Les trois premiers conciles oecuméniques
L'Eglise Arménienne confesse la doctrine qui a été approuvée et formulée par les trois premiers conciles oecuméniques, et qui se résument dans les symboles de Nicée et de Constantinople.
Ce symbole de foi est récité publiquement et solennellement chaque matin dans l'Eglise Arménienne, se trouvant solidaire de l'Eglise générale pour les points essentiels du même dogme. Elle devient par ce fait même membre de l'Eglise apostolique, universelle et une de Jésus Christ, comme toutes les autres églises, grandes ou petites, qui s'en tiennent au même credo.
Pour ce qui est de la dogmatique, l'Eglise Arménienne est restée fidèle aux conceptions de l'époque 325-432, époque où les peuples et les nations chrétiennes n'avaient pas donné une couleur nationale à leur église; où l'égalité de pouvoir et de compétence régnait entre les sièges patriarcaux; où les empereurs et les rois n'avaient pas encore poussé trop loin leurs prétentions et usé, à l'égard des sièges épiscopaux qui dépendaient d'eux, de leur puissance ou de leur prestige personnel.
Lorsque les autorités politiques s'immiscèrent à fond dans les questions religieuses, le principe de l'égalité et de l'amour chrétiens toucha à sa fin, les ambitions de toutes sortes qui les supplantèrent, allaient bannir la paix et la bonne intelligence à l'intérieur de l'Eglise chrétienne.
Les évêques, s'appuyant sur les Etats qui les protégeaient, commencèrent à prendre de l'ascendant l'un sur l'autre et à rivaliser pour la primauté.
Aux aspirations de ce genre se rattache la tendance de tel ou tel siège de se réserver la compétence en ce qui concerne les doctrines et coutumes de l'Eglise. Ce fut surtout le siège de Rome qui aspirait à une compétence et âune autorité exclusive en cette matière. Par là, l'Eglise du Christ une et universelle, tout en maintenant l'unité de la foi et son universalité, tomba administrativement en pièces. Chaque peuple, chaque nation communiqua à son église une empreinte nationale d'où résultèrent des variations locales dans le sein de la même église chrétienne, une et universelle.
Certes, une différenciation paraît tout à fait naturelle et elle devait s'accentuer davantage au cours des temps sous l'influence des conditions diverses que créent la géographie , la langue, la civilisation et enfin les moeurs de chaque pays.
Malheureusement ce n'est pas la différenciation belle et utile, de ce genre, qui se développa : la rivalité existant entre les sièges épiscopaux se transforma en haine, dès qu'ils s'apprêtèrent à commenter les questions dogmatiques et â imposer avec une prétention injustifiée, leurs interprétations à ceux qui ne les partageaient pas. Ils auront même l'audace de recourir au bras séculier, d'abuser de la puissance politique, pour poursuivre leurs adversaires, au préjudice de l'unité et de l'universalité de l'église du Christ.
Il est navrant pour des chrétiens de voir comment la simplicité de l'âge apostolique, la vie harmonieuse qui régnait à l'époque des trois premiers conciles oecuméniques dégénéra pour faire place à la haine, à la passion de dominer, de commander. En conséquence, le chrétien se dressa contre le chrétien, armé de tout ce qui était impardonnable et anti-chrétien, aussi bien dans son essence que dans ses manifestations.
Le Concile de Chalcédoine
L'Eglise Arménienne fut entraînée dans la lutte à l'occasion des controverses chalcédoniennes qui déchiraient l'Eglise aux Ve et VIe siècles. Quelque soient les raisons de l'abstention des Arméniens au concile de Chalcédoine tenu en 451, ils n'adoptèrent pas les décisions de ce concile. A Chalcédoine, il n'était pas question d'une hérésie à combattre, comme celle d'Arius, de Macédonius, de Nestorius. Les trois premiers conciles avaient discuté les controverses concernant Dieu le père, le Fils et le Saint Esprit et donné une solution décisive, dans des formules très précises. Le problème qui se posait au concile de Chalcédoine ne présentait d'intérêt que pour les théologiens subtils qui, revenant sur l'enseignement de Nestorius, voulait introduire plus de précision dans le mystère de l'incarnation, à savoir dans le mode de l'union des deux natures de Jésus Christ. Cyrille d'Alexandrie, l'adversaire de Nestorius, avait déjà tranché la question par la fameuse formule " Une seule nature du Verbe incarné". Jésus Christ était parfait et homme parfait. Jésus Christ était Dieu parfait et homme parfait : la divinité et 1"'humanité, unies sans confusion, formaient une seule nature en Jésus Christ.
