Du pays d'Ararat au Mont Zion
par Laurie Drossin, pour l'ACAM
Savez-vous ù trouver à Jérusalem une collection de quatre mille manuscrits anciens et d'une valeur inappréciable ?
Savez-vous ù trouver à Jérusalem quelques-unes de ses plus belles églises médiévales, avec un trésor de candélabres, de reliques et dont les murs de briques, datant des premiers siècles de la chrétienté, baignent dans des flots d'encens ?
Savez-vous ù trouver à Jérusalem une presse à imprimer datant de 1833 (la première en Terre Sainte); et vingt mille ouvrages écrits en une langue que seulement trois mille des habitants de la ville parlent et lisent et qui est issue d'une révélation divine au IVe siècle. ?
Savez-vous ù trouver à Jérusalem une exposition, monumentale d'ustensiles et de joaillerie d'or, de vêtements sacerdotaux et de céramiques antiques, présentée dans un nouveau musée qui sera inauguré en octobre 1978 ?
La réponse se trouve au quartier arménien de la vieille ville de Jérusalem, situé à l'angle Sud-Ouest de la ville. Le visiteur y trouve le spectacle d'une tradition vieille de 1.700 ans, mais encore vivace et florissante.
En entrant par la porte de Jaffa, prenez à droite; et vous trouverez, à quelques centaines de mètres, l'ancien portail du Complexe arménien. Cet ancien monastère, qui est aussi la résidence de deux mille Arméniens, n'ouvre ses lourdes portes qu'à ses habitants et aux visiteurs invités ou aux groupes organisés de touristes.
Dès qu'on a franchi la porte d'entrée, on trouve la cathédrale Saint Jacques, qui date du IVe siècle, époque ù la dépouille de Saint Jacques le Mineur, premier évêque de Jérusalem et martyr de la foi, fut exhumée de sa tombe dans la vallée de Cédron, et inhumée à nouveau sous l'actuel grand autel de la cathédrale. Sur le lieu de la décollation et de l'inhumation de Saint Jacques le Majeur, le pêcheur et l'un des douze apôtres, est édifiée une chapelle richement décorée dans la ne£ septentrionale de la cathédrale. Dans la nef méridionale, se trouve la chapelle consacrée à Saint Etchmiadzine; trois grandes pierres amenées du mont Sinaï, du mont Thabor et des bords du Jourdain, permettent un pèlerinage symbolique à ces lieux saints. Les murs de cette très belle chapelle sont décorés de tableaux d'ardoise représentant des scènes de la vie de Jésus ou de l'histoire sainte, et reproduisant des illustrations d'anciens manuscrits arméniens. La cathédrale est pleine de splendides candélabres magnifiquement ouvrés, dons des communautés arméniennes du monde entier. Une nouvelle cathédrale est actuellement en construction sur le mont Sion, qui incorporera les vestiges de la Maison de Caïphe et d'une église de l'époque byzantine; elle est érigée à proximité des lieux ù sont inhumés les patriarches arméniens, en conformité avec la très ancienne tradition.
Des croix de pierre décorée sont serties dans les murs d'enceinte de la cathédrale ; nommées " Khatchkars ", elles sont également des dons votifs de pèlerins venus du monde entier. Deux battants, l'un de bois, l'autre de fer, sont suspendus au-dessus de l'entrée de la cathédrale. Vestige de l'époque ottomane, ils rappellent que, jusqu'en 1840, les Turcs avaient interdit aux chrétiens de faire sonner les cloches de leurs églises; c'est par ces battants qu'on appelait les fidèles aux offices religieux.
Parmi les autres monuments intéressants du quartier arménien, se trouve la résidence du patriarche Elisée II, et l'immeuble des services administratifs du Patriarcat. Particulièrement remarquable est le vestibule vaste et élégant, orné des portraits des anciens patriarches et des représentants des familles royales d'Europe; il est utilisé pour l'accueil des dignitaires officiels en visite et des hôtes de marque. Construit en 1853, il est recouvert de tapis persans rares, illuminé par des chandeliers de cristal et couronné d'un magnifique dôme bleu de dix mètres de haut.
Le quartier abrite également une école primaire et un lycée qui comptent 350 élèves. Le programme d'études comporte, outre le programme d'études général, l'enseignement de l'histoire et de la culture arméniennes. Le Patriarcat supervise également un séminaire fondé en 1843. Celui-ci est aujourd'hui installé dans plusieurs immeubles modernes construits en 1975. Plus de soixante séminaristes se forment ici au sacerdoce, alors que des étudiants d'autres origines étudient la langue, la culture et la religion arméniennes.
Trois mille Arméniens seulement, sur les quelques six millions d'Arméniens dispersés aujourd'hui dans le monde entier, vivent à Jérusalem. Le patriarcat et la communauté arménienne, très étroitement liée et composée d'artisans, de marchands et de membres des professions libérales, est le deuxième centre spirituel mondial des Arméniens, après le Catholicos de Tous les Arméniens. Celui-ci se trouve à Etchmiadzine, la capitale religieuse et historique de l'Arménie, située aujourd'hui en Arménie soviétique.
Il va dès lors de soi que Jérusalem, étant beaucoup plus accessible aux visiteurs du monde libre, attire beaucoup plus de jeunes Arméniens originaires d'Occident ou du Moyen-Orient. Le fait que le séminaire arménien est l'un des principaux centres de théologie et d'études arméniennes, a fortement contribué à la prospérité de la communauté et a rehaussé son prestige.
Pour les Arméniens, qui constituent une petite minorité dans les lieux de leur dispersion, la survie religieuse et culturelle est une question critique. Que la majorité de la communauté arménienne réside a, l'intérieur de l'enceinte de son quartier est clairement un témoignage des nombreuses épreuves que ce peuple a endurées depuis qu'il a embrassé le christianisme, le premier peuple à le faire en masse, en 301.
Les Arméniens, outre les persécutions subies du fait de leur religion, devaient également endurer celles qui découlaient de leur identité nationale distincte. Aujourd'hui encore, les grands désastres de leur nation, et en particulier les immenses massacres des années 1915/ l 917, ù les troupes de l'empire ottoman ont fait périr un million et demi de leurs frères, sont encore vivaces dans leur mémoire.
Le patriarche arménien a la garde, avec les patriarches latin et grec orthodoxe, de l'église du Saint-Sépulcre. Consciente d'être l'une des églises chrétiennes les plus anciennes, et qui peut faire état d'une présence particulièrement longue en Terre Sainte, la communauté arménienne est fière d'être l'une des gardiennes de ce lieu saint.
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