Le peintre et décorateur Jean Carzou, décédé le
12 août 2000 à Périgueux (Dordogne) à l'âge de 93 ans, avait acquis une
renommée internationale. La France, la Grande Bretagne, les Etats
Unis, l'Egypte, le Japon ont accueilli plusieurs de ses expositions
d'encres, de crayons, de gouaches ou de pastels étranges.
Après une longue carrière de peintre, graveur et décorateur de théâtre
il s'était lancé, âgé déjà de 83 ans, dans une gigantesque Apocalypse
dont il avait paré les murs de l'église de la Présentation à Manosque
(Alpes-de-Haute-Provence). Non pas l'illustration littérale de
L'Apocalypse de Saint-Jean, mais "le climat de notre époque" peuplée
d'horizons dévastés, de navires embrumés, de rails enchevêtrés et de
blockhaus traduisant sa hantise de la guerre et de l'holocauste. Il y
a notamment réalisé un superbe portrait de femme-arbre au visage de
madone, délivrant au monde un message d'éternelle humanité.
Né à Alep (Syrie) le 1er janvier 1907 dans une famille arménienne,
Jean Carzou - de son vrai nom Garnik Zouloumian - étudie d'abord chez
les Pères maristes. En 1924, ses brillants résultats scolaires au
lycée français du Caire (Egypte) lui valent une bourse de la
communauté arménienne.
"Pour faire sérieux", il rejoint Paris pour des études d'architecture
alors qu'il rêve des Beaux-Arts et du Prix de Rome. A l'approche des
années 30, il "fait des ronds, des carrés" dans son atelier de la rue
des Plantes à Montparnasse. Il vivote grâce à ses caricatures d'hommes
politiques publiées dans la presse et à ses dessins sur tissus. Il
peint "loin des écoles", faisant l'expérience nécessaire à
l'aboutissement de ses personnages de "peintre-artisan" comme il se
nomme.
Carzou ne se contente pas de peindre des toiles bleues et
singulières. Il enchâsse ses tableaux et ses aquarelles dans des
médaillons de velours ou de papiers dentelés. A certains critiques
d'art qui le qualifient de "décorateur", il lance "vous aurez de la
peinture mais aussi du théâtre". En 1952, sa réalisation du décor et
des costumes des "Indes Galantes" de Rameau à l'Opéra de Paris le
révèle au grand public. Il enchaîne avec Le Loup (1953) pour les
Ballets de Roland Petit. Giselle (1954) et Athalie (1955) ravissent
les spectateurs de l'Opéra et de la Comédie française.
En 1977, Carzou dessine lui-même son costume et son épée d'Académicien
avant de faire son entrée à l'Institut des Beaux-Arts. Pourfendeur du
laxisme de la société moderne en général, et du cubisme en
particulier, il estime que Picasso est "une personnalité qui ne fait
pas de la peinture". Seuls Claude Lorrain, Watteau et Dali sont, selon
lui, "de grands peintres".
Auteur d'une importante oeuvre lithographique ("Les Illuminations" de
Rimbaud) et de tapisseries, décorateur de Chapelle de l'église du
couvent de Manosque devenue Fondation Carzou en 1991, l'artiste a vu
son oeuvre consacrée en 1995, à Dinard (Ille-et-Vilaine), avec
l'ouverture d'un musée à son nom.
Père de l'écrivain Jean-Marie Carzou, Jean Carzou était veuf de Nane
depuis 1998. Il était Officier de la Légion d'honneur, Commandeur de
l'ordre national du Mérite et Commandeur de l'ordre des Arts et
Lettres.
Article de Christian Germak, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 132, Juillet-Août 2007
Témoigner de l'œuvre de Jean Carzou conduit à admirer l'Artiste, l'homme, l'Arménien, le peintre qui depuis ses débuts à l'Académie Ranson avait, année après année, conquis une notoriété mondiale.
Si ses débuts comme illustrateur de presse furent difficiles, rapidement reconnu, Carzou obtient par trois fois le Grand Prix Américain Hallmark et sélectionné en 1950 par « Connaissance des Arts » pour figurer - aux côtés de son professeur et ami Edouard Goerg - parmi les dix peintres les plus prestigieux de la première moitié du XXe siècle. Plus tard, il deviendra membre de l'Institut. En 1978 il rédigera l'éloge funèbre de la fille de son ami Claude Lise Germak Goerg.
L'œuvre de Jean Carzou sera le fruit d'une âme à la sensibilité hors du commun, blottissant sa créativité là où se réfugient tous les sentiments de tendresse. Les larmes que Carzou versera pour l'Arménie seront autant de sources qui feront vivre l'arbre des souvenirs de toute une génération, dont des bribes apparaissent souvent dans ses œuvres et qu'il évoquait durant nos promenades depuis sa demeure du Vaudoué en forêt de Fontainebleau. Sur le seuil paradait un canon de D.C.A. allemand dont la longue silhouette restait tendue vers le ciel, pour chasser les nuages de la vie.