Les membres du concile de Chalcédoine ne se contentèrent pas de la formule cyrillienne, qui avait pourtant été adoptée et confirmée au concile d'Ephése. Ils reprirent la question des deux natures. Faut-il dire que l'opposition faite à Cyrille, en fait le coup qu'on voulait porter au prestige du siège d'Alexandrie? Aussi était-il naturel que le pape Léon (440-461) profitât de l'occasion pour publier dans son tome, sa fameuse lettre dogmatique, où il dictait plutôt une sentence d'autorité qu'il ne discutait la question. La conception que le pape se faisait de l'union des deux natures, dont chacune, selon lui, conservait ses facultés propres, et avait son opération propre, paraissait de nature à corroborer moins la thèse de Cyrille que celle de Nestorius.
Le pape Léon triompha à Chalcédoine, mais la paix ne s'établit pas pour autant dans l'Eglise. Les chalcédoniens décrétèrent l'expression de deux natures contre celle d'une nature à un moment où cette dernière était en quelque sorte compromise dans l'enseignement d'Eutychius qui avait serré l'union des natures jusqu'au point de faire absorber, après l'incarnation, l'une par l'autre, la nature humaine par la nature divine, pour aboutir à la dissolution ou la confusion des deux natures, tandis que chez Cyrille, l'union est conçue sans confusion et sans mélange.
Or le concile de Chalcédoine a combattu l'eutychianisme, mais non pas la doctrine christologique de Cyrille. Pour le patriarche d'Alexandrie, la nature désigne une existence à part, indépendante; dès lors la conception de deux natures comporte l'affirmation de deux personnes. Aussi l'Eglise Arménienne qui se tient fermement à la christologie de Cyrille, n'a-t-elle pas cessé de regarder les deux natures de Chalcédoine comme une sorte de nestorianisme. Les chalcédoniens de leur côté, ont imputé souvent aux Arméniens l'eutychianisme, soit par ignorance, soit dans l'emportement de la polémique. La vérité est qu'Eutychius a toujours été anathématisé par les Arméniens.
D'aucuns se plaisent à tenir l'Eglise Arménienne pour monophysite. Si on veut, elle l'est. Mais avec le patriarche Cyrille, en tant que l'enseignement christologique de ce fameux théologien est monophysite, car la christologie arménienne est basée sur l'école d'Alexandrie.
Controverses du passé
En esquissant sommairement les fondements dogmatiques de l'Eglise Arménienne, nous n'avons nullement l'intention de renouveler des controverses qui n'ont aucun intérêt pour le public et qui appartiennent depuis longtemps au domaine de l'histoire. Ce qui est le plus remarquable dans le passé de l'Eglise Arménienne, c'est un fait capital qui doit être pris en considération encore de nos jours.
Dés le moment où l'Eglise Arménienne a conquis son indépendance administrative, elle a élaboré sa théologie, ses rites, ses traditions, et elle a su se défendre contre les attaques avec une fermeté, avec une persévérance dignes d'admiration. Byzance lui a causé beaucoup de tort, ses empereurs l'ont souvent assaillie, l'ont poursuivie avec un fanatisme incompréhensible.
Plus tard, dès l'époque des Croisades, ce fut Rome qui reprit la politique byzantine et continua jusqu'à nos jours ses efforts pour ramener " les brebis égarées" de l'Eglise Arménienne au bercail du catholicisme. Il ne faut pas se dissimuler qu'il s'agit moins de sauver des âmes que de les soumettre à l'autorité de Rome. Y a-t-il lieu de détruire une église qui est une des plus anciennes et qui a bien mérité de la croix de Jésus Christ par le sang de ses martyrs, par un martyrologe inconnu dans les annales de l'humanité ? Les divergences dogmatiques ne sont pas assurément une raison qui puisse armer une église contre une autre.
La théologie chrétienne et les principes de la foi chrétienne sont choses différentes. La première, quelle qu'elle soit, ne doit pas être un obstacle à une collaboration unanime, basée sur la foi chrétienne. L'Eglise Arménienne en se défendant, n'a jamais attenté contre la conscience d'autrui. Elle a toujours prêché l'indulgence pour ce qui sépare les églises, l'amour et l'accord pour ce qui les unit. Telle fut et est sa devise. Pourquoi donc ruiner cette petite mais glorieuse citadelle de l'idéal chrétien ?
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