La presse de la communauté arménienne au Canada
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La communauté arménienne au Canada
A l'image du talentueux réalisateur Atom Egoyan, l'une de ses figures emblématiques, la communauté arménienne fait aujourd'hui parler d'elle. Pourtant, la société canadienne, complexe et mufti-ethnique, n'a pas toujours été vraiment tendre à son égard...
Aux chemins tracés d'avance, Atom Egoyan préfère suivre le sien, à l'abri des importuns. Le cinéaste canadien promène sa caméra là où les producteurs d'Hollywood répugnent d'ordinaire à s'aventurer : à l'intérieur des êtres. Son cinéma est particulier, sensible, parfois hermétique. Pourtant, nominé deux fois aux Oscars, il se souvient encore de cette soirée où l'actrice américaine Cher lui souffla dans l'oreille, à sa grande stupeur, ces quelques mots : " Inch bes es"... C'était en 1997, à Hollywood justement. Tous les Canadiens avaient les yeux braqués sur lui. Ils sentaient que leur culture commençait à être reconnue. A sa vraie valeur. Que de chemin parcouru depuis le Caire, sa ville natale, que le cinéaste quitte en 1962 pour s'installer à Victoria, en Colombie Britannique. Lui et sa femme, Arsinée Khandjian, une comédienne qu'il rencontre à Toronto, en 1984, forment un couple emblématique. Les époux travaillent ensemble. Et les films s'enchaînent : "The Adjuster", "Exotica" et "The Sweet Hereafter", nommé aux Oscars comme meilleure adaptation à l'écran et pour lequel Atom Egoyan est proposé comme meilleur réalisateur. Le scénario, tiré du roman de Russel Banil, raconte l'histoire d'un banal accident de bus qui traumatise une petite ville du Canada. Certains y voient une allusion aux blessures toujours ouvertes de la communauté arménienne. "Au cours de mon enfance, je pensais que je ne m'assimilerais jamais. A Victoria, je voulais être comme des autres enfants, mais ils m'appelaient le petit arabe, parce que j'étais plus brun qu'eux et que j'avais un drôle de nom...", raconte le cinéaste. Aujourd'hui, la société canadienne l'accepte comme l'un des siens. Les Arméniens participent désormais au renouveau culturel du pays.
Indésirables au début du siècle
En 1908, pourtant, le gouvernement canadien les classait parmi les Asiatiques, considérés alors comme des immigrés indésirables. A partir des années vingt, quelques ouvriers vont pourtant s'installer au sud de l'Ontario, à Hamilton, à Brantford ou à Sainte-Catherine. Ils viennent juste gagner un peu d'argent pour leurs familles restées en Turquie. A l'époque, ces villes industrielles comptent à peine cinq cents Arméniens parmi leurs habitants. Tous sont originaires de Keghi, situé dans la province d'Arzerum. Les hommes font venir des femmes de leur région. Ils se marient " sur photo ". Native d'Hamilton, Isabelle Kaprelian, professeur d'histoire à l'université californienne de Fresno, se souvient de sa jeunesse parmi ces immigrés "Notre communauté était très réduite. Peu d'entre nous avaient des grands-parents. Nous avons grandi dans un environnement d'oncles et de tantes. Aujourd'hui, je réalise que j'ai vécu une enfance privilégiée, chaleureuse et conviviale. " En 1930, pour la première fois au Canada, une église arménienne (Saint-Grégoire) est érigée à Sainte-Catherine. La vie communautaire, jusque-là très limitée, devient alors plus intense, car cette église rassemble tous les Arméniens du pays. Aujourd'hui, l'immeuble dans lequel elle se trouve s'est tellement dégradé que le jour où le père Shenork Souin, premier prêtre de l'Eglise arménienne apostolique né sur le sol canadien, arrive dans la paroisse, en 1994, les pompiers veulent fermer l'édifice au public ! Choquée, la petite communauté de Sainte-Catherine se mobilise avec succès. Elle récolte plus de 2 millions de francs pour restaurer l'édifice. " Nous avons terminé les travaux en 1999 et nous sommes heureux de voir de nombreux non-Arméniens devenir membre de notre Eglise", se félicite le père Shenork Souin.
Au Québec, en revanche, la communauté arménienne a mis plus de temps à se développer. Les premiers colons sont venus de Pennsylvanie, où s'était établi un petit groupe d'Arméniens catholiques. En 1925, on n'en recense que soixante-dix à Montréal.
