Retour à l'Index des auteurs    Accueil
Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Jean-Claude BELFIORE
( n. 1955 )

L'auteur

Jean-Claude BELFIORE --- Cliquer pour agrandir
Naissance le 8 mai 1955 à Nantes (Loire-atlantique, France).

Hélléniste, latiniste et italianiste. - Professeur de lettres à Nantes (en 2003).

D'origine arménienne par sa mère et italienne (sicilienne) par son père, Jean-Claude Belfiore fait ses études à Nantes, au lycée Clemenceau, puis à la faculté des lettres ; il fréquente ensuite l'Université de Haute-Bretagne de Rennes. En 1984, il publie son premier roman policier puis des ouvrages sur l'antiquité classique, dont il est spécialiste ; il collabore aux revues Historia, Les Cahiers de Sciences & Vie. En octobre 2012, il publie un nouveau polar aux Éditions Bargain. Parmi ses ouvrages : Hannibal, une incroyable destinée (Larousse, 2011), Êtes-vous fort en mythologie ? (Larousse, 2011), Dictionnaire des croyances et symboles de l'antiquité (Larousse, 2010), Grand Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine (Larousse, 2003 & 2010).

ligne
Livre numéro 1839
Jean-Claude BELFIORE --- Cliquer pour agrandir Moi, Azil Kémal, j’ai tué des Arméniens - Carnets d’un officier de l’armée ottomane
Titre : Moi, Azil Kémal, j’ai tué des Arméniens - Carnets d’un officier de l’armée ottomane / auteur(s) : Jean-Claude BELFIORE -
Editeur : Parenthèses
Année : 2013
Imprimeur/Fabricant : ouvelle imprimerie Laballery à Clamecy (Nièvre)
Description : 16,5 x 23 cm, 208 pages, couverture illustrée en couleurs
Collection : Diasporales
Notes : Contient un lexique
Autres auteurs :
Sujets : Génocide arménien -- Roman
ISBN : 9782863642795
Bibliothèques : Consultable à la Bibliothèque de la Cathédrale apostolique arménienne, Paris
Catalogué à la Bibliothèque Nationale de France
Prix : 19,00 euros
Achat possible sur : Amazon

Commentaire :

Présentation par l’auteur

En 1915, le capitaine Azil Kémal, de l’armée ottomane, reçoit pour mission de procéder à l’extermination des Arméniens des villages du vilayet d’Erzeroum, ou d’en contrôler le bon déroulement. Le capitaine Kémal s’est acquitté de sa tâche avec la rigueur qu’on est en droit d’attendre d’un officier loyal. Les autorités ottomanes lui confièrent ensuite la mission d’escorter un révolutionnaire depuis Erzeroum jusqu’à Deir-ez- Zor. Parallèlement à ses rapports officiels, Azil Kémal rédige son journal privé ; ces notes englobent la période comprise entre le 24 avril 1915 et le 25 mai de la même année, soit un mois. C’est peu, sans doute, comparé aux années de massacres et de déportation, mais les détails que l’officier livre sont riches et, surtout, révélateurs de ce qui se passait ailleurs à la même période, et de ce qui arrivera au cours des mois et années qui suivront.
J’ignore pourquoi et comment les carnets-mémoires que le capitaine a laissés se sont retrouvés en possession de mes grands-parents maternels — des Arméniens —, qui les ont transmis ensuite à leur fille. Jamais l’idée de lire ce témoignage ne m’avait traversé l’esprit, jusqu’au décès de ma mère, survenu en juillet 1992. C’est avec émotion que j’ai redécouvert le paquet que je n’avais entrevu qu’à de trop rares reprises, rangé dans le tiroir le plus bas du chiffonnier, enveloppé d’une double épaisseur de papier kraft et de papier journal jauni, et assemblé avec de la ficelle grossière.
Si les mémoires ont été rédigés majoritairement en turc, Azil Kémal a utilisé les caractères arméniens, procédé alors courant chez les Arméniens qui ne parlaient pas leur langue ; on sait pourtant que le capitaine était arménophone. Il y a lieu de croire que l’officier, conscient d’outrepasser le règlement, se protégeait par ce moyen dans l’éventualité où ses carnets tomberaient aux mains de Jeunes Turcs particulièrement formalistes. Gageons qu’il se ménageait là une issue de secours bien précaire ! Son nom et son grade, sans compter celui de ses proches, militaires ou civils, sont mentionnés tout au long du journal ; et l’on conçoit mal, d’une part, qu’il ne se fût trouvé personne, parmi les Turcs, capable de comprendre ce qui était écrit ; d’autre part, qu’un autre que le capitaine aurait pu être l’auteur de ces lignes ! C’est ce témoignage, laissé sans titre par son rédacteur, que je livre au lecteur du xxie siècle.

