L'oecuménisme au coeur
Article dans Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 134, octobre 2007
Nouvelles d'Arménie Magazine : L'Église arménienne de France est enfin structurée en diocèse. Quelles vont être les conséquences au sein de la communauté arménienne et au sein de l'Église ?
Mgr Norvan Zakarian: Le diocèse est du point de vue juridique une union créée par les paroisses. Cette structure permet d'ores et déjà aux paroisses de notre Eglise de France de travailler ensemble, d'œuvrer de concert. Nous espérons qu'elle induira une plus grande collaboration entre nous pour combattre l'indifférence qui mine notre vie communautaire, contre la paralysie des esprits qui nous a gagnés tant sur le plan personnel que sur le plan communautaire. Cette collaboration va permettre, j'en suis certain, une circulation des idées, des échanges d'expériences et de ces échanges, de ces relations, naîtront des idées nouvelles, une créativité nouvelle. Les responsables laïcs devront travailler ensemble, mettre leurs communautés en relation et échanger leurs idées, évoquer ensemble leurs problèmes, chercher des solutions communes. Ils réaliseront qu’ils sont tous investis d'une même mission. Enfin une coopération organisée, harmonisée, permettra l'émergence d'une autorité ecclésiale reconnue, ce qui contribuera à une meilleure visibilité de la communauté arménienne de France.
NAM : Les délégués diocésains ont été élus, vous êtes le Primat du diocèse, et plusieurs commissions sont en train d'être mises en place. A quels projets va s'atteler prioritairement le diocèse ? Quels sont les grands projets qui vous tiennent à cœur ?
N. Z. : La vocation première du diocèse concerne la formation spirituelle, l'évangélisation, l'organisation de la catéchèse, en un mot la vie pastorale. Autrefois, cette œuvre essentiellement pédagogique s'opérait à travers la liturgie. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'Eglise doit reprendre sa mission d'évangélisation pour retrouver sa place parmi son peuple. Elle ne doit pas être une « entreprise » mais une « mission » au sens premier du terme. Elle doit former les nouvelles générations pour rétablir leurs liens avec la Tradition. Pour y parvenir, le diocèse devra développer un ambitieux projet d'édition de livres de prières, de traductions des œuvres des théologiens de notre Eglise, d'explication des célébrations. Bref, assurer la transmission d'une expérience spirituelle d'une grande richesse mais aussi d'une culture dans laquelle elle s'est incarnée. N'oublions pas que si notre Eglise est détentrice d'une riche expérience spirituelle, elle est aussi le légataire d'un héritage culturel tout aussi important. La question est de savoir si elle pourra intéresser les héritiers potentiels de ce double et riche héritage. La question des vocations locales sera bien évidemment une de nos priorités. Sur un plan plus administratif, tout est à construire. Le diocèse ne dispose d'aucune structure technique et ne possède à ce jour aucune base économique. La réforme des statuts des paroisses parisiennes sera aussi à l'ordre du jour pour le primat et le Conseil diocésain. Au terme de cette réforme, chaque église devrait obtenir les mêmes droits que les paroisses fondatrices du reste du pays.
NAM : Pour la première fois, l'Eglise arménienne de France a un seul homme à sa tête. Qu'est-ce que cela va changer dans ses relations à l'extérieur : rapport avec l'Etat, avec les autres communautés, les autres Eglises ?
N. Z. : En France comme ailleurs, le Christ est la seule tête de notre Eglise. Vous vouliez sans doute parler du responsable du diocèse de France ? Oui, en effet, le primat est à la tête du diocèse mais avec les différentes instances diocésaines qui, comme leur nom l'indique, le conseillent et l'assistent. Nos relations avec l'extérieur vont connaître un développement nouveau empreint d'une plus grande reconnaissance, car la structure diocésaine que nous venons de mettre sur pieds et canoniquement promulguée par sa sainteté le Catholicos Karékin II, nous permet de nous présenter de manière plus structurée, plus représentative. Les liens avec les autorités de notre pays seront renforcés grâce à cette structure. Il en sera naturellement de même dans nos relations avec les autres communautés et Eglises présentes dans notre pays.
NAM : Cela va-t-il être plus facile pour l'Eglise arménienne de France de prendre part aux grands débats français, notamment républicain.
N. Z. :L'Eglise arménienne de France contribuera plus facilement aux débats sociétaux, et plus particulièrement au débat républicain en cours, grâce à ces changements que l'on voit s'opérer dans la communauté arménienne. Les fidèles de notre Eglise, qui sont aussi des citoyens français, doivent bien évidemment s'approprier les valeurs républicaines tout en préservant les fondements ecclésiologiques de l'Eglise Arménienne. C'est ainsi qu'ils pourront la présenter, la défendre et transmettre son héritage. Tout le monde s'accorde à dire que notre communauté constitue un modèle d'intégration réussie. Mais en réalité, que savons-nous de notre propre intégration et de sa théorie ? Avons-nous une vision bilatérale, et donc intégrale, de cette intégration ? Il y a ici aussi devant nous un immense chantier, celui de la formation de nos élites et de la contribution de notre communauté à ces débats qui concernent toute la collectivité nationale et dont nous ne pouvons nous désintéresser. Le diocèse doit aussi apporter sa contribution à ces débats en formant ses cadres, qu'ils soient religieux ou les.