De nouvelles vagues d'immigration
Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que les immigrés arrivent en masse au Canada, principalement du Moyen Orient. Auparavant, conscients du combat à livrer pour corriger la mauvaise classification de leurs compatriotes, les membres du Congrès arménien du Canada, créé en 1948, s'étaient livrés à des actions de lobbying pour ouvrir les portes du pays à de nouvelles vagues d'immigration. Deux personnages ont joué un rôle décisif Yervant Pasdermajian et Kenop Bedoukian. Aujourd'hui, 50 000 Arméniens vivent au Canada, dont la moitié à Montréal. Mais le Québec est loin de faire l'unanimité parmi les Arméniens.
La preuve : il y a quatre ans, Armen Kuyumjian résidait encore à Montréal. Il devait choisir une faculté de droit. Il a préféré poursuivre ses études en Ontario. Aujourd'hui, il est avocat à Toronto. " Je ne pouvais pas m'identifier aux valeurs qui régissent l'élite politique du Québec, notamment leur programme d'indépendance et d'exclusion", explique le jeune juriste. Pourtant, Armen a effectué ses études secondaires dans une école privée francophone, mais il n'a noué de bonnes relations qu'avec des étudiants... non québécois ! " Nous avons réagi aux idées xénophobes de certains étudiants, et même des professeurs, en rejetant en bloc la langue et la culture francophones. En y repensant, je crois que nous avons perdu l'occasion d'en apprendre plus sur les uns et les autres... " , se souvient-il, amèrement. Le contact passe mal. Et les débats sur l'indépendance du Québec brouillent les rapports entre les deux communautés. Ainsi, dans les années soixante, les organisations francophones demandaient plus d'autonomie. Brusquement, en 1976, les revendications se font plus pressantes : le premier gouvernement séparatiste de la "Belle Province" affiche son intention de créer une nation indépendante. Au milieu de cette polémique, les Arméniens doivent prendre position... " Nous avons peur de la séparation avec le Canada et c'est un sujet qui préoccupe tout le monde. Pendant trente ans, les Québécois se sont plaints du monde des affaires anglophone. L'économie est pourtant loin d'être prospère. Elle fonctionne moins bien qu'avant" , confie Hagop Redjebian, un homme d'affaires établi à Montréal. Autrefois considérée comme " La Mecque du Canada" , la ville a perdu de son aura. Depuis vingt-quatre ans, plus de 300 000 Québécois l'ont quittée pour des villes anglophones ou les Etats-Unis...
Anglais, français et arménien
Une position bien délicats pour les Arméniens, car les Canadiens francophones les considèrent comme une " ethnie particulière", qu'ils ne veulent pas assimiler à des Québécois même si leur langue maternelle est française. En fait, le gouvernement québécois identifie pourtant les populations à partir d'un seul critère : la langue qui détermine l'environnement dans lequel on vit, ses affinités politiques et les médias auxquels on se réfère.
Trois groupes ont été identifiés : les francophones, les anglophones et les allophones (tous les autres, dont les Arméniens). En 1995, les séparatistes ont effrayé ces "allophones ". Leur leader, déçu par les résultats du référendum (42% seulement en faveur de la séparation), avait affirmé que le Québec n'avait pu obtenir son indépendance à cause des voix et de l'argent des Québécois "étrangers"... Des propos xénophobes qu'Hagop Redjebian n'a toujours pas acceptés : "Après ce commentaire, j'ai ouvert les yeux. Avec un nom à consonance arménienne, je me suis senti perçu comme un obstacle à l'indépendance"...
Drôle de politique qui exclut ceux que l'on voudrait rassembler, car tous les Arméniens ne sont pas hostiles à l'indépendance.
Certains ont même pris position en sa faveur. "Je ne ressens pas plus de discrimination raciale qu'ailleurs. Les problèmes viennent des médias anglophones qui présentent les Québécois francophones comme des racistes", accuse Luc Baronian, né d'un père arménien et d'une mère québécoise.
Premier élu au Parlement
De son côté, au parlement canadien, Sarkis Assadourian n'est pas le seul à faire rouler un accent étranger dans sa belle voix de basse. Beaucoup de communautés d'origine étrangère sont représentées dans cette arène politique. Sarkis, lui, est le premier député canadien d'origine arménienne. Né à Alep, en Syrie, il débarque aux Etats-Unis, comme tant d'autres, pour réaliser un rêve devenir artiste. Il étudie les beaux-arts à Chicago, mais son visa américain expire. Il rejoint sa famille à Montréal, mais c'est à Toronto qu'il choisit de s'établir, se lançant bille en tête dans la politique.