Poème pictural
Parler de Jean Carzou c'est avant tcut réciter le poème pictural qu'il chante en duo avec Nane, son épouse. Elle, poétesse et écrivain, bercée de contes et de merveilles, Lui illustrant les rêves de Nane. Certains récits sont des souvenirs, parfois des légendes présentes en un lieu où les mémoires semées autrefois ont levé au cours des générations, surgissant d'un passé où elles étaient enfouies, ensevelies, sous l'épaisse couche du voile des oublis. Pour suivre Jean Carzou, il faut penser à sa muse, car il n'est pas possible de l'évoquer sans parler de Nane, son ombre, son épouse, son inspiratrice, à laquelle il ne saura survivre que peu. Nane interprétait leurs rêves dont la poésie imprégnée de légendes se mirait dans l'artiste pour qu'il sème des harmonies nouvelles. Ainsi Carzou va donner une continuité entre paysages somptueux, villes de légende, regards champêtres et poétiques, et une étroite alliance entre la femme et les floraisons. Après la disparition de Nane, l'Artiste délaisse sa création, se réfugie dans une sensibilité exacerbée, remémorant les jours heureux.
Biographie
Jean Carzou naît le 1er janvier 1907 à Alep, d'où il part pour l'Egypte avant de se fixer définitivement en France, où son œuvre accomplie, il ne survivra à Nane que moins de 2 ans et décède le 12 août 2000.
Passés ses débuts comme caricaturiste de presse, Carzou recherche plusieurs voies picturales, d'abord en saisissant la vie quotidienne avec la musique et la danse, à laquelle il rattache par son interprétation et dès la fin des années 30, les jeux du sport, dans lesquels il découvre toutes les harmonies issues des mouvements, des postures et des gestes. Puis les décors de théâtre lui offrent leur domaine, notamment l'opéra, auquel Carzou consacrera à de nombreuses reprises la créativité de son talent qui prend corps également dans le musical. Mais aussi le spirituel, entre autres dans des vitraux plaisants et joyeux.
La musique et les décors
Si dans les années 1920 Carzou se laisse séduire par la poésie florale et les paysages, la décennie suivante ses recherches abstraites s'entrecroisent avec celles d'un surréalisme chargé de symboles, que nous retrouvons dans : « la rue» 1935, « les joueurs de Rugby» 1936, avec une abstraction qui cache parfois une certaine pudeur lorsque, connaissant sa passion pour son épouse, nous déchiffrons « le couple» de 1934. Le mysticisme, qu'accompagne une phase de surréalisme, va un instant lui offrir des sujets d'évasion pour lesquels il abandonnera le premier, et conservera des bribes du second, en les transformant et transposant dans des paysages nouveaux. A présent ce sont les décors de ballets et les opéras qui vont lui ouvrir une notoriété, tout en nourrissant son besoin imaginatif. Désormais, pour Carzou, la grande musique fera partie de ses motifs d'inspiration et de création.
Ainsi, en 1969, pour ses études de costumes destinés à « La Périchole » d'Offenbach, Jean Carzou utilise l'opposition des rouges et des verts mis côte à côte, technique particulièrement délicate et difficile qu'il approfondira et maintiendra à de très nombreuses reprises et jusqu'à sa mort en août 2000. Cependant l'arménien pointe déjà sous l'artiste et, bousculant les prétextes, Jean Carzou laisse percer une certaine mélancolie que l'on peut voir et lire dans « Le Navire abandonné » 1951 et que confirme « Le Port des Songes », ainsi qu'en arrêtant le regard sur un « phare marin » échoué sur une plage déserte. Ainsi il nous faut constater que les toiles de Jean Carzou sont construites autour de deux critères, dont l'un fait référence à l'imaginaire. Jean Carzou dont les ambitions paternelles furent architecturales, en conserve la trace, imaginant les plans d'un lieu, où il y bâtit des demeures, des palais, et des jardins, qui une fois le décor achevé, vont voir s'installer les personnages de sa comédie humaine, qui vivront dans l'harmonie de ces décors. Si les rêves de ses débuts sont marqués par ses passions, où s'abritent pudiquement des formes surréalistes sorties de la fluidité du temps, elles resurgissent petit à petit, et se concrétisent dans des portraits, tel celui de son épouse en 1939.11 en sera de même pour des œuvres au sein desquelles se lisent pudiquement passion et idéal.
Ouvrant grand les portes de la vie, c'est le théâtre que fréquente à présent l'artiste. Son idole, sa Muse, le suit dans des promenades qui, de paysages en châteaux, s'habillent au rayon des bonheurs simples qui évoluent dans la continuité des lumières et du temps. L'art, Jean Carzou s'en sert pour réciter des poèmes, et depuis ces poèmes il rend hommage à Nane, toujours présente et pour qui jusqu'à la fin de ses jours, il chantera la musique de la félicité, celle que renferme son art.