Jean-Claude Belfiore


Propos recueillis par Isabelle Kortian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 198, Juillet-Août 2013

Nouvelles d'Arménie Magazine : Comment le spécialiste de mythologie grecque et latine que vous êtes, en est-il venu à écrire un roman noir sur 1915 ?
Jean-Claude Belfiore: Ce n'est que récemment que j'ai pris conscience que j'étais Arménien pour moitié. Je suis né en France, j'y ai fait mes études, je porte un nom italien et je m'intéresse à l'antiquité classique... Pour au moins ces raisons, mon arménité a été longtemps en sommeil. Je me suis réveillé, il y a peu, coupable, et je me suis dit, j'ai senti que l'Arménien devait se manifester. C'était un peu comme si, pendant toutes ces années, j'avais manqué quelque chose. Il s'agissait de réparer une injustice qui s'imposait soudainement, et avec une vigueur inattendue. Toutefois, j'ignore dans quelle mesure j'ai écrit un « roman noir ».
NAM: Comment qualifieriez-vous votre livre? Roman, polar, journal, récit moitié document, moitié fiction, il mêle avec aplomb tous les genres...
J.-C. B.: Je pense qu'on peut le qualifier de roman historique, avec ce que le genre implique : une intrigue avec des personnages et des situations réels et d'autres non, à une époque passée, non révolue cependant.
NAM: Pourquoi avez-vous choisi de faire d'Azil Kémal, un officier de l'armée ottomane, le personnage principal de votre livre, celui dont le narrateur retrouve et publie les carnets ?
J.-C. B.: Sans évoquer les rapports officiels des Allemands de l'époque, les récits sur les massacres de 1915 ont été écrits et continuent d'être écrits par des Arméniens qui ont survécu aux déportations, ou par leurs enfants et petits-enfants. Mais le narrateur victime est un Arménien. J'ai moi aussi été tenté, instinctivement, de faire de mon personnage principal un enfant que les parents réveillent en pleine nuit parce que les Turcs pénètrent de force dans les maisons et massacrent les occupants. Ce propos se heurte à deux écueils. Si tragique qu'ait été le sort du narrateur de ce type d'histoire, il reste enviable comparé à celui de son compagnon qui a péri dans les déserts, parce que lui a survécu. Le vrai témoin, le témoin absolu de l'horreur, c'est l'Arménien qui est mort, et souvent dans des souffrances qu'on n'imagine pas. Les morts ne témoignent pas. Pas directement. L'autre témoin total, c'est le bourreau. Azil Kémal est en prise directe avec la mort et la souffrance. Le lecteur aussi. Le deuxième écueil, c'est la crédibilité. Un Arménien, qui raconte 1915 et les années suivantes, plaide la cause des Arméniens. C'est l'idée qu'il donne à « l'étranger » qui le lit, et ce dernier peut légitimement penser que la réalité est déformée, arrangée, exagérée, etc. Azil Kémal est un officier turc loyal. Il n'a aucun intérêt à mentir. Lorsqu'il écrit que le gouvernement turc est déterminé à exterminer les Arméniens, il dit la vérité, forcément.
NAM: Qu'est-ce que ce carnet d'Azil Kémal vient faire dans les archives familiales du narrateur?
J.-C. B.: Après le décès d'un proche, la vie continue comme elle peut. Il y a à ce sujet une phrase d'Azil Kémal qui me parait sonner juste : « La vie est injuste quand elle nous fait oublier ceux que nous avons aimés et perdus. Elle est insupportable quand elle nous les rappelle à chaque instant ». Le narrateur fait le tri dans les affaires de sa mère; il tombe sur les carnets et se souvient. Tant que sa mère vivait, ces papiers n'étaient d'aucune importance. Chacun s'est senti coupable de n'avoir pas assez dit à la personne disparue combien il l'aimait. En s'appropriant ces feuilles de papier jauni, le narrateur se rapproche de l'Arménie de sa mère. Et peut-être va-t-il mesurer ce que ces documents ont de précieux, pour avoir été conservés. Un passé reprend ses droits.
