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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Diasporas - Argentine

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L'Arménie et l'Argentine, quelques repères

  • 1919, Défilé à Buenos Aires célébrant le 1er anniversaire de l'indépendance de l'Arménie.
  • 1920, Le président Hipolito Yrigoyen reconnaît l'Arménie à l'occasion du 2e anniversaire de son indépendance.
  • 1934, Première messe commémorative du génocide.
  • 1945, Sahag Bakchellian est le premier électeur laïc d'Amérique latine à se rendre a Etchmiadzine pour l'élection du Catholicos.
  • 1946, Une messe est dite à Buenos Aires à l'occasion du 25e anniversaire de la fondation de l'Arménie soviétique.
  • 1957, Première visite du compositeur Khatchadourian en Argentine.
  • 1960, Première visite en Argentine du Catholicos Vazken 1er.
  • 1963, Le gouvernement argentin édite un timbre à l'effigie de Moustapha Kemal ; la communauté arménienne parvient à empêcher sa mise en circulation.
  • 1974, Carlos Menem qui n'est alors que le gouverneur de La Rioja, reconnaît le génocide devant la communauté arménienne.
  • 1985, Le Parlement argentin charge le gouvernement d'introduire une demande de reconnaissance du génocide des Arméniens à l'ONU.
  • 1987, Le président Raul Alfonsin dans un discours devant la communauté reconnaît explicitement le Génocide.
  • 1992, Levon Ter Petrossian se rend en visite officielle en Argentine.
  • 1995, Ouverture de l'ambassade d'Arménie à Buenos Aires.
  • 1995, Le Parlement argentin, citant explicitement dans son argumentaire le génocide de 1915, adopte le 24 avril comme « jour de lutte contre la discrimination de l'Homme par l'Homme ». Le président d'alors, Carlos Menem ne publiera jamais le décret d'application. La loi, à ce jour, n'est toujours pas promulguée.


La communauté
L'Argentine n'était pas encore la patrie du tango quand, en 1629, Jacome de Erevan y a fait, par on ne sait quel hasard, un aller sans retour, Depuis ce premier Arménien recensé, cette terre d'immigration en a vu de toutes les couleurs, et pas seulement en matière de peuples et de cultures. Elle compte aujourd’hui une communauté de cent mille Arméniens, particulièrement bien organisés et visible ment appréciés par ses 37 millions de concitoyens argentins. A l'heure où une grave crise économique place à nouveau cet immense pays sous les feux de l'actualité, nous avons souhaité faire le point sur cette communauté d’Armenos, si proche d enous par son histoire et si éloignée par sa géographie.

Buenos Aires est à l'image de l'Argentine : démesurée. Adossée aux eaux boueuses du Rio de la Plata. ( Montevideo, sur l'autre rive, est distante de près de 200 kilomètres ) la capitale des « gauchos » ouvre sur l'immensité de la pampa. La rectiligne fadeur des rues égare le visiteur, dans cette moitié sud de l'hémisphère. On est en Amérique latine, mais on voit peu d'Indiens, ils ont été pratiquement exterminés. On est en terre d'émigration cela s'entend, les noms sonnent européens pour la plupart : italiens, espagnols, allemands, français. Et arméniens. En pleine « city », au milieu des banques, on note les commerces de tapis et « gobelins », Mirhan, Kalpakian ; plus loin, calle Libertad, la rue des bijoutiers et orfèvres. Les raisons sociales : Ani, Yan, Sempat, brillent comme autant de signes de la présence arménienne. Si le doute subsistait, il serait balayé, quelques kilomètres plus au nord, dans le quartier de Palermo Viejo : la rue Armenia y apparaît comme un parfait concentré d'arménité avec la cathédrale San Gregorio el Iluminador, le Centre culturel, l'UGAB, les restaurants de spécialités. Plus loin encore, à Flores, une église, une école signalent une autre présence arménienne ; entre les deux, Once, le quartier de la confection résonne de « ian ». Que le visiteur décline son identité arménienne et aussitôt il entend le même flot d'éloges : « la communauté est industrieuse, honnête, intégrée et patriote ». Il a fallu aux Arméniens beaucoup de patience pour sortir de la case « Turcos » où on confinait tous les ressortissants du Moyen-Orient - en Argentine, les Espagnols sont des « Gallegos » (Galiciens), les Italiens « Tanos » (Napolitanos), les gens de l'Est « Rusos » (Russes) ou «Polacos» (Polonais).