Pour Nane
Pour Elle il parcourt le monde, pour Elle il construit des châteaux, aussi transparents que le temps et qui ne sauraient se fractionner en segments puisque tout est dans Elle, tout est pour Elle. Alors Carzou échafaude des palais, invente des abris et des demeures, alors l'architecte paraît pour que se construisent les châteaux de tous les amoureux, de tous les rêves. œuvre vaste que celle de Jean Carzou. Variée, elle comporte des originalités depuis la gravure, le dessin, l'illustration, le décor, les vitraux éclatants de lumières, d'où se prolongent et se reflètent de vastes fresques murales, ou encore des thèmes bien ciblés. Comme : l'apocalypse, les hommages à Millet, les saisons, les amours, les Joies et les Drames qui émaillent le temps dont Le Génocide des Arméniens. S'il nous fallait trouver chez Carzou l'âme d'un poète, nous choisirions Victor Hugo, car comme lui, Jean Carzou sait rester sensible et tendre, grand et puissant, inventif et chantre, reflet de son temps riche en éternité.
Jean Carzou deviendra membre de l'Institut en 1979. Ses créations ont touché les cœurs des amateurs d'art, depuis les Amériques jusqu'au Japon, en passant par Lunéville en France, ou Saarlouis en Allemagne où, invité par notre correspondant Claus Zollner, il exposa en particulier et dans la même foulée que les académiciens Brayer, Goerg, ainsi que Rouault, Jansem, Jouenne, Toppi, etc.
Christian Germak, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 132, Juillet-Août 2007
Lettre à Garnik, de son petit-fils Louis Carzou, parue dans Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 132, Juillet-Août 2007
Mon cher grand-père,
Te voilà devenu officiellement centenaire ! Deux expositions, chez une amie à Orsay et chez toi à Manosque, un colloque, un catalogue raisonné, des affiches, quelques articles, quelques chroniques, et même un faire-part approximatif... Sept ans après ta disparition, j'avais envie de t'écrire cette lettre qui n'aura pas besoin d'adresse.
Lorsque je laisse ma mémoire s'aventurer à la recherche de notre première rencontre, mes yeux se remplissent de taches de couleurs.
Sur la pointe des pieds, j'essaye la sieste buissonnière, tapi dam la pénombre - toute relative - de la porte entrouverte de ma chambre. De l'autre côté, à deux ou trois mètres de là - à peine la distance d'un eldorado quand on a quatre ou cinq ans - je guette l'entrée de ton atelier. Combien de fois j'ai rêvé de rentrer dans cette cité interdite, où tu t'enfermais des heures durant, seul face à ton chevalet...
A la faveur de quelques parenthèses enchantées, j'ai pu observer la naissance de ces taches de couleurs, assis près de toi. J'ai vu l'apparition silencieuse, dans le sillage de ta palette, de ces villes désertées, de ces corps de femmes, de ces perspectives enflammées.
Des taches de couleurs. Je me souviens encore de celles qui étincelaient dans tes yeux lorsque tu dessinais, fuyant l'ennui d'un repas cérémonieux dans l'exploration de visages inconnus De celles qui chaviraient entre la fierté et l'inquiétude le jour de ta réception à l'Académie des Beaux-arts. De celles qui apparaissaient lorsque ton regard devinait dans la chevelure ou la silhouette d'une admiratrice celle d'un modèle, peut-être d'une muse.
Sept ans après ta disparition, j'ai toujours en mémoire mes baisers impuissants sur ton visage, dans cette chambre de l'hôpital de Périgueux. Plus la moindre tâche de couleur.
Avec toi, j'ai eu le bonheur d'avoir un grand-père.
Ce bonheur fortifiant d'un parent qui m'accueillait avec la même présence, la même tendresse un week-end sur deux. Ce bonheur savoureux de mains qui plongeaient parmi les pistaches, d'un sourire qui faisait éclater l'écorce des « goud », et qui me tendait les graines exotiques de mes racines. Ce bonheur inspirant d'un artiste qui m'ouvrait son imaginaire lorsque les vacances nous offraient de longues plages de partage.
Ce bonheur exigeant d'un premier lecteur dont la seule préoccupation était d'encourager, de transmettre. C'est pour cela que je t'ai dédié mon premier roman. Encore pour cela que je consacrerai, malgré certains obstacles, mon prochain livre à ton père, Haroutioun Zouloumian, photographe à Alep, mort en 1916.
Aujourd'hui, je ne sais pas dans quelle langue, l'arménien, le français, peut-être l'arabe dont tu conservais quelques souvenirs de ton passage à Alexandrie, je ne sais pas dans quelle langue tu préfèrerais le lire. Alors je me contenterai de te l'écrire : je t'aime.
Ton petit-fils, Louis.
Louis Carzou est l'auteur de "La Huitième Colline" aux éditions Liana Levi, roman qui a reçu le Prix des Lecteurs 2007 de la ville de St Germain-en-Laye. Pour en savoir plus : http://www.louiscarzou.com.