Construisons le premier lycée
franco-arménien d'Ile-de-France Article sur l'école, paru dans la revue mensuelle Nouvelles d'Arménie Magazine, numéro 43, Avril 1999 L'école Tebrotzassère fête ses 120 ans, les enfants lui disent merci. Plus d'un siècle après sa création à Constantinople, l'établissement installé au Raincy, sort d'une période difficile et fait presque salle de classe comble. Le point sur une école partagée entre tradition et modernité. Deux cents élèves répartis de la maternelle à la troisième, deux cents enfants ne parlant pas toujours bien l'arménien, deux cents gosses originaires du monde entier, deux cents jeunes qui malgré toutes ces différences cohabitent dans la plus parfaite harmonie. Et pour cause: ce sympathique patchwork est constitué du même tissu : une arménité vibrante. Un pari qu'il n'était pas évident de gagner quelque cent ans après la création de cette école, le 1er mai 1879, à Constantinople. Le but était alors de former des institutrices qui iraient ensuite enseigner dans les lointaines provinces turques. Le génocide transforme cet établissement en orphelinat qui dès 1923 est accueilli à Marseille, puis cinq ans plus tard au Raincy, en Seine-Saint-Denis. Depuis, les différents dirigeants de cette école n'ont eu qu'une idée : concilier la nécessaire sauvegarde de l'identité arménienne avec l'obligation de s'adapter à une modernité toute française dans l'enseignement comme la culture. Ainsi, dans les années 1970-1975, l'internat devient mixte. Aujourd'hui, c'est une autre bataille qui se joue autour de la plus ancienne école arménienne de France : le financement, et au-delà, une garantie de sérieux pour les parents. Dans cette optique, le collège vient de signer un contrat d'association avec l'Etat pour sa classe de 4e. Cette décision a été prise à l'issue d'une inspection menée par le ministère de l'Education Nationale, en septembre 1998. Cet accord fait suite aux contrats précédemment conclus pour les 6e (1996) et les 5e (1997). II aura, semble t-il, des retombées financieres car il permet d'obtenir les subventions nécessaires au bon fonctionnement de l'Etablissement, mais surtout une véritable reconnaissance du statut de l'école et donc de la qualité de son enseignement. Est-il besoin de rappeler que l'Education Nationale ne valide que les établissements répondant à des normes pédagogiques très strictes ? " Les parents qui nous confient leurs enfants peuvent être rassurés quant au niveau de l'enseignement et de la validité de leurs études ", explique Silva Karagulian, la directrice. Un avis amplement partagé par des parents: " Je n'aurais pas inscrit ma fille dans cette école si elle n'avait pas eu un très bon niveau. Je n'aurais jamais sacrifié son avenir ". Logique partagée par toutes les familles et également par les dirigeants du Tebrotzassère. Résultat : ils projettent de nouvelles améliorations. Ainsi, le toit du bâtiment principal a été récemment refait, grâce au concours de l'UGAB. Et ce n'était pas du luxe : certaines classes prenaient l'eau ! Par ailleurs, un laboratoire de physique et de chimie a été installé et financé par le Fonds Arménien de France. Quant à la salle informatique et au Centre de Documentation et d'Information, ils seront sous peu opérationnels. Autant d'efforts réclamés par les parents: " Deux critères sont essentiels à la bonne marche d'une école: la pédagogie et l'environnement", souligne un père de famille. " Il faut que l'enfant s'épanouisse dans un cadre de vie agréable". " De plus, l'école doit être modernisée, afin d'intégrer les exigences actuelles, et notamment le nouvelles technologies ". Autres projets: la réhabilitation de I' immeuble, l'installation d'un préau et de toilettes à l'extérieur. Les travaux devraient commencer avant la fin de l'année scolaire, à condition d'obtenir les financements. Le projet a été soumis à l'UGAB à qui appartiennent le terrain et les bâtiments. " Nous recevons des soutiens extérieurs: l'Association Arménienne d'Aide Sociale, Benlian Trust, le Comité de Secours pour les Orphelins, I'Eglise, les Fondations Gulbenkian et Bullukian, l'UGAB ainsi que quelques legs et dons privés", précise Jeanine Vartanian, présidente de l'Association des Dames Arméniennes Amies des Ecoles