NAM: Le livre ne livre-t-il pas à sa manière l'angoisse de l'auteur face aux lecteurs du XXle siècle pour qui 1915 n'évoquera pas grand-chose ?
J.-C. B.: Peu de Français s'intéressent à l'Arménie, peu de Français savent ce qui s'est passé « là-bas » au début du XXe siècle, à la fin du Me. Le cinéma ignore la tragédie. Nous voudrions sans doute que ce qui est arrivé à nos grands-parents soit, dans les esprits de nos contemporains européens, aussi présent que la Shoah, afin de leur rendre hommage avec toute la sérénité dans le recueillement qu'il est possible d'avoir. Ce sera difficile. L'Europe, la France en particulier, n'était pas impliquée de la même manière au cours des deux évènements. Et puis, si, après la guerre, l'Allemagne s'est acquittée de ce qu'elle avait à faire à l'égard de l'Allemagne nazie, la Turquie y a toujours renoncé. Aujourd'hui, on peut, sans tabou, parler de la volonté des Nazis d'éradiquer les Juifs, parce que cette période appartient à l'histoire et que tout le monde (à part quelques illuminés) s'accorde sur la réalité de ce point. Quoique plus ancien, le massacre des Arméniens n'a pas trouvé sa place dans l'histoire, il reste d'actualité; les gouvernements de la Turquie se relaient et, d'années en années, ils se passent le témoin honteux de la responsabilité du génocide.
NAM: Azil Kémal a conscience de ce qui se passe, il a des états d'âme, il est traversé par toutes sortes de pensées contradictoires. Il pense parfois déserter, il pense au jugement de l'histoire, au cynisme des hommes et des États. 11 est aussi humain qu'inhumain. Parleriez-vous de la banalité du mal à son propos ou diriez-vous qu'il est un personnage monstrueux de l'histoire ?
J.-C. B.: Azil Kémal a conscience de ce qui se passe, mais je ne dirais pas qu'il a des états d'âme, pas de son point de vue. Une pensée le guide: protéger sa femme, Enza, qui est arménienne, et son fils. Il s'agit de trouver le meilleur compromis entre obéir à sa hiérarchie, qui lui commande de tuer les Arméniens, et protéger sa famille. Ça se complique lorsqu'Enza «change de cap » en prenant la décision de partir avec leur enfant. Kémal va sans cesse devoir peser le pour et le contre. Dire que Kémal est humain, inhumain, monstrueux... n'a de sens que pour un croyant ou pour quelqu'un qui a une morale conventionnelle. Kémal est athée, sans équivoque, et on sait que si Dieu n'existe pas, tout est permis. Il fait le « bien » et le « mal » indifféremment, mais faire le « mal », c'est aussi, suivant son regard à lui, faire le bien quelque part. Son comportement pose problème à ses compagnons de voyage, qui ne savent plus quoi penser. Faut-il être reconnaissant à Kémal? Faut-il le tuer? Eux aussi, quoique chrétiens, sont amenés à avoir des pensées athéistes, qui vont à l'opposé l'une de l'autre. On ne les qualifierait pas pour autant de monstres. Et Kémal, de son côté, s'interroge sur leurs intentions : a-t-on cherché à m'aider ou à me nuire?
NAM: Le personnage de Dingian, est-il un syncrétisme de plusieurs « héros » arméniens? ou bien l'alter ego d'Azil Kémal ?
