ida Der-Haroutunian rend un bel hommage aux femmes de la petite République qui ont fait face à toutes les difficultés des années noires et qui, aujourd'hui encore, font face à l'avenir avec un espoir intact. Mais la femme n'est-elle pas "l'avenir de l'homme" ?
Zmrouthe Aubozian, France-Arménie, numéro 372, Février 2011