Province de l'arche de Noé
Petite par le nombre, la communauté ne passe pas inaperçue au milieu des 37 millions d'Argentins, d'autant plus qu'elle se concentre presque exclusivement dans la capitale fédérale qui compte avec la banlieue 13 millions d'habitants. Comment les Arméniens ont-ils pu choisir l'exil au « Cul du Monde », la pointe extrême du continent américain, mêlant leur sueur, dans la construction d'un pays neuf, aux Européens fuyant la misère des campagnes pour un hypothétique Eldorado ?
La mémoire collective retient qu'en 1629 un certain Jacome, «Arménien originaire d'Erevan », comme le signale le registre civil de La Plata (l'actuel Sucre en Bolivie) épousa dans cette cité Catalina Rodriguez. Fut-il réellement le premier Arménien qui foula la terre latino américaine ? D'autres suivront, comme cet autre Jacome « né à Erevan, province de l'arche de Noé » (sic) dont on retrouve trace au Pérou au début du XVIIIe siècle. La chronique retiendra qu'en 1729, débarque officiellement sur les rives du Rio de La Plata (Argentine et Uruguay forment alors une même colonie) le premier Arménien. On ne sait rien de lui sinon qu'il « était gros et souffrait de la chaleur » selon le livre de bord relatant la traversée depuis Cadix en Espagne. Et on connaît à peine mieux le charpentier Ignacio Sartarian qui reconstruisit le pont que les patriotes brûlèrent en 1806 pour empêcher que les colonialistes anglais pénètrent dans Buenos Aires. Il semble, depuis lors, que l'Argentine, terre riche d'espaces à conquérir ait attiré les Arméniens. Au XIXe siècle les noms en « ian » commencent à se faire moins rares, comme en témoignent Juan Azarian ou Maria Belindian, « propriétaire de trois maisons à Montevideo ». De groupe initial de migrants se détache général Juan Czetz, né en Hongrie. Arrivé en Argentine en 1860, à la suite d'un soulèvement raté, il sera chargé d'élever le niveau des officiers de l'armée locale. Fondateur du Collège militaire, il est le premier Arménien enterré à la Recoleta, le Père-Lachaise de Buenos Aires. Il avait, en tant que technicien, participé à la peu glorieuse Guerre du désert, la campagne d'extermination des Indiens de Patagonie.

Les chemins de l'exil
Les pogroms de Cilicie en 1909 jetteront sur les chemins de l'exil des milliers d'Arméniens. Deux cents d'entre eux, des hommes pour la plupart, originaires d'Hadgen, émigrent en Argentine. Parmi eux, l'oncle du célèbre catcheur Martin Karadagian et deux hommes qui marqueront l'histoire de la communauté : Israël Arslanian qui la présidera entre 1922 et 1935 et Toros Nalchadjian dont les fils seront les premiers médecins arméniens d'Argentine. Vivant près du port, dans des « conventillos », grandes demeures collectives, avec commodités dans le patio, où s'entassent les émigrés, les pionniers s'organisent. En 1911 naît l'association qui deux ans plus tard deviendra l'UGAB ; la première messe est célébrée le dimanche de Pâques de 1912 ; la même année apparaissent les embryons des partis Henchagian et Tachnagtsagan. Les Arméniens se déplacent alors vers le nord de la ville, là où se trouve aujourd'hui la rue Armenia. Ils ouvrent les premières auberges, les premiers ateliers de chaussures, de tissage. La base communautaire est prête -elle ne le sait pas encore- à accueillir le flux de compatriotes qui échapperont au génocide de 1915 et arriveront à Buenos Aires à partir de 1920. Le gouvernement argentin se montre peu coopératif avec ces immigrés « venus d'Asie », réservant les hôtels de migrants aux « Européens ». La communauté se soudera autour de l'aide aux nouveaux venus.