NAM : L'Eglise arménienne de France aura-t-elle plus de légitimité, davantage de reconnaissance du fait qu'elle possède désormais un seul interlocuteur.
N. Z. : Une plus grande légitimité, sans aucun doute. Non parce quelle aura un seul porte-parole mais parce que la communauté apparaîtra comme soudée en une union représentative et que son représentant sera le porte- parole de tous et pour tous.
NAM : Quels sont vos projets sur le plan œcuménique ?
N. Z. : Je vais découvrir le paysage œcuménique de Paris. Comme vous le savez peut-être, nos relations avec les autres confessions à Lyon ont toujours été, et demeurent, très fortes. A Paris, de la même manière, je m'appliquerai à entretenir des relations étroites avec toutes les communautés religieuses présentes dans la capitale. Je veillerai à ne pas manquer les rencontres existantes et à en susciter, le cas échéant, de nouvelles. Je souhaite quelles ne soient pas formelles ou « protocolaires » mais chaleureuses, concrètes et » pratiques ». Ces relations œcuméniques doivent dépasser le stade du discours pour donner vie à des réalisations concrètes dans la vie des Eglises et des fidèles.
NAM : Certains points des statuts avaient posé problème au moment de la signature par les représentants des paroisses. Qu'en est-il actuellement ? Certaines paroisses avaient émis le souhait de modifier rapidement les statuts sur quelques points qui leur paraissaient importants (exemple : procurations pour les votes à Chaville). Cela va-t-il se faire ? Les statuts vont-ils s'adapter à la réalité du terrain ?
N. Z. : Lors de l'élaboration des statuts diocésains, des dissensions concernant le statut des conseils paroissiaux étaient apparues. Elles ne portaient en réalité pas sur des aspects fondamentaux. Il a été décidé de créer une commission composée de membres de l'Assemblée des délégués diocésains (ADD), afin qu'elle étudie ce dernier point et propose une réforme de cette partie des statuts. Ceux-ci pourront évidemment être modifiés en tenant compte de la réalité du terrain.
NAM : Les paroisses gardent-elles des champs d'action spécifiques ?
N. Z. : Les paroisses gardent pour l'heure leur champ d'action initial, aucun programme de travail n'ayant encore été proposé par le diocèse. Il s'élargira donc naturellement quand celui-ci proposera de nouvelles orientations, des perspectives d'action. Le chantier est vaste et chacun y trouvera sa place.
NAM : Les conflits de l'époque avaient notamment porté sur la place et le rôle du prêtre dans le conseil d'administration. Quel doit être selon vous le rôle des ecclésiastiques et celui des laïcs au sein de l'Eglise et du Diocèse ?
N. Z. : Les statuts diocésains organisent et répartissent les fonctions. Les principes démocratiques de notre Eglise y sont réellement respectés puisque les rôles impartis aux uns et aux autres, laïcs et religieux, y sont très clairement définis. Ces deux types de vocations qui sont reconnues constituent en réalité une seule mission. Elle est la même, que l'on soit prêtre ou laïc, c'est le service de l'Eglise. Les dissensions que vous évoquiez ne concernaient au demeurant qu'un petit nombre de personnes et n'avaient qu'un caractère local.
NAM : Vous êtes un homme de projets et un homme d'ouverture. Comment concevez-vous le rôle de l'Eglise au sein de la communauté arménienne ? Comptez-vous mettre en place ou participer à des projets liés à l'éducation, à la culture, et plus généralement à la vie de la communauté en dehors de l'église ?
N. Z. : Cette vocation est avant tout spirituelle. Pour mener à bien cette mission, l'Eglise s'est certes dotée d'associations cultuelles, mais cela ne signifie pas que l'Eglise va se cantonner dans ce rôle. Fidèle à sa vocation historique, elle va continuer à encourager des programmes culturels et éducatifs, en particulier de promotion de la langue arménienne. Je ne voudrais pas terminer sur ce chapitre sans évoquer la contribution de notre Eglise a l'année de l'Arménie en France. Le Saint-Siège d'Etchmiadzine, à travers ses musées, et nos paroisses de France, ont été les artisans actifs de nombreuses manifestations et ont contribué à la réussite de ce qui restera dans l'histoire de nos deux peuples comme le signe d'une grande amitié.
Propos recueillis par M.C.