Il prend alors la direction du centre communautaire arménien et fait campagne, en 1988, pour devenir candidat à Don Valley North, le seul quartier à forte concentration arménienne. Il échoue, mais ne perd pas espoir. "Cette élection a donné confiance aux Arméniens du Canada. J'ai prouvé que nous pouvions être considérés comme des "étrangers" et participer à la vie de la cité" , se rappelle le député. Cinq ans plus tard, en 1993, il se fait élire à une écrasante majorité. Et en tire une immense fierté : "Citez-moi un autre pays où un immigré qui n'a aucun diplôme universitaire peut devenir député ! "
Le tout nouveau parlementaire se sent pousser des ailes. En 1996, il prend à partie le gouvernement : "Qu'avez-vous l'intention défaire pour garantir en Arménie la protection du processus démocratique, des droits de l'homme et la sécurité physique des citoyens arméniens ?" La communauté arménienne est embarrassée par ses propos. Des associations s'empressent d'écrire au Premier ministre en déniant à Sarkis Assadourian le droit de parler en leur nom. Il perd sa circonscription. On le parachute alors dans un autre quartier de Toronto, où il est réélu, mais sans les voix arméniennes. Le député se bat comme un diable. Et les incidents se multiplient. Quand le Premier ministre canadien annonce officiellement, lors d'une visite à Auschwitz, que le Canada va créer un musée de l'Holocauste, Sarkis demande publiquement d'y inclure tous les crimes commis contre l'humanité au XXe siècle, y compris le génocide arménien. Il s'indigne: "Comment le gouvernement peut-il honorer la mémoire de certaines victimes, et pas les autres ?" Effet garanti.
Depuis, sa proposition a fait tache d'huile. Des milliers de lettres, émanant de Canadiens d'origine ukrainienne ou chinoise, lui parviennent tous les jours. Il vient de réunir une commission pluriculturelle autour de cette question : "Les crimes contre l'humanité ont tué plus de 90 millions de victimes au cours du XXe siècle, pourquoi les ignorer ?"
Tout en sachant que le Canada ne reconnaîtra pas le génocide dans un futur proche, Sarkis n'en garde pas moins espoir ; entre-temps, d'autres Canadiens d'origine arménienne ont pris des responsabilités politiques. Mais l'engagement de la communauté ne s'arrête pas aux arènes du pouvoir.
Une relève déjà assurée
Bien avant Atom Egoyan et Arsinée Khandjian, un artiste d'origine arménienne faisait déjà parler de lui au Canada Hrant Alianak. Aujourd'hui producteur, comédien et écrivain, il distribuait en 1967 le courrier dans les rues de Toronto. Et le soir, il suivait des cours de théâtre. "Quand j'ai débuté, j'étais le seul Arménien du théâtre canadien" , se souvient-il avec nostalgie. Dans les années quatre-vingt, il joue dans plusieurs films d'Atom Egoyan, écrit de nombreux scénarios, puis s'arrête brusquement: "J'ai décidé de produire mes propres oeuvres".
Il monte actuellement deux nouvelles pièces et imagine déjà son prochain spectacle : " Je le présenterai à l'automne 2001. Arsinée fait partie du projet. Cela s'appellera Georgetown Boys, une histoire à la fois canadienne et arménienne... "
Hrant Alianak a marqué toute une génération, celle d'Atom Egoyan, dont la notoriété dépasse les frontières du Canada. Mais la relève est déjà assurée sur un autre registre.
Arto Paragamian et Gariné Torossian, tous deux réalisateurs, illustrent cette nouvelle génération de cinéastes. Le premier film d'Arto, Because why, est une satire existentielle, une observation critique d'un groupe d'amis de Montréal. Le film, très bien accueilli au Canada et en Scandinavie, possède un ton particulier, teinté d'humour, que le réalisateur attribue à son origine : "Mon arménité se traduit par une ironie que l'on retrouve dans mes films " . Gariné Torossian, elle, est née à Beyrouth en 1970. Elle s'est installée définitivement à Toronto. "Au début, ce pays me paraissait froid et distant. Je suis allée à l'école sans parler la langue. Puis, ma vie a changé quand j'ai découvert la photographie et le Super 8... Mes premiers films, "Girl from moush" et "My own obsession", sont des points de vue féminins sur ce qui se passe quand une jeune fille découvre la sexualité et veut grandir en brisant des tabous. Je n'ai pas réalisé que mes films étaient expérimentaux. " Le Centre Pompidou, à Paris, l'a déjà invitée à s'exprimer sur son art et elle vient de recevoir une récompense lors du festival de Berlin. Saluée par ses aînés, Gariné a été élue par un magazine l'un des dix meilleurs espoirs canadiens.
Article paru dans UGAB Magazine, numéro 6, Troisième trimestre 2000
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