J.-C. B.: Azil Kémal est réaliste, pragmatique; chacune de ses pensées, chacun de ses actes tend à un objectif précis, dans un contexte donné. Kévork Dingian est un idéaliste, il veut sauver son peuple, les Arméniens; il a des principes, c'est un pacifiste, un intellectuel, mais, peut-être parce qu'il mesure son impuissance, il cautionne les actions révolutionnaires. Les deux hommes vont interagir, jusqu'à un certain point. Ils se rapprochent l'un de l'autre, parfois, mais ils ne se rencontrent pas: Kémal est turc, Dingian arménien. La rupture est consommée. L'éloignement inévitable. On répondra que, dans la vie, tout ne se résout pas de façon manichéenne. Mais, à chaque instant, Kémal s'est montré intègre: qu'il « passe à l'ennemi » dans les dernières pages aurait été incompréhensible: il le dit lui-même: il s'est permis beaucoup de concessions, il ne peut pas aller plus loin, sous peine de se perdre. Les deux hommes ont eu l'un envers l'autre ce que j'appellerais des accès de tolérance. C'était circonstanciel. Et parfois instinctif, et parfois raisonné. J'ai voulu aussi que les rapports entre les Turcs et les Arméniens des carnets renvoient aux relations d'aujourd'hui entre les deux peuples. Leur amitié n'est pas d'actualité, même si, ici et là, notamment en Turquie, on sent que ça « bouge » dans le bon sens, en particulier chez les intellectuels. Dans un autre registre, le rapport entre Azil et Kevork est celui d'un athée à un croyant: la communication ne passera jamais entre eux, même si l'un choisit de se perdre car, «perdu », il n'est déjà plus lui-même.
NAM: Les femmes dans votre livre sont toutes arméniennes. Pourquoi?
J.-C. B.: Ce n'est pas volontaire. Je ne l'avais pas remarqué. Si on peut appeler cela un acte inconscient, l'explication est peut-être la suivante. Ma mère a toujours vécu dans l'ombre de son mari et je n'ai pas eu de sœur, et bien des fois cette sœur m'a manqué. Sans doute ai-je voulu faire (re) vivre l'une et l'autre à travers les Arméniennes de mon livre. Dingian est le nom de ma mère. C'est en toute conscience que je l'ai choisi pour mon personnage, pour le tirer des oubliettes, comme le narrateur-intervenant a mis au jour les carnets du capitaine Kémal.
NAM: Auriez-vous pu écrire ce livre il y a 20 ans? Si non, quels contextes littéraire et politique rendent possibles l'écriture de ce livre aujourd'hui?
J.-C. B.: J'ai écrit ce livre maintenant pour les raisons mentionnées plus haut. Il est né d'un besoin intime et je n'ai pas été « guidé » par l'actualité au quotidien. Ma vision était globale mais pas réductrice pour autant. Après coup, en cherchant le titre, je me suis rendu compte d'analogies avec d'autres romans: j'aurais aimé pouvoir intituler le mien « La mort est mon métier » Ceci dit, ce livre aurait pu être écrit vingt ans plus tôt, comme il pourra (malheureusement) être écrit dans vingt ans. Il apporte sa modeste pierre à l'édifice des témoignages en faveur de la reconnaissance universelle du génocide. L'intérêt des hommes politiques en France, pour la cause arménienne, s'apparente trop souvent à de la complaisance. Sans doute des enjeux supérieurs échappent au citoyen ordinaire que je suis, mais cela me peine et m'exaspère. La décision viendra de la Turquie. Tant qu'il ne se trouvera pas un dirigeant turc (un Juste?) disposé à frapper du poing sur la table en déclarant « Reconnaissons-le: une certaine Turquie a voulu supprimer le peuple arménien », les Arméniens montreront qu'ils sont vivants, solides, rappelant du même coup à une certaine Turquie qu'elle a échoué dans son sordide projet. En son temps, Gorbatchev a frappé du poing sur la table, et un mur de la honte est tombé.

Propos recueillis par Isabelle Kortian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 198, Juillet-Août 2013


ligne

  Retour à l'Index des auteurs