Arméniens de la Pampa
Les Arméniens s'installent dans différents quartiers de la capitale et à la périphérie où les abattoirs et les entrepôts frigorifiques procurent du travail à foison. La troisième vague date de 1940-1950, poussée vers l'îlot de calme et de prospérité que paraît l'Argentine, loin des tragédies que vit l'Europe. Les derniers « Arméniens de la pampa » sont les quelque 5 000 personnes qui ont quitté l'Arménie depuis l'indépendance. Les chiffres concernant l'importance de la communauté en Argentine varient de 40 000 à 100 000. Si la majorité vit a Buenos Aires, on note 5 à 6 000 Arméniens à Cordoba au pied des Andes, dont on dit que la beauté des paysages et la douceur du climat similaires à ceux d'Arménie, les auraient attirés. Dans cette ville repose Aram Yerganian, qui combattit aux côtés d'Andranik. On compte quelques poignées d'Arméniens à Rosario, au nord-est, à Tucuman au nord de Cordoba, sans qu'existe de véritable vie communautaire ; dans la cité balnéaire de Mar del Plata, peu d'activités hors des célébrations des principaux offices religieux du calendrier.

Reproduction à l'identique
La communauté argentine est en tout point semblable à celles formant la diaspora de par le monde. Elle reproduit les mêmes attitudes, les mêmes clivages. En 1918, les Arméniens au nombre de 2 000 sont divisés à l'extrême, alors que les difficultés d'adaptation a un nouveau pays exigeraient une forte solidarité. La lutte, avivée par les régionalismes, est rude entre partis. Malgré le climat de tension, naît l'Union nationale arménienne ; l'unité ne résistera que quelques mois aux conflits politiques : Tachnag et Parekortzagan (UGAB) la quittent. Mais en 1920, placés devant le défi que représente l'adaptation à leur nouvelle patrie des milliers de réfugiés qui arrivent, les Arméniens créent la Maison d'Arménie qui deviendra en 1922 le Centre colonial. L'association a pour objectif de "conserver à la communauté ses sentiments culturels et religieux et d'aider ses membres dans le besoin tant matériel que moral". 1923, année de la signature du traité de Lausanne, connaît le plus grand afflux d'Arméniens. Se pose, dès lors, la question d'infrastructures solides. La première école ouvre en 1926. En 1929 elles sont quatre, et en 1938, les 19 qui fonctionnent scolarisent 980 élèves. A partir de 1942, leur nombre décroîtra pour atteindre aujourd'hui sept, que fréquentent 2 000 élèves, chiffre stable depuis 20 ans - on trouve un autre collège à Cordoba. Dans le même temps, les institutions s'implantent, notamment rue Armenia : l'UGAB qui possède collège et bibliothèque ; l'Association culturelle arménienne, liée au parti dachnak, développe son activité en direction de la jeunesse (UJA), de la solidarité avec l'HOM, du sport avec Homenetmen, de la vie politique locale avec le Centre national arménien ; la mouvance tachnag édite un quotidien, Armenia. Les autres organisations sont l'Union culturelle Sharyum, fondée par le parti henchakian, l’Union culturelle, liée au secteur progressiste qui édite le bimestriel Nor Sevan, l’Association culturelle Tekeyan du parti Ramgavar dont l'organe est Sardarabad. Toutes ces organisations possèdent une branche à Cordoba et produisent des émissions radiophoniques hebdomadaires. A cette mosaïque, il convient d'ajouter les sociétés régionales : celle d'Hadgen, la plus ancienne et la plus active qui publie la revue Nor Hadgen, celle d'Aïntab, en sommeil et d'autres de moindre importance et sans siège véritable, dont l'activité centrale se réduit à des banquets, de rares messes commémoratives et des collectes.

Les églises
L’Eglise, comme ailleurs, tente de jouer un rôle de conciliation dans une configuration qui appelle au regroupement des énergies autour de deux thèmes : la reconnaissance du génocide et la solidarité avec la Mère Patrie. L'Eglise apostolique, qui dépend d'Etchmiadzine et regroupe 80% des fidèles, après des années de balbutiements -peu de lieux de culte, manque de prêtres - s'installe dans la communauté avec la construction de la cathédrale Saint Grégoire l'Illuminateur, en 1936 - la première église, Santa Cruz de Varak a vu le jour en 1926. Inaugurée deux ans plus tard, elle est dirigée par Karekin Khatchadourian, premier des six archevêques qui ont présidé aux destinées de l'Eglise apostolique arménienne d'Argentine et du Chili. Les Eglises catholiques, officiellement implantées en 1922, et évangéliques complètent le tableau spirituel.