Tebrotzassère. " Ils financent genéralement un objet précis, par exemple l'obtention d'une bourse pour ceux de nos élèves dont les familles ne peuvent assumer la scolarisé . " L'école parvient également à assumer une partie de ses besoins grâce aux actions du Comité des Parents d'Elèves, érigé en association, il y a un peu plus d'un an. Le but: apporter un soutien pédagogique, logistique et financier. Les moyens ? Organiser, comme l'an dernier par exemple, un dîner afin de permettre la réfection de quatre classes, l'achat et l'installation de rideaux, l'acquisition d'un lave vaisselle professionnel et l'équipement des autocars en téléphones portables. On n'arrête plus le progrès ! Les élèves participent aussi activement à la vie de leur école en publiant chaque année in journal bilingue avec force interviews, reportages, articles sur des activités culturelles et même des nouvelles. Mieux, un CD " Spécial 120 ans de ['Ecole " est en cours de réalisation. Une première ? Pas vraiment dans la mesure où les élèves ont déjà enregistré deux chants en arménien sous la direction de Haig Sarkissian, chef de chorale et adjoint de la directrice. Cette initiative est venue de la mairie du Raincy qui a demandé à plusieurs écoles de la ville de concocter un CD de chants de Noël. Enfin, un livre en arménien d'Anahid Sarkissian édité par le Tebrotzassère est paru en 1998. Le second est en préparation. Cependant, malgré tous ces efforts les besoins restent importants. Le budget annuel de l'école s'élève à 3 millions de Francs dont une partie est versée par l'Education Nationale. Les salaires des professeurs d'arménien, ceux de l'encadrement et de l'intendance sont à l'entière charge de l'établissement. Mais comme le souligne Jean Demir, président de l'Association des Parents d'Elèves, les besoins ne sont pas tous d'ordre financier. " Nous souhaitons faire appel aux compétences de chacun. Nous avons besoin de personnes disposées à effectuer de petits travaux ou à apporter leur savoir-faire. Nous sommes prêts à aménager des structures adéquates pour ceux qui voudraient mettre leur compétence au service de l'école dans le cadre d'activités extra-scolaires ". Si pour l'instant tout ces problèmes sont encore loin d'être réglés, ils valent au moins le coup que l'on se batte. C'est du moins l'avis de certains élèves qui semblent avoir trouvé au Tebrotzassère un véritable équilibre. " J'adore cette école et mes professeurs", explique Lema, 9 ans et demi. " En fait, je m'y sens bien, j'ai beaucoup d'amis. Et puis, je préfère aller dans une école où je peux pratiquer à la fois l'arménien et le français". Même son de cloche chez Julia, 13 ans: " Je suis dans cette école depuis 10 ans. Je n'y vais pas forcée par mes parents, c'est aussi mon choix, à la fois car c'est une école sympa où on reçoit une bonne éducation et c'est une école arménienne " Nous y revoilà. Même chez les jeunes, I'arménité tient encore une place considérable. Et ça tombe plutôt bien compte tenu de l'enseignement. Ici, I'arménien reste, bien évidemment, l'une des priorités. En première année de maternelle, on ne parle qu'arménien. A partir de la seconde année, le français est introduit dans les classes. Puis, en primaire, sept heures hebdomadaires d'arménien sont assurées, et 6 heures en secondaire. Le Tebrotzassère a fait le pari d'offrir une double culture à ses élèves. A savoir une maîtrise parfaite des deux langues et des deux cultures. Et ce afin de ne pas se couper de ses origines en faisant appréhender aux élèves la richesse de la culture arménienne tout en les intégrant totalement dans la société où ils vivent. Cette volonté implique tous les professeurs qui introduisent des éléments arméniens dans les programmes de I'Education Nationale. Un travail particulièrement visible en histoire, par exemple, où la civilisation arménienne est étudiée en parallèle avec d'autres. Ajoutez à cela que ce lieu d'apprentissage est parfaitement sécurisant pour les enfants. " Je me sens en sécurité", confie Siroun, 11 ans. Car il n' y a pas de problèmes de drogue ni de la violence" et vous aurez presque un tableau charmant du Tebrotzassère. Une école où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nairi Dedeyan Mise à jour : 2011 |