Les structures unitaires
Depuis trois ans, une préfiguration de « comité du 24 avril » se réunit au siège de l'archevêché autour du prélat Kissag Mouradian en poste depuis 1990 (dans les années 80, une assemblée inter-institutionnelle s'était créée, en l'absence notoire du secteur dachnak ; elle s'épuisera rapidement). Aux dires du chef d'église, « rien n'est simple quand il s'agit d'asseoir à la même table les différents partis ». Lui-même souhaiterait ne pas en rester aux « seuls anniversaires de deuil », pour étendre les célébrations aux « deux indépendances, celle de 1918 et celle de 1991 ». On imagine combien cette proposition doit réveiller d'antagonismes. Mais, malgré tout, le 24 avril continue d'être célèbre dans l'union. La politique, toujours latente et susceptible de gâcher une réunion entre Arméniens, serait-ce autour d'un « asado », ce barbecue à base de succulentes viandes du cru, n'est cependant pas le souci le mieux partagé dans la communauté. L'implication des Arméniens dans la vie publique n'est pas un phénomène massif, à peine le secteur progressiste y participe-t-il au sein du Parti communiste d'Argentine. Les autres constituent une exception qui sera peut-être bientôt battue en brèche avec la nouvelle génération, celle qui rejette les clivages régionaux et politiques traditionnels et veut pouvoir sortir, se marier hors du cocon régional et associatif, voire de la communauté. La crise que traverse le pays, avec la participation de plus en plus large des Argentins las de la corruption, de la pauvreté, peut précipiter ce mouvement.

L'intégration au système
Au livre d'or de la vie publique on note peu d'Arméniens ayant occupé ou occupant des mandats électifs. Pedro Mouratian, président du Centre national arménien, le regrette, comme il regrette que les Arméniens n'aient pas fait appel a la justice, comme l'a fait la communauté juive, pour les 60 personnes d'origine arménienne disparues durant la dictature de 1976-1983. Ce « repli » est peu à peu surpassé. Aujourd'hui, la communauté est représentée par trois députés provinciaux et un député national, le radical (parti de l'ex-président Dela Rua) Carlos Balian de Cordoba. A peine plus de 30 noms arméniens apparaissent au panthéon politique, pour tout le XXème siècle. Les Arméniens en revanche semblent avoir concentré leurs efforts vers l'appareil judiciaire. Léon Arslanian, avant d'être ministre de la Justice du péroniste Carlos Menem en 1991-1992, présida le tribunal chargé de juger les crimes de la dictature du général Videla - l'avocat de plusieurs tortionnaires, dont le général Viola, était Andres Mouratian. Carlos Hairabetian, autre avocat, fut secrétaire national aux Transports, Mourat Eurnekian, secrétaire d'Etat au Commerce extérieur. Au rayon de la Chancellerie, apparaît le nom de Horacio Tchalian, ambassadeur à Budapest. Le tableau serait incomplet si on n'y signalait une figure interlope : Armando Gostanian, mentor de Carlos Menem avant que ce dernier ne devienne président, directeur de la Monnaie, est célèbre pour avoir prêté sa « quinta », sa luxueuse propriété à son ami l’ex-président qui y effectua cinq mois d'arrêts domiciliaires avant d'être libéré, lavé des soupçons de trafic d'armes et d'enrichissement personnel pesant sur lui par la Cour suprême, dont la majorité des Argentins exigent la dissolution pour corruption.

Les réussites sociales
Si la politique semble peu attirer les Arméniens, en revanche on les trouve en nombre dans le commerce et l'industrie. Employés à leur arrivée comme manutentionnaires, les Arméniens rapidement travaillent à leur compte (aujourd'hui 90 % de la communauté) dans le textile et le cuir. Trois quarts des entreprises appartiennent à des Arméniens dans le domaine du textile : Terka, Karatex, Tipoiti de la famille Seferian dont Eduardo présida la communauté de 1968 a 1994, Masis. Dans le champ des tapis, la domination arménienne est écrasante avec Atlantida qui en produit 70 % et Kalpakian qui en commercialise 50 %. Concernant la chaussure, Gatic contrôle 50 % du marché du sport avec Adidas. Mais le plus beau fleuron de la Chambre arménienne, fondée en 1985, reste Eduardo Eurnekian qui après l'aventure de la communication (il est actionnaire majoritaire de Câble Vision qui contrôle journaux, chaînes de télévision, radios) s'est tourné vers l'aéronautique. A l'époque des grandes privatisations de l'ère Menem, il a acquis tous les aéroports d'Argentine ; il vient d'obtenir la concession de l'aéroport de Zvardnots d'Erevan.

La contribution au pays
Issus d'un peuple industrieux et cultivé, les Arméniens ont contribué à enrichir la vie intellectuelle et artistique de l'Argentine. Juan Abecian, préside le Centre argentin de Cartographie, Carlos Alemian est vice-président d'université, Sarkis Balassarian, professeur spécialiste en cardiologie, Ricardo Couyoumdjian doyen de la faculté d'Histoire, Andranik Eurnekian, professeur de neurochirurgie et directeur d'hôpital, Artin Tchoulamdjian spécialiste des maladies infectieuses, Juan Carlos Toufeksian, a fondé la chaire d'architecture arménienne, Narciso Binayan est journaliste et historien. Sur le plan artistique se détachent Jean Almouhian, compositeur, Alicia Terzian, compositeur et musicologue, Sarkis Ashdjian et Jorge Demirdjian, peintres, Juan Yelanguezian poète et musicien, Varoujan Adjemian et Rupen Berberian, écrivains. Tradition millénaire se perpétuant dans la diaspora, chœurs et ballets rythment la vie de la communauté. L'ensemble vocal le plus ancien, Gomidas, fondé en 1929 et qui officie dans la cathédrale Saint Grégoire, est entouré d’Araxe, créé en 1956, Arevakal, et Shnorali, exclusivement féminin de Parekortzagan. L'ensemble chorégraphique Kaiane, de l'Union culturelle, le plus important d'Amérique latine, en voyant le jour en 1960, combla un vide. Dans son sillage se placeront Nairi de HOM en 1978, Massis patronné par l'archevêché en 1994 ; et à Cordoba Sassoun.

Les sportifs
Peuple sportif, les Arméniens ne pouvaient pas être en reste au pays du football, de la boxe, de l'automobile et du tennis. Comme tous les Argentins, « hinchas », supporters jusqu'à la fièvre d'un club de football, le club de toute une vie, les Arméniens n'échappent pas à la folie, dérivant en échanges vifs à l'intérieur même des familles. Les liens se dénouent à l'heure du coup d'envoi des classiques Boca juniors-River Plate ou Racing-Independiente, chaque « hincha » devenant un loup pour l'autre supporter et la raillerie n'épargne pas les membres de la famille qui ont perdu. Tous se retrouvent peu ou prou autour de Deportivo Armenio qui a participé au championnat de le division et s'est offert la tête de Boca juniors et River, avant de chuter en série inférieure. Les émules de Maradona, Fangio, Yilas imposent le « ian » dans le sport argentin : Carlos Jorge Minoian fut gardien de but du mythique Boca, Movses Der Ohanessian fut pilote de formule 2 000 et David Nalbandian figure parmi les 50 meilleurs tennismen actuels ; quant à l'escrimeur Cristian Arslanian et au lutteur Sergio Gavrelov. ils furent les premiers médaillés «armeno-argentins » aux Jeux panaméricains de 1995. Entre sport et spectacle, le catch a révélé aux Argentins la silhouette bonhomme de « armenio » Martin Karadagian, hadgentsi de père et castillan de mère mais 100% Arménien et 100% argentin respectivement. Vedette de la TV, il forma avec Khatchik Jedalian le duo les « Titans du ring » qui contribuèrent, par le divertissement, à la connaissance et à la reconnaissance des Arméniens par leurs compatriotes argentins.

Le renouveau
La communauté, bien implantée, où la pratique de la langue est plus développée qu'en France par exemple, échappe aux dangers de la désintégration. Certes les mariages mixtes augmentent, mais cela n'inquiète pas l'archevêque pour qui « l'arménité passe par les femmes qui ont le souci de la transmission de la langue et de la culture ». Le prélat ne souhaite pas répondre aux remarques de la plupart des groupes politiques qui insistent sur « l'inadaptation de l'église à la réalité sociale et son retard historique ». Si la communauté semble préservée en tant que telle, elle est aujourd'hui, notamment du fait de ses activités économiques, lourdement frappée par la crise qui secoue l'Argentine. Depuis le 19 décembre dernier, le pays s'est rendu célèbre par ses concerts de casseroles qui ont réuni des centaines de milliers de citoyens et ont poussé deux présidents à démissionner en 10 jours. La crise de tout le système, politique, économique, social, judiciaire a précipité dans la pauvreté des groupes entiers issus des couches moyennes où les Arméniens sont les mieux représentés. Cela se ressent dans une fréquentation scolaire en baisse et dans l'essoufflement du commerce. Mais, les plus durement touchés sont les derniers arrivés d'Arménie, comme Sergio. Travaillant au noir, il rêve d'émigrer en France, comme ses amis Antonio, un Arménien et José, un Ukrainien. Pour l'heure, ils sont exploités 15 heures par jour dans des restaurants. Ces trois-là, comme des dizaines de milliers d'autres émigrés, sont des « indocumentados », des sans-papiers qui n'ont d'argentin qu'un prénom espagnol dont on les a affublés. Gaguik-Sergio souligne le peu de solidarité dont font preuve ses compatriotes de troisième ou quatrième génération et même l'Eglise. C'est dans les moments les plus difficiles que les Arméniens ont toujours su se ressouder et repartir de l'avant. L'Argentine traverse la plus dure épreuve économique et sociale de son histoire. Nul doute que sa composante arménienne participera à son renouveau.

Christian Kazandjian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 73 Mars 2002


MANUEL ARSLANIAN, Président de la Chambre de commerce argentino-arménienne fait le point des relations commerciales avec l'Arménie.

Nouvelles d'Arménie Magazine : Quelle place occupe votre organisation dans l'économie argentine ?
M.A. : La Chambre, née en 1985, compte 250 membres actifs et 500 associés passifs. Notre rôle et notre place sont ceux des autres chambres de commerce, allemande, espagnole, etc. ; notre efficacité est prouvée et reconnue. Notre but est de rapprocher les entreprises argentines des marchés extérieurs. Avec l'Arménie, nous avons signé en 1998 un accord commercial. Ainsi s'est conclu un contrat d'exportation de blé.

NAM : Est-il difficile de coopérer avec l'Arménie ?
M.A. : La distance qui augmente les coûts de transport est un handicap. De plus, nous nous heurtons à une concurrence sévère, notamment de la part de la Chine qui pratique des prix très bas.

NAM : Avec les autorités ?
M.A. : Le problème réside dans le peu d'esprit d'entreprise des Arméniens. Ils ont été habitués à vivre chichement, mais en dépendant des subsides de l'Etat qui pourvoyait à la santé, au logement, à l’éducation, au téléphone. Aujourd'hui, devant les difficultés -les salaires ne dépassent pas 30-40 dollars, alors qu'il en faut 100 pour vivre - nombre d'Arméniens veulent revenir au système antérieur. Mais ce système est terminé. Autre difficulté : le pays est dominé par des « sociétés » qui contrôlent le pétrole, le blé, les transports, tous les secteurs, avec la complicité de fonctionnaires corrompus. La communauté arménienne d'Argentine participe en plein aux programmes de solidarité. Au Karabagh, par exemple, l'aménagement de la route de Goris à Stepanakert et la reconstruction de Shushi sont dus aux Argentins.

NAM : La situation actuelle de l'Argentine est-elle un frein aux relations commerciales avec l'Arménie ?
M.A. : C'est évident. L'Argentine est en faillite, paralysée. Elle a été pillée, surtout a l'époque de Carlos Menem qui a bradé le pays aux grands groupes étrangers. Une caste s'est enrichie grâce à la corruption pendant que le chômage et la pauvreté augmentaient et que l'industrie et le commerce étaient détruits par les importations de produits que l'Argentine fabriquait jusqu'alors. Aujourd'hui, les jeunes ne pensent plus qu'à une chose : partir. Finalement notre situation est assez semblable à celle de l'Arménie.

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